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ils avaient joui sous la domination française. Ce bill devait avoir pour résultat nécessaire de conserver aux provinces canadiennes, un caractère essentiellement français qui les tiendrait éloignées des mœurs et des institutions britanniques. De là la prédilection des émigrants anglais pour cette partie du Canada qui constitue aujourd'hui la province supérieure, et vers laquelle ils affluaient par cela seul qu'elle ne contenait point alors de colons français

Les choses étaient en cet état, lorsqu'un acte du parlement, passé en 1791, divisa la province en deux états qu'il soumit, chacun séparément, à la constitution qui les régissait encore au moment où éclatèrent les derniers troubles.

La législature établie par cette constitution, se composait d'un conseil et d'une assemblée. Les membres du conseil étaient à la nomination de la couronne; ceux de l'assemblée étaient élus par chaque province divisée, à cet effet, en comtés, villes et bourgs. Les députés des comtés ne pouraient être élus que par des électeurs possédant en libre propriété, fief ou roture, un revenu annuel de 40 shillings; tandis que, pour les villes et bourgs, une habitation productive d'un revenu de cinq livres sterling, ou pour la jouissance de laquelle il était payédix livres sterling de loyer, suffisait pour conférer la capacité électorale. L'assemblée, qui, pour la province supérieure, se composait de soixante membres, et de cinquante pour le Bas-Canada, devait être renouvelée tous les quatre ans.

- L'origine des dissensions profondes dont nous sommes aujourd'hui les témoins, remonte aux premières phases de cette organisation. Voyant que l'assemblée législative du Bas-Canada ne comptait dans son soin que des colons français, le Gouvernement ne crut pouvoir mieux faire que de composer entièrement d'Anglais le conseil législatif de cette province. Voilà le principe de cet antagonisme violent qui, depuis un demi-siècle, à constam

ment divisé les deux branches de la législature canadienne. L'issue d'un tel conflit était inévitable. Confiante dans la force qu'elle empruntait à la nature de ses attributions, l'assemblée se retrancha dans les questions de finance, dont elle se fit une arme contre ses adversaires, sans sortir néanmoins des bornes d'une résistance légitime, et sans réclamer autre chose que le redressement d'abus incontestables et un meilleur contrôle des revenus publics de la province. Mais, en 1828, cette lutte sans cesse et inutilement renouvelée dans le parlement provincial, s'étendit au dehors et prit des caractères assez graves, pour que la Chambre des communes d'Angleterre crut devoir soumettre les griefs des Canadiens à l'examen d'un comité spécial. De nombreuses pétitions, dont la plus importante était signée par 87,000 habitants de la province inférieure, furent adressées à ce comité. Les signataires se plaignaient amèrement de l'arbitraire révoltant avec lequel les gouverneurs envoyés par la métropole, exerçaient les pouvoirs dont ils étaient investis; de l'exclusion, du conseil législatif, de quiconque n'était point une créature avérée du gouvernement; de l'emploi illégal des revenus publics; des prorogations et dissolutions anormales et violentes du parlement provincial, et de la connivence du gouvernement dans la banqueroute du receveur-général, Sir Jonh Caldwell, dont l'insolvabilité avait pesé sur toute la province. Les pétitionnaires récriminaient aussi contre certains actes du parlement impérial et notamment contre le bill passé sous le règne de Georges IV, qui avait pour objet de réglementer le commerce du Canada. ;

En ce qui touche la question financière, il est à remarquer que les plaintes des colons anglais ne portaient ni sur la quotité des impôts, ni sur le mode de perception, mais uniquement sur le droit inhérent à la réprésentation provinciale, d'en contrôler l'usage et de veiller à l'accumulation successive, dans le trésor public, des revenus sans emploi.

Un bill passé en 1774 fut la première cause de ce long conflit. Il stipulait l'abrogation de certains droits imposés par le gouvernement français, et il les remplaçait par de nouvelles contributions spécialement affectées aux besoins de l'administration de la justice et du gouvernement civil, le surplus devant être déposé dans la caisse du receveur-général, pour y rester à la disposition du parlement provincial. Un autre bill, déclarait que désormais le roi et le parlement impérial ne pourraient plus imposer aux colonies de l'Amérique du nord et des Indes occidentales d'autres taxes que celles qu'il serait nécessaire de lever pour la protection du commerce, et dont le net produit serait toujours exclusivement affecté aux besoins de la colonie, conformément aux règles adoptées pour les impôts de toute autre nature. Cependant, contrairement à la lettre et à l'esprit de ces deux actes, le gouvernement prétendit que les revenus dont ils autorisaient le prélèvement, constituaient deux impôts différents, dont l'un se composait des droits établis antérieurement au bill passé sous le règne de George III, et l'autre, des droits créés postérieurement à ce bill. La couronne admettait que les impôts de cette dernière catégorie étaient soumis au contrôle de la législature provinciale qui, sans avoir le droit d'en empêcher la perception, avait incontestablement celui d'en contrôler et même d'en refuser l'emploi. Quant aux reyenus de la première catégorie, le parlement anglais refusait aux représentants de la nation le droit de s'immiscer dans leur appropriation, par la raison que les taxes que le bill de Georges III avait substituées à celles précédemment existantes, devaient être spécialement affectées aux dépenses civiles de la colonie.

"De leur côté, les Canadiens maintenaient que l'acte sur lequel s'appuyait le gouvernement anglais, avait été virtuellement abrogé par deux lois subséquentes. D'ailleurs, cet acte avait, disaient-ils, été passé, avant l'existence de

toute législature coloniale. Or, dès que ce pouvoir fut constitué, il devait, par l'essence même de ses attributions, être saisi de toutes les questions financières. Dans tous les cas, en admettant même que les taxes créées en 1774 eussent pour destination exclusive le service de l'administration civile, il était évident que, toutes les fois que le gouvernement venait demander à l'assemblée législative d'en accroître le chiffre primitif, le droit et le devoir des représentants de la colonie étaient de s'enquérir de l'emploi du revenu général, afin de savoir s'il y avait lieu à accorder ou à refuser l'augmentation demandée.

Quoi qu'il en soit, le gouvernement repoussa cette prétention qui, dès lors, devint entre lui et la représentation coloniale, le sujet d'une lutte incessante. Aussi, depuis 1819, par exemple, tous les bills de finance présentés par l'assemblée, furent-ils, à une ou deux exceptions, systématiquement rejetés par le pouvoir exécutif. Cependant, comme il fallait pourvoir aux besoins des services publics, les gouverneurs disposèrent arbitrairement et en violation de la loi constitutionnelle, des revenus de la province.

Indépendemment du différent relatif à l'appropriation des taxes de 1774, le gouvernement et la législature provinciale étaient divisés sur une autre question financière. La législature révendiquait aussi le droit de contrôle sur des fonds désignés sous le titre de « revenu casuel, territorial et héréditaire de la couronne, » lequel s'alimentait des produits des terrains vagues, et de quelques autres redevances. Ce revenu s'élevait, en 1836, à 16,000 sterling.

Quant à la querelle relative à la législation en vigueur et aux prescriptions contradictoires de la loi française et de la loi anglaise sur les tenures, pour comprendre la nature de ce débat, il faut se rappeler que, dans le Bas-Canada, les terres se divisent en deux classes: l'une presque entièrement occupée par des Français régis par la loi féodale française, telle qu'elle existait en 1789; l'autre, possédée sous

l'empire du droit commun anglais. Or, quels que soient les inconvénients attachés aux coutumes et aux droits seigneuriaux de l'ancienne France, il est certain que les Canadiens d'origine française, les préféraient aux lois qui régissent la propriété foncière dans la Grande-Bretagne. Tous les efforts du gouvernement anglais, pour modifier cet état de choses et généraliser l'application de la législation nationale, étaient donc considérés par le parti français, comme une intervention arbitraire dans les intérêts domestiques de la famille, et comme une violation flagrante de la constitution provinciale. Aussi, tous les actes du parlement impérial qui, tels que les deux bills de Georges IV sur le commerce et les tenures, avaient pour objet d'introduire des modifications de ce genre, figurent-ils au nombre des principaux griefs articulés par les colons contre les usurpations de la métropole.

Ainsi qu'on l'a déjà vu, l'ensemble de ces plaintes fut soumis à l'appréciation d'un comité de la chambre des communes qui, dans son rapport, ne balança point à admettre la légitimité du plus grand nombre, et à conseiller à la couronne d'accorder aux Canadiens une large et prompte réparation.

Nous ne terminerons point, disait le rapporteur, sans signaler à l'attention de la Chambre un fait d'une haute gravité; c'est que, dans le cours de ces tristes querelles, et pendant plusieurs années consécutives, le Gouvernement local s'est cru obligé de recourir à une mesure que la plus impérieuse nécessité pourrait seule justifier, en s'emparant, de son autorité privée et sans le consentement des représentants du peuple, d'une portion des revenus de la province, s'élevant à l'énorme somme de 140,000 livres sterling (3,500,000 fr.); nous regrettons amèrement qu'un état de choses si anormal se soit perpétué pendant tant d'années dans une colonie anglaise, sans qu'aucune communication ait été faite, à ce sujet, au parlement britannique.

En 1831, les ministres obtinrent du parlement un bill qui remettait à la disposition de la province, la totalité des taxes créées en 1774, s'élevant à 34,000 livres sterling;

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