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mais la couronne n'abandonnait aucune de ses prétentions de disposer, comme bon lui semblerait, de la plus grande partie des impôts publics; de conserver intactes les affectations permanentes, et de ne rendre aucun compte des sommes prélevées à titre de revenu casuel et territorial de la couronne. Les événements qui suivirent cette incomplète satisfaction, sont mentionnés dans le précédent volume de cet ouvrage. L'assemblée législative persista à revendiquer le contrôle de tous les fonds dont la couronne prétendait disposer librement; elle refusa de prendre l'engagement de voter une liste civile proportionnée au revenu de la province, et d'accéder aux propositions du Gouvernement en ce qui concernait l'indépendance de la magistrature; elle demanda avec énergie que les privilèges accordés à la compagnie des terres canadiennes, fussent abrogés et qu'on rapportât entièrement le bill des tenures. Enfin, peu satisfaite des changements introduits par la couronne dans l'organisation du conseil législatif, l'assemblée des représentants exigea hautement que ce corps politique fût désormais soumis à l'élection populaire, et que le pouvoir exécutif eût la responsabilité directe de ses actes, conformément aux principes généraux de la constitution britannique.

Les lecteurs de l'Annuaire n'ont point oublié que lord Gosford avait été investi du double titre de gouverneur de la colonie et de haut commissaire. Immédiatement après l'arrivée de sa seigneurie, l'assemblée vota une adresse à la couronne, dans laquelle les députés canadiens déclaraient qu'ils n'accorderaient aucune espèce de subsides, si le Gonvernement refusait d'admettre certaines modifications fondamentales dans la constitution du pays. Ce fut la première fois que l'assemblée refusa directement à la couronne le vote du budget.

Vint ensuite la fameuse résolution du mois de mars 1837 (1), qui détermina l'explosion. Fatigués de l'inutilité de leurs plaintes, les habitants du Bas-Canada cou

(1) Voir l'Annuaire 1837.

rurent aux armes, et l'insurrection éclatait déjà de tous les côtés, lorsque les officiers du Gouvernement prirent la résolution de faire arrêter M. Papineau et quelques autres conjurés, qu'on supposait avoir établi leur quartier-général dans les villages de St.-Denys et de St.-Charles, situés sur la rive droite du Richelieu, mais à sept milles de distance l'un de l'autre.

S'attendant à rencontrer une résistance organisée, l'autorité dirigea sur ces deux points de forts détachements militaires, réunis aux milices loyalistes. Dans la nuit du 22 novembre, le colonel Gore partit de Sorel, à la tête de cinq compagnies d'infanterie, six pièces de campagne et un détachement de la police à cheval, pour aller attaquer St.-Denys où il arriva le lendemain, à deux heures du matin. Les insurgés, au nombre de 1500, avaient pris position dans le village; l'approche en était défendu par un vaste édifice en pierre, dont les patriotes avaient fait un poste fortifié, et une barricade flanquée de maisons, d'où les troupes étaient assaillies par une vive fusillade, barrait l'entrée de la principale rue. Les Anglais se trouvèrent en face d'un système de défense si habilement combiné et d'une résistance si acharnée de la part des Canadiens, qu'après avoir épuisé ses munitions, le colonel Gore fut contraint de se retirer, laissant sur le terrain six morts, vingt blessés et un canon.

En même temps que cet officier marchait de Sorel sur St.-Denys, le lieutenant-colonel Watherell se portait de Chambly sur St.-Charles, également à la tête de cinq compagnies d'infanterie, deux pièces d'artillerie et un détachement de police à cheval. L'attaque confiée à ces deux chefs, devait être simultanée ; mais, par suite du mauvais temps et de la destruction des ponts, le colonel Watherell ne put arriver devant St.-Charles que dans la soirée du 25. Cependant, plus heureux que son collègue, cet officier enleva les ouvrages des insurgés et brûla le village. Une seule maison échappa à l'incendie. Mais les Canadiens

avaient opposé une héroïque résistance à l'ennemi, et n'avaient cédé le terrain qu'après un effroyable carnagé. En apprenant la capture de St.-Charles, les insurgés qui étaient restés maîtres de St.-Denys, abandonnèrent cette position où, le 4 décembre, les Anglais s'établirent, sans coup férir. Ces deux événements amenèrent la dispersion des rassemblements insurgés qui s'étaient formés sur les bords du Richelieu et du Yasmaska. Leurs chefs se réfugièrent sur le territoire des États-Unis; mais le plus brave de tous, Wolfred Nelson, qui commandait à St.-Denys lors de la déroute des troupes du gouvernement, tomba entre les mains d'un parti de volontaires. Quant à Brown, que les insurgés paraissaient avoir placé à leur tête, il fut le premier à déserter la lutte et à fuir chez les Américains. Cet homme qui, quoique chef nominal du mouvement, ne jouait probablement qu'un rôle secondaire, était, si nous ne nous trompons, un émigré irlandais.

L'insurrection étant étouffée sur la rive méridionale du St.-Laurent, le commandant en chef des troupes, sir John Colborne, put porter toutes ses forces contre le comté des two Mountains, au nord de l'Ottawa, qui avait été le berceau et le théâtre des plus violentes dissensions. On avait appris, au quartier-général anglais, que, réunis en grand nombre, les insurgés s'étaient retranchés dans cette position. Les troupes destinées à les attaquer, quittèrent Montréal le 23 décembre, sous le commandement immédiat de sir John Colborne. Elles présentaient un effectif de 1300 combattants. Le point stratégique de l'expédition était le village fortifié de St.-Eustache, sur la rive gauche de l'Ottawa. Il fut investi, le 14, par les forces britanniques. A l'approche de l'ennemi, une partie des insurgés se débanda et prit la fuite; mais 400 braves Canadiens que commandait le docteur Chenier, se jetèrent dans l'église et dans les maisons contigues, d'où ils opposèrent aux Anglais une héroïque résistance. Cependant, leurs retranchements ayant été démolis par les boulets ennemis, l'église et les maisons voisines

étant en flammes, ils furent repoussés hors du village, laissant au pouvoir des Anglais 100 morts et 120 blessés. Leur chef avait généreusement succombé dans l'église. Le lendemain sir John Colborne marcha sur St.-Benoît, où il s'attendait à rencontrer la résistance la plus vigoureuse; mais il ne trouva dans la place que 150 insurgés qui firent leur soumission, sans avoir brûlé une amorce ; ce qui n'empêcha point ce malheureux bourg d'être livré aux flammes et au pillage. Honteux sans doute de ce sauvage abus de la force, le général anglais voulut attribuer cet acte de vandalisme au ressentiment des colons d'origine anglaise contre les Canadiens français. Le 16, sir John Colborne, rentra à Montréal, laissant un seul régiment pour dissiper les débris de l'insurrection qui pouvaient encore inquiéter le pays. Des principaux chefs qui avaient dirigé cette première levée de boucliers, quatre furent tués, huit tombèrent aux mains des Anglais et neuf parvinrent à s'échapper. Parmi ces derniers était M. Papineau qui, après avoir joué un grand rôle dans les événements de son pays, est venu s'asseoir au foyer de l'hospitalité française.

L'insurrection des Canadiens avait dû naturellement exciter les sympathies du peuple des États-Unis, à qui elle rappelait les grands jours de la guerre de l'indépendance. C'est surtout vers le Haut-Canada que les Américains cherchèrent à opérer une diversion favorable à leurs frères. Le soulèvement de la province inférieure avait donné le signal aux mécontents de la province supérieure, et une proclamation datée de Toronto, annonça qu'une convention provinciale, s'assemblerait dans cette ville, le premier décembre suivant, à l'effet de prendre en considération l'état du pays.

Le 4 de ce mois, la ville de Montréal, siége du gouvernement, fut soudainement investie au milieu de la nuit, par 3000 insurgés commandés par M. M'Kenzie, rédacteur d'un journal patriote, et par quelques autres chefs, au nombre desquels figurait un ancien officier de l'armée de Napoléon, M. Van Egmont.

Cette ville se trouvait alors sans troupes pour la défendre, le gouverneur, sir Francis Head ayant cru devoir éloigner les forces militaires qu'il avait à sa disposition. Les motifs qui portèrent cet officier général à prendre. cette étrange mesure, sont d'une nature trop originale, pour ne point mériter d'être connus. Voici comment il expliquait sa conduite dans un rapport adressé, le 21 mai 1838, au ministre des colonies:

• En présence de l'invasion dont nous étions ménacés, je crus qu'il étaít de mon devoir de prouver au peuple américain, par l'éloignement des troupes royales et par le dépôt de six mille fusils entre les mains de l'autorité civile, que nous avions offert au Haut-Canada une excellente occasion de s'insurger, si bon lui semblait; et que la constitution britannique n'ayant été protégée, dans cette circonstance, que par la souveraine volonté du peuple, elle devenait, suivant même les principes fondamentaux de la république, la seule loi du pays. »

Quoi qu'il en soit de la sincérité de cette politique, il est certain que le général anglais n'avait aucunes forces régulières sous ses ordres, lorsque le chef insurgé M'Kensie vint l'attaquer au siége même de son Gouvernement. Arrivés de tous les points, à travers les forêts et les routes de traverse, les mécontents avaient choisi, pour lieu de réunion, la taverne de Montgoméry située à quatre milles de la ville qu'ils atteignirent à dix heures du soir. Surpris dans son premier sommeil, Sir Francis Head courut à l'hôtel-deville, où se trouvaient les armes qu'il avait si imprudemment confiées à l'autorité civile; il fit occuper la mairie ainsi que les maisons voisines, envoya des courriers aux commandants des milices dans les districts de Gore, Mitland, Newcastle, et, s'étant retranché de son mieux, il attendit le jour dans cette position. Dans la matinée du lendemain, le général anglais était parvenu à organiser 500 hommes; mais, pénétré des graves conséquences que pouvait entraîner la guerre civile, il crut, dit-il dans son rapport, devoir envoyer deux parlementaires aux chefs

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