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que vous ne vous figuriez point qu'il en est des colonies opprimées comme de la métropole, où vos ordres sont aussitôt exécutés que donnés,»

Et plus loin, après avoir lancé les traits les plus impitoyables contre cette politique inepte qui, par ses outrages, pousse les Canadiens à la révolte, et ne sait prendre cependant aucune mesure de précaution contre les excès qu'elle a sciemment provoqués, l'orateur continue ainsi :

La tyrannie et l'oppression n'ont montré dans cette circonstance ni leurs craintes instinctives ni leur circonspection habituelle. Comparée à ce que nous voyons aujourd'hui, la conduite des Gouvernements les plus mobiles, les plus bêtes, les plus inconséquents et les plus faibles, mérite d'être respectée. Il n'est point jusqu'au roi Jean et à Richard Cromwel lui-même, qui ne soient de grands princes et d'habiles politiques, eu égard à la capacité et à l'énergie des hommes qui gouvernent aujourd'hui l'Angleterre. ›

Après cette vigoureuse sortie, lord Brougham embrasse chaudement la défense des Canadiens; il proteste contre toute mesure coërcitive à leur égard, et ne voit le terme de la lutte engagée que dans une séparation volontaire.

Lord Melbourne, réfutant le précédent orateur, se borna à repousser l'accusation d'imprévoyance dans les mesures adoptées par le Cabinet pour prévenir l'insurrection.

C'était, dit ce ministre, une question très-difficile à résoudre. En renforçant les troupes, nous courrions le risque de précipiter l'explosion qui a eu lieu. D'un autre côté, en envoyant des froces considérables au Canada, nous nous ôtions la possibilité de terminer la querelle par une transaction amicale, car on n'aurait pas manqué de dire que nous encombrions le pays de soldats anglais pour comprimer l'opinion publique par la force des baïonnettes.

Comme on le voit, la défense du Cabinet, vulnérable en tous points, fut plutôt une apologie de ses bonnes intentions, qu'une justification de ses actes.

Le duc de Wellington, marchant en cela sur les traces de sir Robert Peel, accusa le ministère d'avoir méconna

les précédents et manqué au parlement, en ne faisant point des affaires du Canada l'objet formel d'un message de la couronne. Quant à l'accroissement des forces militaires, Sa Grâce ne blåmait pas le Cabinet de ne pas avoir pris des mesures de ce genre, parce que, suivant les renseignements qu'elle avait obtenus, il n'existait l'année précédente aucun symptôme qui annonçât une insurrection prochaine dans le bas-Canada. Mais le noble duc ne comprenait point qu'après avoir affaibli les garnisons de la nouvelle-Écosse et du New-Brunswick, pour augmenter celles de cette province, le Gouvernement ne se fût pas empressé de remplir cette dangereuse lacune, par l'envoi de nouvelles troupes.

Lord Ripon, incrimine ce qu'il appelle l'ingratitude des Canadiens envers la métropole; mais il blâme aussi l'imprudence du Gouvernement qui a négligé de réunir assez de forces sur les points menacés, pour étouffer l'insurrection d'un seul coup. Le marquis de Lansdowne remercie le duc de Wellington de la franchise avec laquelle il a envisagé le côté militaire de la question, et du patriotisme qui garantit à la couronne le concours de Sa Grâce, dans des circonstances aussi graves que celles qui préoccupent aujourd'hui le parlement et la nation.

L'opinion du comte de Durham, récemment nommé à la vice-royauté du Canada, était attendue avec une vive impatience. Sa Grâce prit la parole après le marquis de Lansdowne, dans un discours plein de réserve et de modestie, elle déclara que ce n'était qu'avec une extrême défiance de ses propres forces, qu'elle avait acceptée la tâche difficile que lui imposait la confiance de Sa Majesté. Le noble comte ne se dissimulait ni les difficultés de sa mission, ni la grave responsabilité qu'elle faisait peser sur sa tête. Du reste, là où son devoir était clairement tracé, sa résolution ne pouvait être douteuse. Son premier soin serait donc de rétablir la soumission des colonies au Gouvernement de la reine et l'obéissance à la loi. Ce résultat obtenu, il s'occuperait de

donner aide et protection à tous les intérêts légitimes, sans acception de races ou de partis; il n'irait point au Canada dans l'unique but de suspendre la constitution du pays, comme on s'était plû à le dire, mais bien pour faire face aux circonstances extraordinaires qu'avaient amenées quelques hommes dont la coupable conduite rendait impossible le jeu des institutions existantes. Du reste, quelqu'illimités que fussent les pouvoirs dont il était investi, le noble comte n'éprouvait qu'un désir, celui de les déposer le plus tôt possible.

Enfin lord Glenelg ayant résumé la discussion, la chambre haute vota l'adresse demandée par le Cabinet.

Le 22, M. Grote proposa à la Chambre des communes d'autoriser M. Roebuck, naguère député radical, de présenter, à sa barre, la défense de l'assemblée législative du BasCanada. Vivement combattue par les lords Russell et Stanley, cette proposition fut néanmoins agréée par la Chambre. Puis, sur la demande du ministre de l'intérieur, le bill suspensif fut lu pour la seconde fois; après quoi M. Roebuck fut appelé à la barre de la Chambre et invité à prendre la parole. Comme on le prévoyait, le discours de cet orateur ne fut que la récapitulation et en quelque sorte la condensation de tous les griefs déjà articulés par ses clients. Et, par une singularité remarquable, loin de chercher à se concilier la bienveillance de la Chambre, il sembla s'attacher, tout d'abord, à heurter ses préjugés et à irriter ses passions.

Messieurs, s'écria-t-il, je ne suis point de ceux qui renient leurs amis malheureux. Aux jours de la prospérité de M. Papineau, je me tenais pour honoré de son amitié, et lorsque je reporte ma pensée sur toute la carrière politique de cet homme parvenu au poste le plus éminent par la seule puissance de son génie, j'y cherche en vain un acte digne de blâme. Sans doute, M. Papineau a franchement et énergiqnement dévoilé l'incouduite de votre administration coloniale; mais j'ai moi-même condamné les vices de cette administration déplorable, et si c'est un crime d'avoir dit que le Canada était détestablement gouverné; que les plaintes de ce pays sont restées sans redressement; que ses oppresseurs sont des hommes toujours

cruels et souvent exaspérés jusqu'au délire; j'assume sur moi la solidarité de ce crime. Qu'on me taxe de trahison, qu'on s'écrie, que ma vie appartient au bourreau, et qu'il faut m'arracher de cette enceinte, pour me traîner dans la tour de Londres: tout cela ne m'effrayera point. Je sais que les organes du Gouvernement et même plusieurs journaux indépendants ont essayé d'ameuter le peuple contre moi, en lui persuadant que mes amis et moi nous désirions le déshonneur de l'Angleterre. Mais vous auriez tort de penser que de pareilles clameurs peuvent m'intimider. Si je suis coupable, pourquoi n'ose-t-on pas m'attaquer en face? Mes papiers sont saisis; qu'on les produise. Je n'ai point pris la fuite, parce que je sais qu'en Angleterre, il y a un jury toujours prêt à rendre justice à l'opprimé. ►

M. Roebuck ayant cessé de parler, et le président ayant proposé à la Chambre de voter sur le bill, M. Hume demanda l'ajournement à six mois, c'est-à-dire le rejet. Sir Georges Grey combattit la motion de M. Hume et s'attacha à réfuter, une à une, toutes les accusations dirigées par M. Roebuck contre la politique coloniale du ministère. L'honorable baronnet fut soutenu par lord Francis Egerton, qui déclara embrasser la défense du Cabinet avec une extrême répugnance et eu égard seulement à la gravité des circonstances. M. Leader vint ensuite affirmer devant la Chambre, qu'à St.-Denis et à St.-Charles les troupes du Gouvernement s'étaient livrées aux plus coupables excès. Le député radical soutint qu'en résistant aux usurpations du pouvoir, l'assemblée législative du Bas-Canada n'avait fait qu'exercer un droit constitutionnel et solennellement garanti par la métropole. La véritable cause de la désaffection de cette province et de l'insurrection qui en est résultée, est dans le mauvais gouvernement que les tories ont fait peser sur elle depuis vingt ans. On a prétendu que le ministère whig a fait droit aux plaintes des Canadiens. A cela l'orateur n'a qu'une chose à répondre : les whigs sont depuis plusieurs années au pouvoir, et le Canada est en pleine révolte. Telle a été la conséquence de vingt années de tyrannie d'une part, et de sept années d'indécision et de faiblesse de l'autre. En résumé, les whigs ont beaucoup promis et n'ont

Ann. hist. pour 1838.

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rien fait pour le Canada. M. Leader termine en repoussant de toutes ses forces un bill qui, par le caractère despotique et oppresseur dont il est empreint, ne peut nécessairement qu'aggraver la situation des choses.

La discussion recommença le 23, par un long discours de sir William Molesworth qui, tout en combattant le bill, félicita vivement le ministère d'avoir choisi, pour pacifier le Canada, un homme aussi éminemment digne de la confiance nationale que l'était le comte de Durham. L'honorable baronnet, comme presque tous les orateurs opposants qui l'avaient précédé, retraça l'historique des événements qui avaient améné l'insurrection, et rejetta tous les désastres actuels sur le compte des tories. M. Bulwer prit la défense du ministère dont il loua tous les actes avec passion. Cet orateur, allant plus loin que n'avaient fait jusques-là les apologistes les plus ardents du Cabinet, ne trouva point dans l'ensemble de sa conduite un seul fait dont sa politique n'eût à se glorifier.

Après M. Bulwer, divers orateurs prirent la parole pour ou contre le bill, mais ils ne firent guère que reproduire, sous de nouvelles formes, les arguments déjà épuisés de part et d'autre. Cependant, sir Robert Peel sut imprimer un nouvel intérêt au débat. Repre nant, une à une, les accusations dirigées contre son parti, l'orateur-tory les retorqua contre ses adversaires de toutes les nuances. Le chancelier de l'échiquier avait dit qu'en définitive les ennemis du Cabinet n'avaient pu l'accuser que d'avoir été trop modéré, trop patient, trop conciliateur. A cela sir Robert Peel répond que ce n'est point d'un excès de longanimité qu'on accuse le Cabinet, mais bien d'avoir, par de fausses mesures, détruit l'effet de cet esprit de conciliation, et neutralisé l'énergie du Gouvernement, et de n'avoir su enfin ni pacifier ni réprimer. Quant à la question du bill, sir Robert déclara qu'il était disposé à accorder au Gouvernement tous les pouvoirs strictement nécessaires; mais qu'il refuserait tous ceux que ne justi

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