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un pas; prosternés, se cachent le visage. Elle abandonne ce noir séjour.

Certain d'être veuf, Manfredi, entouré de jeunes seigneurs, doucement enlacé des étreintes de Ricciarda, oublie au sein d'une bruyante orgie, les évépements de la veille, defie la peste fertile en ravages, lorsqu'un coup retentit à la porte. Qui donc, à pareille heure?... Ginevra! s'écrie Ricciarda! Ginevra terrible et pâle! vision! chimere! Le duc interroge le prétendu fantôme; et ces mots arrivent jusqu'à lui: C'est moi! c'est votre femme!... -Ombre, que veux-tu de moi? Asile.-Spectre, retourne vers l'enfer, ou je t'y renvoie. Il s'empare d'une arquebuse. Un cri plaintif éclate; et l'orgie recommence plus vive. Bientôt la coupe chancèle entre les mains du duc. Son front devient pâle, livide. Les chants joyeux expirent, grimaçants, sur ses lèvres. Les convives fuient leur ami pestiféré. Au moins Ricciarda lui sera fidele? Jamais! Furieux, il entoure sa belle d'un bras débile, mais ne lâche pas sa proie infâmes tous deux, à tous deux le même sort, un trépas inévitable!

Le beffroi tinte en sons lugubres: la désolation plane sur Florence. Cosme a déserté cette fatale cité, laissé son palais désert.Courtisans de la peste, Forte-Braccio, ses compagnons, dévalisent les morts, les mourants, pillent les palais, les chaumières (la Peste de Mar seille, au théâtre de la Gaîté), et allument des torches incendiaires. Blessée, errant dans l'ombre, Ginevra cherche le palais Médicis.... l'aperçoit, frappe, frappe encore.... Rien! personne le silence! un éternel silence! Sans doute Cosme n'est plus ! Pourquoi vivre encore? Une sueur froide l'atteint... Påle et glacée, elle s'évanouit. Guido, dont le fleau n'a pas voulu, entend quelques sourds gémissements. s'arrête, heurte du pied une femme... Dieu! Ginevra...! ou plutôt son ombre... Ange, elle descend des cieux pour le consoler. Ginevra le rassure; rien d'aussi palpable que pareille ombre. Les brigands reparaissent; un vaste incendie dévore le palais. Guido emporte son trésor.

Où va-t-il cacher la bien-aimée? dans une vallée au pied des Appenins, où ils achètent une petite ferme ; et là, depuis quelques mois, coulent des jours

tranquilles, sans doute des nuits déli cieuses. Cependant, parfois, Ginevra songe à la douleur qu'a dû éprouver Cosme, s'il existe encore. Pauvre vieil. lard! A peine ils en parlent, et il arrive escorté de seigneurs battant comme lui la campagne, afin d'offrir des secours aux malheureux; car la peste a cessé. Ne demandez pas ce qu'est devenu le gonfalonier après la mort présumée de mademoiselle sa fille. On l'ignore. Tant il y a que cet excellent Médicis, aper

cevant venir Ginevra, croit aussi, comme tout le monde, voir une ombre.....

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. D'ailleurs, si c'était elle, tout de suite, n'eût-elle pas volé dans les bras d'un père? A ce mot, l'enfant adorée court sur son cœur. Tout cela est fort bien; mais sa conduite depuis la résurrection, cette longue cohabitation avec le sculpteur...? oh! pas de reproches;

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elle l'aime. Et si le vénérable auteur de ses jours imagine de les séparer, il se trompe fort: qu'il retourne seul à Florence. Elle reste. - Vrai? Oui. C'est d'une très-bonne fille! D'ailleurs les choses semblent si avancées, qu'un refus deviendrait inutile. Guido prétend aussi que, par le ciel, Ginevra lui appartient: il gardera donc ou la fermière, ou l'auguste rejeton des Médicis. Eh bien ! oubli et pardon : à demain l'hymen... régulier...

En général, le rôle de Forte-Bracchio est un des plus soignés de cette vaste partition, et il faut rendre à Massol la justice de dire qu'il l'a supérieurement rendu, comme chanteur et comme acteur. Cette voix mordante fait merveille dans la vaste salle de l'Opéra; les compositeurs n'auront garde sans doute, à l'avenir, de n'en pas tirer parti. Mais il faudrait en varier l'emploi, et ne pas toujours faire de Massol un brigand, comme dans Ali-Baba, dans Stradella et dans Ginevra. L'artiste et les auteurs ont tout à gagner à sortir de cette ornière. Levasseur était plein de dignité dans le rôle fort court de Cosme de Médicis ; sa physionomic autant que ses attitudes et son chanter.primaient à merveille la douleur d'un vieillard et d'un père. Dérivis a mis de la chaleur dans la scène assez froi de en elle-même de l'orgie. Le rôle de Ricciarda, qui n'avait pas été des tiné à Mme Stoltz, lui a fourni cependant plus d'une occasion de succès; son jeu est

toujours énergique, et sa voix a des notes d'une grande pureté, sonores et puissantes.

Mine Dorus-Gras a remporté une victoire en créant ce rôle tragique de Ginevra. Jusqu'à présent elle n'avait guère représenté que des personnages peuagissants, tels que la reine Marguerite dans les Huguenots, la princesse Eudoxie dans la Juive, ou Mathilde dans Guillaume Tell. Elle vient, cette fois, d'aborder de front le véritable drame, et l'épreuve lui a été favorable de tout point. A la vocalisation savante que chacun lui connaît, elle a joint des qualités de chant plus solides et plus rares, la largeur, la pureté du style et la vérité d'expression. Sa pantomine est sobre, mais élégante et toujours distinguée.

Quant à Duprez, les termes manquent pour en donner une idée. Amour, rêverie, mélancolie, désespoir, fureur, noble fierté, tout est réuni dans cette exécution merveilleuse. Il a eu des élans dans le récitatif, dont la salle a frissonné toute entière.

Le rôle de Guido est un des chefsd'œuvre de Duprez: il suffirait à lui seul pour assurer le succès de la parti

tion.

La mise en scène et les costumes (sauf peut-être le costume de Levasseur, qui n'est pas heureux) sont dignes de ce qu'on a fait de plus riche et de plus brillant à l'Opéra. MM. Filastre et Cambon ont fait preuve d'un talent réel dans la peinture de l'intérieur de la cathédrale et du salon du palais de Manfredi. Ces deux belles décorations méritent une mention toute particulière; les autres ont paru en général faibles et d'une couleur peu harmonieuse.

Les chœurs et l'orchestre se sont acquittés mieux encore que de coutume de la tâche difficile, mais brillante, que leur a confiée M. Halevy. Le succès a été complet.

42. Paris, Theatre Français. 4 re représentation de Marion Delorme, drame en cinq actes, en vers, de M. Victor Hugo. -Marion de Lorme, la célèbre courtisane du règne de Louis XIII, femme éléga nte et belle, qui a vu de près toute son ép oque, qui a vu même de trés-près, à ce qu'on dit, car elle n'ose pas en parler, a cardinal ministre, ce terrible amoure yx, a quitté Paris, ses fêtes, ses

plaisirs; et, récluse à Blois, se fait appeler Marie. Quel motifl'y amène ? L'amour. Notre courtisane raffole de Didier, mince étudiant, Werther de vingt ans, bâtard, enfant trouvé, modèle fas tidieux d'innocence, qui voit dans Marion un ange de pureté. descendu du ciel pour lui révéler la félicité suprême; ange près duquel il ne s'introduit toutefois que nuitamment, par la fenêtre. ... Mais le pauvre garcon n'y entend pas malice. il croit qu'on entre ainsi partout... Cependant, jaloux, il murmure des visites dont le jeune marquis de Saverny, raffiné libertin, importune la belle inconnue. Brave, Didier provoque l'étourdi. Soit. Mais l'époque paraît mal choisie pour un combat singulier. On vient de rendre un édit contre le duel. Edit terrible: il prononce la mort ! N'importe. Nos valeureux champions dégaînent. Laffémas, lieutenant criminel, infâme ministre des fureurs sanguinaires de Richelieu, accourt. Légèrement atteint. Saverny joue le trépassé. On s'empare de Didier. Marion séduit ses geôliers. Les amants fuient; rencontrent une troupe de comédiens voyageurs; s'engagent; étu dient quelques rôles; et les voilà errants de bourgade en bourgade, de tré. teaux en tréteaux. Où s'arrête la caravane tragi comique? dans la Bretagne, au castel du vieux comte de Nangis, oncle de Saverny, déja informé de la fin déplorable du cher neveu, dont il ordonne le convoi funèbre, tandis que, déguisé, l'adroit marquis, hôte ignoré du châtelain, rit de ces funèbres apprêts.

Dix minutes, et les saltimbanques désertent la grange hospitalière où l'intendant du comte les a parqués. Laffémas poursuit l'heureux duelliste fugitif; arrive chez Nangis; reconnaît Marion: Didier ne saurait être loin. Il s'annonce envoyé par Richelieu pour recruter des acteurs; exige que chaque histrion répète devant lui quelques bribes de son emploi. Volontiers. Ils se voient déjà sur le théâtre de l'éminence, au PalaisCardinal. Didier ne prolongera pas cette parade, avoue sa fuite. Saverny n'abandonne point un ami généreux qui, avant leur duel, lui avait sauvé la vie; quitte l'incognito. Laffémas a deux victimes ou lieu d'une; les entraine, malgré la résistance du comte.

Nangis, Marion se dirigent vers Paris; entrent au Louvre ; obtiennent une au. dience de Louis XIII; implorent le pardon des coupables; éveillent, excitent la pitié du monarque; accusent Richelieu de barbarie, de déshonorer un règne glorieux, de tenir le prince sous un joug despotique. Louis craint et déteste l'impudent cardinal. Il cède. Marion tient la grâce désirée, vole à la prison. Hélas! Richelieu a déjà fait révoquer l'ordre. Un moyen, un seul, reste à l'amante désolée : qu'elle satisfasse les ignobles ardeurs du lieutenantcriminel, et l'étudiant est libre. N'estce que cela?... ALLONS!... et ils sortent enlacés, ivres de luxure !!..... Tandis que si honteux mystère de débauche s'accomplit entre Laffémas et la courtisanne, Didier apprend quel Ange, un peu beaucoup déchu, il adorait; et, trompé dans son plus doux espoir, dé. sabusé du rêve qui dut charmer son existence, attend, calme, l'heure du supplice; devise avec Saverny, qui s'endort ou ne l'écoute guère, sur l'immortalité de l'âme, sur le plus ou moins de dignité de la corde ou de la hache du bourreau... Le temps presse. Saverny veut-il s'évader? on lui en offre les moyens. Seul? Non. Et Didier? Laffémas a tenu parole. Dégoûtante de sales caresses, Marion s'élance près du bien-aimé. A l'aide d'un déguisement, il peut disparaître : nul obstacle. Devoir la vie à une prostituée..... Jamais! Il accable d'outrages, repousse la maheureuse qui l'étreint, le supplie, le conjure; crie, pleure, roule, serpente à ses pieds. Trop tard! l'échafaud est dressé ; l'exécuteur des hautes-œuvres vient réclamer sa proie. Attendri enfin, Didier embrasse Marion, lui laisse pour dernier adieu le titre d'épouse... La tête des deux amis tombe en présence de Richelieu, amené dans sa riche litière, impatient d'un tel spectacle. Epouse et veuve en même temps, Marion expire.

Les comédiens français ne méritent ici aucun reproche; ils jouent contraints et forcés. Mais on doit regretter qu'un directeur (ce n'est pas M. Védel: à chacun ses œuvres) ait assez désespéré du goût, de la pudeur, de la rai. son publiques, pour leur jeter, pour accueillir, pour disputer à l'oubli, à la poussière des boulevards, un drame

pareil, qui, excepté quelques détails bien fugitifs, où le talent, la haute pensée de M. Victor Hugo se révèlent (ainsi, dans le caractère de Louis XII, frêle roseau agité par les vents, incapable de tenir un jour le sceptre que porte Richelieu; dans la scène où ce prince essaie de ressaisir le pouvoir gracie Saverny et Didier; dans le personnage noble et touchant du vieux comte de Nangis; dans celui du jeune marquis, modèle de courage, d'amitié, de philosophie rieuse, insouciante ), n'offre, après ces rares exceptions, qu'une fable malheureusement conçue, une action inerte, embarrassée, hérissée de personnages inutiles ou bavards discoureurs, un pêle-mêle d'entrées, de sorties; rien qui appartienne à la comédie vive, forte, serrée, rien au drame fertile en émotions douces, profondes; où les idées suent l'invraisemblance presque toujours, partout l'inconvenance; où l'on procède par des moyens de ruelles ; où surgit, où s'accepte une proposition de mauvais lieu; ou un homme dit à une femme: voulezvous m'accorder ce que déjà vous avez prodigué à tant d'autres ?-Qui.-Eh bien? Allons, allons !!! Et cela s'entend sur le Théâtre-Français? Oui, sur le Théâtre Français ! Indiquerai-je la candeur brutale ou niaise de Didier, le rôle débraillé de Marion, ces baisers, ces importunités lascives dont elle saupoudre le cinquième acte d'un aspect sauvage, repoussant; l'épisode, parade des acteurs ambulants, dans lequel ces messieurs et ces dames de la rue Richelieu acceptent, en 1838, cette injure du poète: Des chiens valent mieux que des comédiens. » Demanderai-je quel genre de spectateurs, surtout de spectatrices iront voir, écouter tant de belles choses qu'un ennui mortel, dévorant, écrase de tout son poids, obombre de ses ailes de plomb? Pourquoi avoir flétri notre comédie française d'une tache si large? Et, dernier malheur, l'ouvrage est bien joué: il aura donc des représentations!! Menjaud (Saverny) s'y montre d'une gaieté, d'une insouciance spirituelle, apporte à travers ce dévergondage le ton de la bonne comédie. Beauvallet (Didier) trouve d'heureuses inspirations, où l'auteur n'en mit pas. Mme Dorval empreint d'énergie l'étrange Marion, qui sillonne ce long

mensonge historique, cette turpitude parlée. Régnier donne à l'un des comédiens ambulants (le Gracieux) une physionomie comique originale; il sait être gai sans charge: c'est comprendre le théâtre.

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44. Paris. Théâtre Français. 4TM représentation d'ISABELLE ou DEUX JOURS D'EXPÉRIENCE, Comédie en trois actes, en prose, de Mme Ancelot Mme de Monville, près d'expirer, légue sa fille Isabelle à Mme de Courtenay, veave simple de goûts comme de mœurs, qui, loin du tumulte, impatiente des jours, des nuits paisibles, habite l'antique et silencieux Marais, véritable province au sein de la capitale. Elle accepte l'héritage; et, mère d'un fils chéri, Léonce, apprenti légiste, partage son amour entre l'orpheline et le Gerbier futur. Tous deux grandissent entourés de soins pareils, d'une égale tendresse. Bientôt Léonce voit plus qu'une sœur dans Isabelle; un sentiment aussi vif, aussi prononcé, n'agite pas l'ingénue. Arguerat-il des droits sacrés de la reconnaissance? Forcera-t-il le choix de celle qu'il adore? Non : délicat, timide, l'excellent jeune homme déserte l'asile héréditaire, voyage; seul avec ses chagrins, rêveur, mélancolique, cherche sous un ciel étranger l'oubli d'une pas sion profonde; visite l'Italie, admire Rome; là apprend un projet d'hymen pour Isabelle; au désepoir, s'élance sur les bords du Tibre, disparaît entraîné par les flots. Un inconnu, le comte Albert de Montigny, affronte la vague en furie, sauve l'infortuné: ils revolent vers Paris.

Tandis que libérateur et obligé cheminent, Isabelle s'ennuie de l'existence obscure, monotone du Marais. La société de notre veuve, de Mile Monistrol, gouvernante émérite, ne peut lui suffire. Elle rêve; elle devine un monde, un univers plus agréable. Qui révélera à ses désirs curieux ce spectacle magique et nouveau? Une amie d'enfance, Charlotte, marquise de Treneuil, riche, élégante, dissipée, sans cesse traversant les joies, les plaisirs du grand monde. Oh! combien l'innocente envie une destinée semblable: là tout rayonne de bonheur et d'ivresse. Eh bien! qu'elle vienne s'enivrer de bals, de fètes et d'hommages. Mme de Courtenay ne résiste pas au caprice de l'orpheline.

Léonce, Abert arrivent. Parmi les femmes de haut parage qui accueillent le comte, figure Charlotte. Victime d'un mari jaloux, libertin, maussade, Mme de Treneuil trouve en Montigny un con. solateur aimable; va céder, devenir coupable; puis s'arrête ; et pour n'avoir pas à craindre davantage une séduction irrésistible, imagine de jeter le séducteur entre les bras d'un autre, d'Isabelle, éprise du gentil fashionable. Albert, Charlotte l'ignore, ruiné, criblé de dettes, chevalier d'industrie, associé incognito d'un fripon nommé Grivelet, flaire des dupes, et déjà, dans une opération comme il en surgit par milliers aujourd'hui, il a compromis d'immenses capitaux empruntés à M. de Treneuil, 200,000 fr. tirés de l'épargne du docteur d'Ambleville, médecin de Mine de Courtenay, et qui plaide en restitution par l'organe de Léonce. Il s'agit donc d'obtenir le consentement de la tutrice de Mule de Monville, éprise du comte.

Ici l'action commence. Nous sommes chez la mère de Léonce, qui ne sait pas un mot de tout cela, et, voyant isabelle plus affectueuse que jamais envers lui, croit être aimé. Un aveu erre sur les lèvres du pauvre amant, lorsqu'il reçoit la confidence d'un autre amour, celui dont Isabelle brûle pour Albert; et il doit presser Mme de Courtenay de n'apporter aucun obstacle au mariage si désiré. Que d'illusions détruites en un jour! N'importe, générenx, il impose silence aux larmes, aux soupirs. Qu'elle soit beureuse! Mme de Courtenay refuse. Elie sait le secret de son fils; mais il exige; grossit même la fortune d'Isabelle d'une partie de la sienne; et la jeune fille, confiée à Charlotte, va essayer la vie du grand monde.

Parée, elle respire l'attente du plaisir, étudie ce qui l'entoure, surprend un nuage de tristesse sur la physionomie si riante de Charlotte, à travers ses paroles une inquiétude secrète ; et cependant le jour, le lendemain s'annoncent délicieux pour la marquise. Pourquoi l'humeur de M. de Treneuil à l'aspect d'Albert, mauvaise humeur qu'il dissimule en sa présence, et évanouie toutà-fait à l'annonce de son mariage avec Montigny? Quelle cause assigner au trouble du marquis, à l'agitation de la marquise? Ces idées, ces remarques

faux, l'amitié, les plaisirs, l'amour ; là, l'agitation n'est pas la gaieté, c'est du bruit autour de la tristesse.

occupent Isabelle, quand Léonce se présente : la scène va changer. Le motif d'une pareille visite? Chargé de défendre les intérêts de d'Ambleville, il sollicite un entretien de M. de Treneuil, une explication d'Albert, explication vive, dont quelques mots parvenus jusqu'a Mule de Monville révèlent l'indé. licatesse du comte et la générosité de son rival malheureux, incapable de perdre un ami, un sauveur. Isabelle, au milieu d'une foule de pensées qu'elle tremble d'interpréter, envisage déjà le monde sous un aspect moins brillant, et Mme de Treneuit achève de briser ses croyances, la désenchante de ses réves, définit la situation d'une femme délaissée par un mari injuste, et qui, révoltée, la tyrannise, prête une oreille complaisante à d'étranges déclarations, voit le piége; prés d'y tomber, échappe en forçant celui qu'elle aime encore à porter vers un autre, libre du moins, des vœux qu'il lui adressa si long-temps. Une clarté soudaine frappe Isabelle... Elle se souvient; elle interprète; sa raison conçoit; son cœur devine... La dame qui souffre, c'est Charlotte;. l'amant dont elle veut se séparer, c'est Montigny... Eh bien! qu'on differe l'hymen! elle a besoin de revoir sa bienfaitrice..... Oh! comme ils l'ont trompée!

Acteurs éloignés d'une scène aussi singulière, Léonce et sa mère gémissent croyant tout espoir anéanti. Nul doute, l'orpheline est maintenant comtesse; Léonce voyagera de nouveau: pourrait-il supporter l'idée d'un bonheur qui le tue, mais qu'il ne regrette pas, si Albert sait apprécier le trésor inestimable dont il est possesseur ? Avant de dire un dernier adieu à tout ce qu'il chérit, l'avocat peut terminer l'affaire de l'ami, du client; court forcer Grivelet, intimidé, de rendre les papiers d'une correspondance dont la reproduction perdrait Albert... Ne lui sauva-t-il pas la vie? Isabelle rentre alors. Quoi! deux jours seulement, et deux jours d'une triste expérience se sont passés depuis qu'elle a quitté cette maison si calme où s'écoulèrent, pour la pauvre orpheline, tant d'années délicieuses, où tant d'amour l'environne, et à peine a-t-elle entrevu ce monde, qu'elle souhaitait tant connaître, que déjà elle en a peur! Tout s'y montre

Une lettre de Léonce s'offre à ses regards, dit l'affection sincère qu'elle su t lui inspirer; et elle a pu méconnaître une âme si généreuse! Ingrate envers l'amour, envers l'amitié, un caprice l'entraîna loin des seuls êtres qu'elle doit aimer! Tant de souvenirs pénibles l'assiégent, lorsque Albert, héritier impromptu de soixante mille livres de rente, vient, radieux, les mettre aux pieds de l'orpheline. Léonce, certain alors que d'Ambleville touchera ses deux cent mille fr., qu'à l'avenir le comte ne se mêlera plus d'affaires déshonorantes, jette au feu les titres accusateurs contre Montigny; rien ne s'oppose donc au riche mariage de sa sœur et d'Albert. A elle enfin les plaisirs, le tumulte du grand monde, jet de tous ses vœux ; à lui, pauvre, la retraite, le travail. Ah! oui, s'écrie Isabelle, la retraite, point d'or, Léonce, et mon cœur et ma main vous appartiennent si vous m'avez pardonné ! Albert se résigne, retourne en Italie, et Charlotte cherchera encore long-temps le bonheur.

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Cette pièce participe de la comédie et du drame : à l'une elle tient par l'esprit et le bon goût, par le charme des détails; à l'autre par l'énergie, l'intérêt, des émotions douces et pénibles. L'action, sauf quelques longueurs, dėja disparues, quelques teintes mal fondues ou peu théâtrales dans le rôle d'Albert, dans la physionomie peut-être trop effacée de Treneuil, procède, rapide, effrayante, les incidents arrivent, naturels, produits avec art, avec adresse. Là nul épisode oiseux, inutile, n'interrompt, n'embarrasse l'intrigue, simple mais alerte. Deux scenes bien posées, d'un effet dramatique, saisissant, résultat d'une étude ingénieuse du théâtre, celles où Léonce reçoit d'Isabelle l'aveu de son amour pour Montigny, quand il espérait une confidence toute différente; où la marquise, entraînée par l'amitié, laisse deviner à Me de Monville les chagrins, les combats d'une femme dédaignée, abandonnée, qui lutte contre une passion coupable, et révèle quel motif lui fait désirer l'hymen du comte avec elle; le caractère si vrai, si délicieusement ob

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