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Tel a été le point de départ de M. Victor Hugo. La valeur purement dramatique de Puy Blas est incontestable; c'est toujours un grand essai de l'art nouveau qui travaille à la démolition de l'art ancien.

Dans cette œuvre trop féconde en incidents bizarres, et où le caractère de la vraisemblance, le naturel scénique et les formes de la morale exté rieure ne sont pas assez respectés, il y a cependant une forte et puissante idée qui n'a pas été entièrement comprise par la critique. C'est ainsi que le grand écrivain a peint la noblesse espagnole finissant avec le 17 siècle, sous les deux figures de don Salluste et de don César, figures moitié héroïques et moitié viles, images de l'effronterie du zin garo et de la grâce impudente du marquis castillan, de 4695.

Et au dessous de ce royaume qui chancèle, de cette dynastie qui s'éteint, de la loi qui tombe avec l'unité politique, au-dessous de la noblesse ainsi partagée, ainsi arrogante dans sa chute, on voit remuer dans l'ombre quelque chose de grand, de sombre et d'inconnu, c'est le peuple. Le peuple qui a l'avenir et qui n'a pas le présent, ayant, comme dit l'illustre poète, sur le dos les marques de la servitude, dans le cœur les préméditations du génie...

Ruy Blas nous a semblé le Figaro des temps modernes, dont les saillies et la jeunesse ont passé, et dont la méditation commence. Ruy Blas s'est fait valet par ambition, comme Figaro reste valet par insouciance; l'un prend la livrée pour monter, l'autre la garde pour insulter aux grands par la bassesse de sa condition et par son esprit. En un mot, Figaro c'est l'ironie en livrée, Ruy Blas c'est l'ambition sous l'habit de la servitude.

Quant au mérite littéraire de l'ouvrage, nous ne le nierons pas. Ce drame contient de grandes beautés de style; mais nous aurions désiré que la transaction nécessaire à opérer entre l'art ancien et l'art moderne, entre la forme antique et la nouvelle forme s'ac. complit plus dans l'esprit et le plan de P'œuvre, et moins dans la lettre, la syn. taxe et la prosodie. La majesté d'un talent pareil à celui de M. Victor Hugo n'a pas besoin des draperies du 15° siecle pour commander l'admiration, et

si Shakspeare revivait de nos jours, il ne chercherait pas son originalité dans son vers et dans sa phrase, mais dans les allures de sa pensée, et le déroulement naturel et indépendant de son génie.

La littérature pure, du reste, a été cette année en déclinant en sens inverse de la littérature savante. Nos grands maîtres n'ont pas répondu à l'attente de l'opinion publique. Le génie romancier de G. Sand a baissé dans la froide composition de la Dernière Aldini, espèce d'aventure de la vie commune couverte sous les plis d'une toge italienne. L'attention publique a néanmoins été réveillée par les 4 et 5o volumes des Salons de Paris de la duchesse d'Abrantės, qui jetait dans ces curieux et élégants souvenirs du directoire, du consulat, de l'empire et de la restauration, comme le reste de son âme et de sa brillante mémoire. Exactitude des portraits, couleur locale, aperçus fins et parfois profonds, jugements rapides, et rappelant souvent le coup d'œil de madame de Staël sans en avoir la vigueur; intérêts graves, effets grandioses, causes futiles, tout se trouvait réuni sous la plume de cette femme deux fois illustre, et douée de toutes les séductions d'un esprit toujours jeune.

La Femme supérieure de Balzac n'ajoute rien à la réputation de notre premier romancier. Il y a dans la vie féconde d'un auteur des repos pendant lesquels l'esprit conserve le même niveau ; ce nouvel ouvrage est un de ces repos. La Femme supérieure de Balzac est véritablement une femme supérieure; tombee d'une haute position dans un état précaire, elle résiste a l'orage des événements, relève le courage abattu de son mari, maintenant simple chef de bureau n'ayant pas des millions pour appointements. Ses flatteries, ses séductions, sa grâce ont tant de pouvoir, qu'elle parvient à faire de son mari un personnage et après mille travèrses, mille circonstances que cet admirable écrivain sait si bien dépeindre, si bien créer, notre mari peù capable se réveille ministre sous l'égide de cette nouvelle dame Rollaud. Cet ouvrage a de grandes beautés assurément; cependant on attendait plus de lien dans l'intrigue, un intérêt plus soutenu et un style plus châtié de la part

de l'auteur des Scènes de la Vie privée et d'Eugénie Grandet. On a le droit d'être difficile avec les écrivains dont la destinée est de grandir toujours et de tenir sans cesse en haleine notre admiration.

Cettequasi-décadence atteignit aussi A. Dumas. En 1837, il avait échoué au théâtre dans Caligula en voulant copier Racine, dont l'école est morte et le génie inimitable; il n'obtint pas un succés digne de son flexible et admirable talent en publiant le Capitaine Paul, où les duels, les aventures galantes et tout le bagage romantique renouvelé de ses prédécesseurs, ne fondent pas assurément cet intérêt unique et sérieux de tout ouvrage même frivole, qui doit vivre par la peinture noble ou bizarre, mais toujours vraie, du cœur humain,

Heureusement que deux écrivains au style coloré et à l'imagination riche et savante, viennent en aide à cette mauvaise année littéraire. Le Conne

table de Bourbon, par M. Alph. Royer, est un épisode remarquable de notre histoire. La figure du connétable, ce Coriolan du 16 siècle, esprit vindica. tif et passionné, et celle de Bayard, ce symbole du soldat chrétien mourant pour son prince et son pays, dominent le récit et attachent profondément; ce roman est une œuvre attrayante et utile qui met son auteur en lumière et aux premiers rangs.

Le Chevalier Robert, de M. Charles Didier, l'auteur de Rome souterraine, est un de ces livres dont l'intérêt ressortit d'une pensée supérieure. Indépendamment de la forme élégamment capricieuse, du style dont les mille reflets étonnent par la nouveauté de leurs couleurs, il y a au fond une conception large et qui, comme dans tous les ouvrages de cet écrivain, tend toujours une main vers l'avenir. Le Chevalier Robert, dont la polémique des journaux s'empara tout d'abord, est une antithese entre le dévouement et l'égoisme social; un proscrit européen rencontre à Maroc un renégat qui fuit la civilisation avec la même ardeur que le proscrit (qui n'est autre que le che valier Robert) met à la faire triompher. Ils se racontent leurs aventures sous le ciel africain, et la profession de foi du proscrit qui ouvre le deuxieme

volume est assurément un des morceaux les plus élevés qui soient sortis de la plume de cet écrivain,

Il y a partout dans cette œuvre une sorte de sérénité démocratique qui rappelle l'ex-rédacteur du Monde, et la grande maniere de M. de Lamennais, et l'on rencontre çà et là quelque chose du Contrat Social, dans les causeries, les méditations et les caprices du romancier philosophe.

La moisson poétique est encore plus mesquine que de coutume. Le ciel français devient de plus en plus avare de poètes; les uns disent que c'est un progrés, les autres, un signe de décheance. Le lecteur décidera. Le Prométhée de M. Edgar Quinet est une sorte de paraphrase du Prométhée d'Eschyle. Cette idée du combat de l'homme contre la nature est revêtue d'une poésie quelquefois grandiose, toujours emphatique, souvent grotesque; elle ne manquerait pas de grandeur, si l'auteur était moins dans sa phrase et plus dans sa pensée, et si la nouveauté du rhythme n'était pas aujourd'hui le passeport des conceptions du passé.

Une autre chute à signaler est, pour nous servir du mot consacré, la Chute d'un Ange, par M. de Lamartine. Get épisode, qui remplit deux volumes, appartient à une œuvre qui est encore dans la pensée du poète devenu homme politique.

L'homme a deux mains, a dit Victor Hugo, j'en conviens; cependant la force que vous placez à gauche est perdue pour la droite ; et rarement l'homme de l'avenir, le poète, peut mouiller ses ailes dans l'eau stagnante des réalités sans alourdir son vol et sans ternir sa transparence. Il n'y a pas lieu de contester le génie poétique de l'auteur des Méditations, mais il est du devoir de la critique désintéressée de rappeler les grands écrivains qui honorent le pays, à ce premier rôle dont ils ne devraient jamais tomber. En somme la conception de la Chute d'un Ange est sublime, mais la manière, le récit, les vers sont au-dessous du talent connu de M. de Lamartine.

Il nous reste pour nous consoler une petite fleur poétique; fleur posthume éclose de la tombe d'un jeune homme; nous voulons parler du Myosotis par Hégésippe Moreau, ce Gilbert du 19.

siècle, mort comme lui à l'Hôtel-Dieu, au milieu d'une jeunesse désespérée et qui cependant était si riche d'espoir et si précoce en talents. Les pièces détachées qui composent ce recueil, triste et radieux testament d'une âme passionnée et d'un cœur aimant, ont nonseulement le cachet d'originalité qui fait, qui crée le poète, elles se recommandent encore par la méthode, la beauté, l'harmonie du style. Il y a du Gilbert et du Millevoye dans ce jeune martyr de ses idées. Hégésippe Moreau n'étudiant qu'à l'école de son cœur,

est M. Théaulon, qui, pour sa part. compte dix nouveautés, Après lui viennent MM. Anicet Dennery et Laurencin, pour 8; Jaime, Vanderbuch et Lubize, pour 7; Bayard, Dumanoir, Cogniard, Courcy, Desnoyers Duport et Corman, pour 6. Huit compositeurs seulement avaient pu se faire jouer en 1837; plus heureux cette année, on en compte 16.

Les événements les plus remarquables de l'année sont : l'incendie du ThéâtreItalien (salle Favart) et du théâtre du Vaudeville (rue de Chartres); l'ou

debout entre les anciens et les moder-verture de la Renaissance (salle Vennes, loin des partis extrêmes, près de la vérité qui réside dans le sentiment, a laissé un de ces vestiges que le temps n'efface pas et que la postérité, cette déesse au pied tardif, recueille toujours.

Il nous reste à faire l'inventaire des productions théâtrales en 1838.

Le nombre des nouveautés dramatiques augmente d'année en année : en 1834. on n'a joué que 188 pièces nouvelles; en 1835, il y en a eu 221; en 1836, 296; en 1837, 298. Si l'année 1838 n'en a vu naître que 285, cela tient à la fermeture du Vaudeville depuis cinq mois. En voici le détail par théâtre (dans ce relevé n'est pas mentionnée la reprise d'anciens ouvrages): Académie Royale de musique, 3; Théâtre-Français, 12 ; Odéon, 4 ( une comédie et 3 drames); Théâtre-Italien, 2 (opéras); Opéra-Comique, 11; Théâtre de la Renaissance, 6; Gymnase, 23; Vaudeville, 13; Variétés, 28; Palais-Royal, 21; Gaîté, 29; Ambigu, 24: Porte Saint-Martin, 13; Cirque, 7; Théâtre-Choiseul, 48; Panthéon, 18; Saint-Antoine, 39; total 285.

Le nombre des auteurs a été en proportion de celui des pièces: de 127, il s'est élevé, en 1837, à 219. Cette année, il est de 218. Le plus productif

tadour), et du théâtre St-Marcel, Les animaux qui ont été en faveur dans la plupart des théâtres de Paris: des pigeons au Palais-Royal, le chien Moustache aux Variétés, les chiens du mont St-Bernard à l'Ambigu,une biche aux Folies Dramatiques, les singes au Cirque, un âne et autres bêtes de toute espèce à la Porte StMartin. Maria Padilla et la Popularité sont les pièces qui ont produit les plus fai bles recettes à la Comédie-Française, où Mlle Rachel, au contraire, a constamment attiré une foule immense. De toutes les nouveautés dramatiques de 1838, c'est le Sonneur de Saint-Paul, joué à la Gaîté, qui a rapporté le plus d'argent.

Dans cette revue ne figurent point le Gymnase des Enfants (où l'on a joué 27 ou 28 nouveautés), le théâtre du Luxembourg, les Acrobates, les Funambules, le Petit-Lazary, le théâtre Saint-Laurent, le théâtre Saint-Marcel et une foule d'autres petits spectacles.

Les trois pièces qui ont le plus marqué cette année sont: Ruy-Blas, la Popularité et le Sonneur de Saint-Paul.

Les compositeurs de musique dont on a exécuté les partitions sont : MM. Adolphe Adam, Halevy, Auber, Clapisson, Berlioz et Donizetti.

NÉCROLOGIE

OU

LISTE DES PRINCIPAUX PERSONNAGES MORTS EN 1838.

Le signe † veut dire mort; le signe ? que la date précise n'est pas connue.

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4. Duret, membre de l'assemblée législative, ancien sous-préfet, à Saint-Jean-d'Angely. Il était président honoraire du tribunal civil de la même ville.

12. Le général Dervieu-Duvillars, à Lyon, âgé de 89 ans, ancien commandant en chef de la garde nationale de Lyon.

Le prince Maximilien, père du roi de Saxe, † à Dresde. Il était né le 13 avril 1759.

15. Severini, régisseur du Théâtre Italien, † à Paris.

18. Le commandeur Berlinghieri, ministre résident du grand-duc de Toscane, † à Paris, âgé de 76 ans.

niste,

7. Le lieutenant général, comte de Nacke, à Magdebourg, dont il était commandant supérieur.

12. Libon, célèbre violoniste, † à Paris, âgé de 63 ans.

15. Louis-Jean-André Doria Pamphili-Landi, prince de Valmontone, âge de 58 ans.

17. Le comte de Bouville, ancien député de la noblesse aux états-généraux de 1789, † à Paris, âgé de 79

ans.

18. Le marquis César de Vérac, premier chambellan de feu Charles X, maréchal de camp en retraite, † à Paris.

23. Thévenin, peintre d'histoire, membre de l'Académie des beauxarts, ancien directeur de l'Académie de Rome, âgé de 75 ans.

? Le marquis d'Osmond, pair de France, † à Paris.

? Le baron Silvestre de Sacy, pair de

Ferdinand Ries, célèbre pia- France, † à Paris, âgé de 80 ans.
à Francfort.

25. Heudelot, naturaliste voyageur,

† au Sénégal.

30. Joseph Grassi, un des peintres les plus célèbres de l'Allemagne, † à Dresde, âgé de 81 ans.

FÉVRIER.

6. Grégoire-Marie Fagot, membre de la Convention, † à Toul, âgé de 87

ans.

MARS.

4. Le lieutenant général comte Dupont-Chaumont, †à Paris. Il était né en 1759.

17. Dom Antoine Nourigian, archevêque catholique, Arménien, de Constantinople, à Galata.

26. Fouques-Dupare, inspecteur divisionnaire des ponts et chaussées, officier de la Légion d'Honneur, directeur

des travaux hydrauliques du port de Cherbourg, à Paris.

28. Le barou de Fagel, frère du ministre des Pays-Bas, à Paris, ancien ambassadeur de Hollande à Londres, †à La Haye.

30. Le marquis de Rougé, pair de France démissionnaire, † à Paris.

AVRIL.

4. Castellan, peintre, membre de l'Académie des beaux-arts, † à Paris, âgé de 66 ans.

7. François de Bovet, ancien archevêque de Toulouse, † à Paris, âgé de 93 ans.

8. Le lieutenant-général baron Valazé, à Nice (états sardes).

Le général F.-C. de la Harpe, ancien directeur de la république helvétique, et précepteur de l'empereur Alexandre, à Lausanne, âgé de 84

ans.

9. Fauvel, ancien consul de France à Athènes, †à Smyrne, âgé de 85 ans. 40. Le docteur Salmade, membre de l'Académie royale de médecine, † à Paris, âgé de 72 ans.

18. Le marquis de Catellan, pair de France, à Toulouse, âgé de 79 ans.

21. De Rougemont, ancien directeur des douanes, chevalier de la Légiond'Honneur, à Paris.

24. Valadon, conseiller-référendaire de la cour des comptes, † à Paris.

30. Daburon, ancien inspecteur-général, † à Paris, âgé de 80 ans.

ΜΑΙ.

3. Le duc Archambault de Talleyrand-Périgord, frère puîné du prince Talleyrand, et père du duc de Dino, †à Saint-Germain, âgé de 78 ans.

11. Le comte Cailia, chevalier de la. Légion-d'Honneur, un des régents de la Banque, † à Paris.

? Liez, proviseur du collège de Henri IV, † à Paris, âgé de 45 ans.

12. Le comte Nowosikoff, président du conseil de l'Empire, † à Pétersbourg.

Le lieutenant-général Weljaminoff II, commandant du corps d'armée du Caucase.

46. Joseph-Michel-Jean-Baptiste

Paul-Augustin Nicolon de Guérines, évêque de Nantes, †à Nantes. Il était né le 8 septembre 1760.

19. Le lieutenant-général baron de Bigarré, à Rennes, âgé de 64 ans.

20. Le prince de Talleyrand, †à Paris, âgé de 80 ans.

? Le comédien Potier, l'un des meilleurs comiques, †à Fontenay-sousBois, âgé de 64 ans.

JUIN.

5. Pozzo di Borgo, neveu de l'ambassadeur russe à Londres, payeur du departement de la Corse, † à Ajaccio, âgé de 45 ans.

6. Le général Jan-Willems Janssens, un des citoyens les plus distingués de la Hollande, à La Haye, âgé de 76 ans.

8. Madame la duchesse d'Abrantes, n à Chaillot, âgée de

9. Ramey père, sculpteur, membre de l'Institut, † à Paris, âgé de 84 ans.

21. Le comte de Montgelas, ancien ministre d'état de la Bavière, † à Munich, âgé de 79 ans.

25. Le comte de Divonne, ancien pair de France, maréchal-de-camp en retraite, dans le département de l'Ain.

? Casimir de Bonnefoux, ancien contre-amiral et préfet maritime de Boulogne, à Peyssot (Lot-et-Garonne), âgé de 76 ans.

27. Le lieutenant - général Haxo, pair de France, †à Paris, âgé de 64

ans.

JUILLET.

2. Le lieutenant-général baron Delaitre, † à Paris, âgé de 62 ans.

6. Madame la vicomtesse Montmorency - Laval, née LarochefoucauldLiancourt, †à Paris, âgée de 87 ans.

7. Itard, médecin des sourds-muets, membre de l'Académie de médecine, †à Paris.

15. Le maréchal-de-camp baron Vinot, grand officier de la Légion-d'Honneur, † en Béarn.

17. Le marquis de la Ferronays,'t à Ancenis, âgé de 81 ans.

? F. Courant, ingénieur en chef des ponts-et-chaussées, †à Aurillac.

19. Le général Morillo, comte de Carthagène, † à Madrid.,

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