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PROCÉDURE CIVILE.

INTRODUCTION.

1. Le mot procédure, qui vient du latin procedere, s'avancer, indique une marche à suivre. Dans tout État bien constitué, l'exercice régulier d'un droit, soit dans les rapports des particuliers entre eux, soit dans leurs relations avec le pouvoir social, suppose nécessairement certaines formes déterminées à l'avance. Ainsi, la manière dont doivent agir ceux qui ont affaire à l'administration est l'objet de la procédure administrative; ainsi, les pouvoirs mêmes de l'Etat fonctionnent suivant certaines formes, qu'on pourrait appeler la procédure du droit constitutionnel. On voit que l'idée de procédure n'a rien en soi de particulier à l'administration de la justice, puisqu'elle implique seulement la notion d'une marche régulière, marche qui doit se retrouver dans toutes les parties de la constitution sociale.

2. Nous ne nous arrêterons pas longtemps à défendre les formes judiciaires contre les attaques auxquelles elles ont été souvent en butte. Montesquieu s'était fait dans sa jeunesse l'organe passionné de ces attaques (1). Mais, plus tard, lorsque son esprit a été mùri par l'expérience, il s'est exprimé bien différemment. On a souvent cité le passage suivant de l'Esprit des lois (liv. VI, ch. 2).

« Si vous examinez les formalités de la justice par rapport à la peine qu'a un citoyen à se faire rendre son bien, ou à obtenir satisfaction de quelque outrage, vous en trouverez sans doute trop. Si vous les regardez dans le rapport qu'elles ont avec la liberté et la sûreté des citoyens, vous en trouverez souvent trop peu ; et vous verrez que les peines, les dépenses, les longueurs, les dangers même de la justice sont le prix que chaque citoyen donne pour sa liberté. "

(1) Il serait assez difficile de décider, » disait-il (101° lettre persane), « si la forme s'est rendue plus pernicieuse lorsqu'elle est entrée dans la jurisprudence, ou lorsqu'elle s'est logée dans la medecine; si elle a fait plus de ravages sous la robe d'un jurisconsulte que sous le large chapeau d'un médecin, et si, dans l'une, elle a ruiné plus de gens qu'elle n'en a tué dans l'autre. »

Enfin, dans un autre passage du même ouvrage (liv. XXIX, chap. 1er), l'illustre publiciste marque les limites dans lesquelles doit se tenir le législateur, en signalant deux excès contraires : « donner à une partie le bien de l'autre sans examen, ou les ruiner toutes deux à force d'examiner. » Les frais judiciaires sont, comme les autres impôts, parfaitement justifiables, s'ils sont modérés; pernicieux, au contraire, s'ils sont exorbitants. Il faut remarquer d'ailleurs, ainsi qu'il sera facile de nous en convaincre dans la suite de cet ouvrage, que l'élévation des frais tient moins à la marche de la justice en elle-même qu'à l'intervention de la fiscalité.

3. C'est l'esprit de réaction exagérée contre la complication des formes qui a fait prendre en quelque sorte pour devise de la procédure cette règle souvent répétée par les auteurs: célérité dans la marche, économie dans les frais. Si c'était là le type absolu d'une bonne procédure, la justice grossière des peuples barbares serait la meilleure de toutes, car c'est évidemment la plus expéditive. S'attacher à cette règle, c'est prendre une qualité accessoire très-précieuse pour une donnée fondamentale. Quel est, en effet, le but de la procédure? Ce but n'est autre que le but même du droit, dont la procédure est la mise en œuvre arriver à la découverte de la vérité, constater les faits, puis faire justice, en appliquant la loi aux faits constatés. Ce qu'il faut donc rechercher avant tout, c'est la découverte de la vérité ; et si, pour atteindre ce but, on est obligé de suivre une marche assez compliquée, de faire des frais assez considérables, il faut s'y résigner sans hésiter, puisque, après tout, la célérité, l'économie ne sont que des qualités accessoires au prix de la justice, but de toute procédure.

4. La marche de la procédure civile se distingue essentiellement de la marche de la procédure criminelle, en ce que l'initiative y est laissée à l'action des particuliers, dont les conclusions doivent servir de base à la décision du juge; tandis qu'en matière pénale, l'Etat est habituellement la partie principale, et le juge recherche d'office la vérité, en ne se préoccupant que de l'intérêt public (1).

5. Mais, avant d'aborder l'examen détaillé des diverses parties de la procédure, il convient de jeter un coup d'œil historique sur la législation relative à notre matière. Toutefois l'histoire externe de la procédure exige, pour être bien comprise dans tous ses développements, un examen approfondi, qui dépasserait les bornes d'un ouvrage élémentaire. Nous devons nous contenter ici de donner quelques notions essentielles, renfermant ce qu'il n'est pas

(1) En Prusse, le Code de procédure du 6 juillet 1793 avait introduit dans les affaires civiles une marche analogue à celle de la procédure criminelle; mais ce système a été changé par une loi du 21 juillet 1846.

permis d'ignorer sur la législation antérieure au Code de procédure, sur l'historique même de ce Code, enfin sur les lois qui sont venues le compléter et le modifier.

I. Législation antérieure au Code de procédure civile.

6. Les formes judiciaires, qui se rattachent intimement à l'organisation même des tribunaux, ont suivi les mêmes vicissitudes historiques qu'a subies cette organisation, dont nous nous sommes occupé dans un traité spécial, complément indispensable de celui-ci.

7. Dans les siècles qui suivirent l'invasion des barbares, l'usage de l'écriture étant encore fort peu répandu, la manière de procéder en justice était fort simple. La citation se donnait verbalement, et elle était prouvée par témoins. Les plaids inférieurs, où se rendait habituellement la justice, étaient tenus par le comte, avec l'assistance d'échevins (Org. jud., n° 8). Les débats qui avaient lieu dans ces plaids, ont donné naissance à l'expression moderne plaider. La demande et la défense se proposaient verbalement, les échevins disaient ce qu'ils croyaient être la coutume (dicebant legem), le comte recueillait leurs suffrages, prononçait la sentence et la faisait exécuter. Il n'y avait, dans cette procédure, ni interrogatoire, ni discussion des témoignages, ni examen raisonné des faits. On s'en rapportait, tantôt aux ordalies (1) ou épreuves judiciaires par l'eau, par le feu, par le combat, etc.; tantôt à la déclaration sous serment des parties, ou d'un certain nombre de parents ou voisins, que l'on nommait conjuratores (2).

Les assises féodales ne furent (ib., n° 12) qu'une transformation des anciens plaids. Le seigneur et les vassaux y jouaient un rôle analogue à celui du comte et des échevins dans l'époque germanique. L'épreuve qui y fut le plus en vogue fut le combat judiciaire, en harmonie avec les mœurs violentes des temps féodaux. Le serment, qui faisait appel à la croyance religieuse et non pas la bravoure guerrière, à la force morale et non pas à la force physique, était envisagé avec faveur par l'Église (3). Mais la fréquence des parjures devint un scandale énorme. De là une réaction bien marquée, qui étendit et fortifia la pratique du combat judiciaire (4), l'épreuve des braves, tandis que le serment était l'épreuve des laches.

(1) Da mot allemand urtheil, jugement, par allusion au jugement de Dieu.

(2) Voy., sur cette institution des conjuratores, notre Traité des preuves, no 377. (3) Aussi appelait-on purgatio canonica la justification qui reposait sur le serment de l'accusé. Plus tard, quand il devint plus facile d'administrer des preuves régulières, et qu'il n'y eut plus à opter entre le combat et le serment, Grégoire XI (en 1374) restreignit, même dans le droit canonique, l'autorité de ce dernier mode de

preuve.

(4) Le duel s'appliquait aux matières civiles, et même aux questions de droit, puisque, en 942, ce fut par l'issue d'un combat judiciaire que triompha le principe de la représentation en ligne didirecte dans les successions.

Mais peu à peu il s'introduisit une grande complication dans la procédure féodale par l'intervention des légistes. On finit par restreindre à des cas spécialement déterminés la faculté de donner des gages de bataille, et le combat même fut assujetti à des règles techniques, qui le firent dégénérer en un acte de procédure. « Comme il y a une infinité de choses sages, » dit encore Montesquieu (Esprit des lois, liv. XXVIII, ch. 25), « qui sont menées d'une manière très-folle, il y a aussi des folies qui sont conduites d'une manière très-sage. » Beaumanoir, dans ses Coutumes de Beauvoisis (ch. 61 et suiv.), nous retrace les formalités compliquées requises de son temps pour l'admission des gages de bataille, gages qui s'appliquaient du reste à toutes les phases de la procédure, et que l'on pouvait requérir, soit contre la partie adverse, soit contre ses témoins, soit contre les jugeurs, quand on les accusait de faux jugement. Ces complications, introduites par les jurisconsultes, dénaturèrent l'institution du combat et en préparèrent la

ruine.

L'action des légistes ne tarda pas à se faire sentir dans toute la procédure féodale, qui dévia peu à peu des traditions germaniques. La semonce ou ajournement, qui se faisait toujours de vive voix, devint l'œuvre d'officiers spéciaux, de sergents, ce qui devait lui donner un caractère technique. Les parties présentaient aussi verbalement les demandes et les défenses. Mais bientôt on sentit la nécessité de fixer les points essentiels sur lesquels devait porter le débat, et notamment ceux dont on demandait à faire preuve. Aussi prit-on l'habitude d'arrêter par écrit ce dont les parties entendaient avoir jugement. Ces rédactions sommaires, qui étaient appelées rubriques, furent un acheminement à la procédure par écrit. On pourrait comparer ces rubriques de la procédure féodale aux formules du droit romain, qui furent un intermédiaire entre les formes toutes matérielles, toutes dramatiques des legis actiones, et la procédure toute technique des judicia extraordinaria.

8. Ce fut le droit canonique qui, en puisant aux sources de la législation romaine du Bas-Empire, prit l'initiative d'une procédure savante. L'emploi de la langue latine, conservée par le clergé, contribua beaucoup aux progrès de la juridiction ecclésiastique, dont nous avons signalé ailleurs (Org. jud., no 15 et suiv.) le légitime ascendant au moyen âge. Le droit devint une science peu accessible aux laïques, qui n'en pouvaient même comprendre les expressions (1). La procédure canonique se distinguait surtout de la procédure laïque par les nombreuses écritures qui y étaient employées. On sait (Org. jud., n° 151) que la législation ecclésiastique n'a pas été étrangère à l'établissement du ministère public, et que c'est

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(1) Li clerc, dit Beaumanoir (ch. VI, § 1), « ont une manière de parler mout bele le latin; mais li lai qui ont à pledier contre aus en cort laie, n'entendent pas bien les mos meismes qu'il dient en françois, tous soient il bel et convenable el plait, «

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incontestablement à elle (ib., n° 329) qu'il faut rapporter l'origine des greffiers, si utiles pour la stabilité et la régularité des décisions judiciaires. A mesure que nous passerons en revue les diverses parties de la procédure, nous verrons également que beaucoup d'excellentes institutions : les règles sur les actions possessoires, la condamnation aux dépens du plaideur qui succombe, etc., nous ont été transmises par le droit canonique.

Et en effet, l'intime union qui existait jadis en France entre le roi et l'Eglise se reproduisit dans l'ordre judiciaire, où la justice royale conquit sa suprématie sur la justice féodale à l'aide des heureux emprunts qu'elle fit au droit ecclésiastique. Les Capitulaires de Charlemagne sont en grande partie l'œuvre des évêques. Les Établissements de saint Louis puisent aux sources du droit canonique les dispositions larges et fécondes par lesquelles ils se détachent des traditions féodales. Enfin, au XIVe siècle, lors du séjour des papes à Avignon, nos tribunaux se pénétrèrent des principes qui dominaient dans les juridictions spirituelles, principes dont la plupart se sont transmis jusqu'à nos jours. C'est de cette époque que date l'organisation régulière des avocats et des procureurs. Cette révolution dans les habitudes judiciaires marche de front avec celle qui fit passer les clercs de la position d'assesseurs (1) dans les tribunaux laïques à celle de jugeurs (ib., n° 27 et 34). A mesure que les pièces écrites, qui n'étaient dans l'origine que de simples documents, acquirent une plus grande importance, par suite de la complication des affaires et des progrès de l'instruction, les clercs, seuls capables de les rédiger et de les interpréter, acquirent une immense prépondérance. Les juges d'épée, au contraire, virent tomber leur influence à mesure que le combat judiciaire, condamné par l'Église et par les ordonnances royales, perdit du terrain dans la pratique.

Les formalités mêmes de la procédure écrite, qui ont donné à notre procédure une allure extrêmement technique, furent un bienfait à cette époque, puisqu'elles tendirent à écarter des assises les hommes illettrés, à faire de la pratique du droit une profession, et des tribunaux une institution permanente. Le trait caractéristique du nouveau système judiciaire, ce fut la substitution des enquêtes aux gages de bataille, substitution commencée par saint Louis, mais que ce prince n'avait pu effectuer complétement, même dans ses domaines, puis achevée dans le XIVe siècle, qu'on pourrait appeler le siècle des légistes. Nous verrons en parlant des enquêtes comment s'y introduisirent peu à peu les formes techniques telles qu'elles ⚫ existent encore aujourd'hui. Mais la procédure civile ne fut jamais complétement secrète comme la procédure criminelle; la publicité

(1) Les assesseurs étaient chargés de faire les rapports de là l'origine des fonctions de rapporteur, longtemps séparées de celles de juge. Il y a encore aujourd'hui, à la cour des comptes, des référendaires distincts des conseillers maitres (décret du 28 septembre 1807, art. 14 et suiv.).

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