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refuse de voir une nullité radicale dans l'absence du préliminaire. 45. La nécessité de faire précéder d'une citation en conciliation l'exploit introductif d'instance ne doit pas tourner au détriment de celui à qui elle est imposée. Or, il peut lui importer de hâter sa demande, soit pour interrompre la prescription, soit pour faire produire des intérêts à une créance qui n'en produirait point par elle-même. Il était juste dès lors d'attribuer, par anticipation en quelque sorte, à la citation devant le bureau de paix, les mêmes effets qui s'attachent à la demande. Toutefois le Code de procédure apporte à la législation antérieure un sage tempérament, en exigeant que la demande soit formée dans le mois à partir de la non-comparution ou de la non-conciliation: autrement, on eût pu, au moyen d'une simple citation en conciliation, conserver indéfiniment des droits litigieux, sans jamais entamer le procès d'une manière sérieuse (1).

La citation en conciliation, dit l'article 57, interrompra la prescription et fera courir les intérêts; le tout, pourvu que la demande soit formée dans le mois, à dater du jour de la noncomparution ou de la non-conciliation.

Au surplus, cette disposition n'a trait qu'à la prescription et aux intérêts. Il n'est nécessaire d'ailleurs de réitérer la citation, pour pouvoir agir en justice, ni au bout d'un mois, ni même au bout de trois ans, car la règle qui veut que toute instance soit périmée au bout d'un laps de trois ans (art. 397), ne saurait s'appliquer au préliminaire, puisque la procédure contentieuse peut seule être qualifiée d'instance.

On se demande, à cet égard, si la comparution volontaire doit produire les mêmes effets que la citation. Quant à l'interruption de la prescription, qui doit être envisagée avec faveur, il faut admettre que la comparution du défendeur, impliquant une sorte de reconnaissance de la dette (Cod. Nap., art. 2248), doit équivaloir à la citation. Il importe d'ailleurs d'encourager la comparution volontaire, qui évite les frais et facilite les transactions. Mais il est difficile, dans la même hypothèse, de faire courir les intérêts, qui sont vus d'un œil beaucoup moins favorable par le législateur, puisqu'une demande (ib., art..1153) est spécialement exigée à cet égard, et qu'une reconnaissance ne suffit nullement pour produire cet effet, tandis qu'elle suffit pour interrompre la prescription.

III. Comparution ou non-comparution des parties.

46. La nature même du préliminaire demandait la comparution personnelle des intéressés.

Les parties comparaîtront en personne, dit l'article 55; en cas d'empêchement, par un fondé de pouvoir.

(1) La loi du 24 août 1790 exigeait bien que la demande fût suivie d'ajournement; mais, comme il n'y avait pas de délai fixé pour cet ajournement, la restriction devenait illusoire,

On présume dans l'usage qu'il y a empêchement légitime par cela seul que la partie juge à propos de se faire représenter.

47. La loi du 27 mars 1791 défendait (art. 16) aux avoués, greffiers et huissiers de représenter les parties devant les bureaux de paix (1). Cette exclusion, repoussée par le Code de procédure comme trop rigoureuse, a été reproduite par la loi du 25 mai 1838 (art. 18) à l'égard des huissiers, peu propres à un ministère de conciliation. .La même loi de 1791 (ib.), dans le désir d'amener autant que possible une transaction, obligeait la partie, si elle ne comparaissait pas en personne, à donner à son mandataire un pouvoir illimité pour transiger, pouvoir extrêmement dangereux et que l'on ne manquait pas de modifier par des conventions secrètes. C'est avec raison que le Code a supprimé cette exigence exorbitante.

48. Voyons comment les choses se passent devant le bureau de paix.

Lors de la comparution, dit l'article 54, le demandeur pourra expliquer, même augmenter sa demande, et le défendeur former celles qu'il jugera convenables.

Le juge peut provoquer lui-même les explications utiles pour éclaircir l'affaire et amener un rapprochement. Seulement, son ministère étant tout volontaire, il ne saurait forcer les parties à lui répondre.

49. D'après la loi du 24 août 1790 (tit. X, art. 3), ce juge devait dresser procès-verbal des dires, aveux ou dénégations des parties sur les points de fait, formalité qui a été supprimée par le Code comme pouvant devenir un moyen de circonvenir les hommes simples et sans connaissances. L'article 54 dit donc seulement :

Le procès-verbal qui en sera dressé contiendra les conditions de l'arrangement, s'il y en a; dans le cas contraire, il fera sommairement mention que les parties n'ont pu s'accorder.

Les conventions des parties insérées au procès-verbal ont force d'obligation privée.

La rédaction de cette dernière disposition est extrêmement vicieuse. Cette expression, force d'obligation (2) privée, tendrait à faire croire que le procès-verbal de conciliation n'est point un acte authentique faisant foi jusqu'à inscription de faux : ce qui serait assez étrange, puisqu'il est dressé par un officier public compétent et avec les solennités requises (Cod. Nap., art. 1317). Mais la force que la loi refuse au procès-verbal, n'est point la force intrinsèque, si l'on peut s'exprimer ainsi, la foi qui s'attache à l'authenticité; mais bien la force externe dont peut être revêtu un acte suscep

(1) C'était là ce qui se pratiquait en Hollande, où les faiseurs de pair écartaient de leur audience les avocats et procureurs, comme on ôte le bois d'un feu qu'on veut éteindre, suivant les expressions de Voltaire.

(2) Il n'eût point fallu parler d'obligation, mais d'acte ou de titre, puisqu'on ne voulait point parler du lien de droit, de la force obligatoire de la convention, mais de la valeur du titre destiné à constater la volonté des parties.

tible d'exécution forcée, tel qu'un jugement ou un acte notarié. C'est cette dernière force seulement qu'on a entendu refuser au procès-verbal de conciliation (1).

50. La loi s'arrête spécialement sur le cas où le serment aurait été déféré en bureau de paix :

Si l'une des parties défère le serment à l'autre, dit l'article 56, le juge de paix le recevra, ou fera mention du refus de le prêter. Au cas où le serment est prêté, point de difficulté. Le juge constate la délation et l'acceptation du serment, comme toute autre convention (art. 54). Mais pourquoi constater le refus de prêter serment? Ce refus ne saurait constituer une preuve décisive, comme s'il s'agissait d'un serment judiciaire (Cod. Nap., art. 1361). Il est vrai que, le préliminaire ne constituant point une véritable instance, il n'y a là qu'une induction défavorable contre celui qui n'a pas osé appuyer ses prétentions par une affirmation solennelle; mais cette induction est tellement grave, qu'on a cru devoir prescrire au juge d'en faire mention.

51. Nous avons déjà eu occasion de dire que l'obligation de comparaître a pour sanction une amende.

Celle des parties qui ne comparaîtra pàs, dit l'article 56, sera condamnée à une amende de dix francs, et toute audience lui sera refusée jusqu'à ce qu'elle ait justifié de la quittance.

L'affaire étant alors portée, non devant le juge de paix, qui se trouve dessaisi par l'absence de la partie, mais devant le tribunal civil, c'est à ce tribunal qu'il appartient de prononcer l'amende.

Quant au juge de paix, au cas de non-comparution de l'une des parties, sa mission est bien simple: il ne lui reste qu'à constater le fait même de cette non-comparution (art. 58):

En cas de non-comparution de l'une des parties, il en sera fait mention sur le registre du greffe de la justice de paix, et sur l'original ou la copie de la citation, sans qu'il soit besoin de dresser procès-verbal.

CHAPITRE II.

COMPÉTENCE RELATIVE (RATIONE PERSONÆ) DES TRIBUNAUX Civils.

52. Lorsque l'essai de conciliation n'a pas réussi, la première question que doit se faire le demandeur est celle de savoir quel tribunal a qualité pour connaître de l'affaire. La compétence (Org. jud., no 98) peut être envisagée sous deux rapports. Il faut rechercher d'abord quelle est, à raison de la nature du débat que soulève le litige, la juridiction appelée à en connaître par les lois

(1) Le but du législateur, ainsi que cela résulte de la discussion au conseil d'État, a été d'empêcher que les parties n'employassent la voie de procès simulés pour éviter les frais des actes no

tariés.

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de l'État est-ce un tribunal civil, est-ce un juge de paix ou un tribunal de commerce? etc. C'est là ce qu'on appelle la compétence à raison de la matière (ratione materia) ou absolue, compétence dont nous avons traité dans notre livre sur l'organisation judiciaire. Lorsque une fois le plaideur a reconnu que c'est bien à un tribunal civil qu'il appartient de statuer sur la cause, il doit examiner quel est, des divers tribunaux établis en France, celui qu'il convient de saisir dans l'espèce. Ce second point concerne la compétence relative, appelée ordinairement à raison de la personne (ratione persona), parce que le juge compétent est habituellement celui de l'arrondissement où le défendeur a son domicile. C'est dans le Code de procédure qu'on trouve les principes sur la compétence envisagée sous ce dernier point de vue.

53. La règle fondamentale de la matière est celle qui veut que le demandeur porte son action devant le juge du domicile du défendeur: actor sequitur forum rei, règle que, suivant Jousse (Justice civile, part. II, tit. II, no 3) « on peut regarder en quelque sorte comme une loi de nature; puisque dans l'assignation on est attaqué, il est juste que celui qui est assigné et qui est sur la défensive puisse se défendre de la manière la plus facile. »

Cette règle s'appliquait à Rome, dans l'origine, à toute action, réelle ou personnelle (Vat. fragm., § 326). En l'an 383 de notre ère, on accorda au demandeur la faculté d'agir, à son gré, en matière immobilière, devant le tribunal du domicile du défendeur, ou devant celui de la situation de l'immeuble en litige (1. 3, Cod., ubi in rem actio exerceri debeat). Telle était aussi l'ancienne pratique française (Jousse, ib., no 30). Ce fut seulement le Code de procédure qui attribua une compétence exclusive au tribunal de la situation, mieux placé pour connaître de pareilles questions.

Puisque c'est là une disposition toute nouvelle, il est évident qu'en dehors de l'hypothèse où le procès porte sur la propriété d'un immeuble, la règle actor sequitur forum rei reprend tout son empire. Il ne faut donc pas prendre à la lettre ces expressions de l'article 59:

En matière personnelle, le défendeur sera assigné devant le tribunal de son domicile;

........En matière réelle, devant le tribunal de la situation de l'objet litigieux.

Il n'est nullement besoin, pour la saine intelligence des principes sur la compétence, d'approfondir la distinction théorique des actions personnelles et des actions réelles: car la compétence du tribunal du domicile n'est point restreinte, quoi qu'en dise le texte, aux matières personnelles, c'est-à-dire, à celles dans lesquelles le demandeur invoque une créance. La même compétence doit s'appliquer sans difficulté aux actions réelles autres que les actions réelles immobilières, et par conséquent soit aux questions de propriété proprement dite, mais relatives à des meu

bles; soit aux droits réels dans le sens le plus large du mot, notamment à l'état des personnes. Et il est inutile d'invoquer à cet égard des théories plus ou moins subtiles, de considérer, par exemple, les meubles comme situés fictivement au domicile de celui qui les possède. Il suffit de s'en tenir à cette considération bien simple que, si le législateur a entendu s'écarter de la règle ancienne, c'est uniquement pour les questions de propriété immobilière. En toute autre matière, sauf les exceptions établies par des textes précis, c'est toujours le tribunal du domicile qui est compétent.

I. Compétence générale fondée sur le domicile du défendeur. 54. Il faut appliquer ici les règles établies par le droit civil (Cod. Nap., art. 102 et suiv.) quant à la détermination du domicile. L'absence de domicile connu doit équivaloir à l'absence de domicile en ce cas, aux termes de l'article 59, le défendeur doit être assigné devant le tribunal de sa résidence.

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Plusieurs auteurs soutiennent même que ces expressions, s'il n'a pas de domicile, doivent s'entendre exclusivement du cas où le défendeur n'a pas de domicile connu, puisque chacun a toujours un domicile, ne fût-ce que son domicile d'origine. Sans doute, celui qui n'a point ailleurs d'établissement fixe, et qui a conservé quelques relations avec le lieu où il est né, est volontiers présumé y avoir toujours son domicile. Mais il est impossible d'admettre, surtout au point de vue de la procédure, où doit toujours dominer l'utilité pratique, qu'un homme soit domicilié toute sa vie dans l'endroit où le hasard l'a fait naître, quand ni ses parents ni lui ne s'y sont jamais établis. Il est beaucoup plus raisonnable, en pareil cas, de s'adresser au juge de la résidence, de ne point attacher des effets aussi exorbitants au domicile d'origine, sur lequel du reste la loi moderne garde le silence.

et

55. Si les étrangers ne peuvent avoir un domicile en France. sans y être autorisés par le gouvernement, nous pensons que cette autorisation requise n'a trait qu'à la jouissance des droits civils (Cod. Nap., art. 13); qu'en matière de compétence fondée sur le domicile, tout ce qu'il faut rechercher c'est le lieu où le défendeur a en réalité le siége de ses affaires. Mais, dans l'opinion contraire, on arrivera au même résultat, en considérant le domicile contesté comme une résidence permanente, à laquelle s'attachent dans la pratique les effets ordinaires du domicile.

56. Que si le défendeur, étranger ou Français, n'a chez nous ni domicile ni résidence, la règle actor sequitur forum rei devient tout à fait inapplicable. Il paraît assez naturel alors d'autoriser le demandeur à donner l'assignation devant le tribunal de son propre domicile, afin d'éviter au moins un double déplacement. On peut aussi admettre, par argument de ce qui se pratique en ma

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