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les créanciers à actionner immédiatement devant le tribunal de son propre domicile celui qui est devenu seul leur débiteur personnel. On l'a quelquefois décidé ainsi, même dans le cas où l'hérilier n'accepte que sous bénéfice d'inventaire. Et cependant le Code de procédure (art. 986, 987, 993) paraît attribuer alors compétence au tribunal du lieu de l'ouverture, puisqu'il désigne ce tribunal comme devant présider aux opérations pour lesquelles l'intervention de la justice est nécessaire.

71. Enfin la même compétence est établie par la loi, en ce qui concerne les réclamations des légataires. Cette fois néanmoins, le lexte ne dit plus jusqu'au partage, mais seulement jusqu'au jugement définitif. Ces expressions ont porté des auteurs graves à penser que les questions relatives à l'exécution des dispositions à cause de mort doivent être portées, tant qu'elles ne sont pas définitivement jugées, c'est-à-dire toujours, devant le tribunal du lieu de l'ouverture de la succession, mieux placé que tout autre pour apprécier les circonstances qui ont pu accompagner la confection du testament. Mais à cette considération on peut opposer l'inconvénient grave d'obliger l'héritier à plaider ainsi indéfiniment dans un ressort qui peut être fort éloigné du siège de ses affaires. N'est-il pas vraisemblable d'ailleurs que c'est uniquement pour éviter une répétition fastidieuse que les rédacteurs du Code · ont substitué au mot partage celui de jugement définitif, en faisant allusion au jugement d'homologation qui termine les opérations du partage judiciaire (art. 981)? Rien dans la discussion (1) ne révèle l'intention d'établir une règle particulière pour cette hypothèse. Les légataires doivent donc, après le règlement définitif des droits des héritiers, soit par un jugement homologatif, soit par un acte extrajudiciaire, actionner chacun d'eux à son domicile.

72. La réunion d'intérêts, dont l'ensemble constitue ce qu'on appelle la masse d'une faillite, peut être considérée comme formant un être moral.

En matière de faillite, dit l'article 59, devant le juge du domicile du failli.

Il convenait de s'attacher au domicile du failli, parce que c'est le tribunal de commerce de ce domicile qui déclare la faillite et qui en dirige les opérations (Cod. de comm., art. 438 et suiv.). Maist jusqu'où s'étend la compétence conférée à ce tribunal en matière de faillite?

Suivant certains auteurs, le Code n'a pas entendu s'écarter du droit commun, et de même qu'en matière de succession, nous avons toujours supposé l'héritier défendeur, il faut supposer ici la faillite défenderesse, et n'attribuer compétence au juge du domicile du failli que pour les affaires dont il eût été appelé à connaître, si

(1) Au contraire, Treilhard pose d'une manière générale dans l'exposé des motifs le principe que jusqu'au partage la succession est un être moral.

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COMPÉTENCE RELATIVE DES TRIBUNAUX CIVILS.

le débiteur actuellement en faillite n'avait pas été dessaisi de l'exercice de ses droits (ib., art. 443). Dans cette opinion, le législateur aurait voulu prévenir un doute bien peu fondé il aurait craint qu'on ne songeåt à renvoyer devant le tribunal du domicile personnel de l'un des syndics les contestations qui intéressent la masse dont ils sont les représentants. Ainsi entendue, la disposition de l'article 59 offrirait fort peu d'utilité (1).

Mais il ne faut pas croire non plus que toute action intentée par les syndics ou contre eux doive être jugée exclusivement par le tribunal du domicile du failli. D'abord, les questions de propriété immobilière doivent toujours être portées devant le tribunal de la situation, ainsi que nous l'avons reconnu (no 67) en matière de succession ou de société. Quant aux actions d'une autre nature, il faut faire une distinction. Toutes les fois qu'elles sont indépendantes de la faillite, comme lorsque les syndics poursuivent un tiers pour les engagements par lui contractés envers le commerçant qu'ils représentent, et que la circonstance de la faillite intervenue n'exerce aucune influence sur la validité de ces engagements, il faut suivre les règles du droit commun sur la compétence commerciale (art. 420). Mais, lorsque l'action prend ses moyens dans la faillite même, lorsque les syndics attaquent des actes comme frauduleux, en invoquant soit les présomptions établies par le Code de commerce, soit les circonstances particulières de la cause, le triple intérêt de la célérité, de l'économie et de l'uniformité dans les décisions, demande l'attribution à un même tribunal du droit de statuer sur toutes les actions intentées ainsi au nom de la

masse.

73. Nous devons renvoyer aux développements que nous donnerons ultérieurement sur l'exception de garantie, l'explication de la règle qui oblige la personne appelée incidemment en garantie à plaider devant le tribunal saisi de la demande principale (même art. 59).

74. Il ne nous reste plus, pour achever l'examen des compétences spéciales signalées par le Code de procédure, qu'à parler de celle qui est établie pour l'action des officiers ministériels en payement de frais.

Les demandes formées pour frais par les officiers ministériels, dit l'article 60, seront portées au tribunal où les frais ont été faits.

Cette disposition est tout à la fois dans l'intérêt de l'officier, que la nécessité d'aller poursuivre au loin le payement de ses honoraires pourrait détourner de ses fonctions, et du client, auquel le pouvoir disciplinaire du tribunal sur l'officier ministériel donne des garanties toutes particulières pour la répression des abus. Aussi

(1) On pourrait cependant y voir une dérogation utile à la triple compétence établie par l'article 420 du Code de procédure pour certaines opérations de commerce.

la compétence n'est-elle point facultative, mais obligatoire pour l'officier public, qui ne peut dès lors assigner à son gré la partie devant le tribunal de son domicile.

75. Cette compétence ne s'applique pas seulement aux avoués et aux huissiers, mais aux officiers ministériels dans le sens le plus large du mot (Org. jud.,n° 289), c'est-à-dire même aux greffiers et aux notaires. Il y a plus de doute à l'égard de ces derniers, à raison surtout de ce que l'article 60 parle du tribunal où les frais ont été faits: ce qui paraît s'appliquer assez mal à des fonctions qui s'exercent presque toujours en dehors des tribunaux. Néanmoins la jurisprudence paraît pencher vers l'extension de la compétence spéciale aux notaires; et cette solution découle en effet de l'article 51 de la loi du 25 ventôse an XI, aux termes duquel les honoraires et vacations des notaires sont taxés par le tribunal civil de leur résidence.

76. Les motifs d'utilité et d'économie qui ont fait établir cette compétence, ont plus d'importance que la règle des deux degrés de juridiction. On admet donc avec raison que le tribunal d'appel peut de plano prononcer en premier et dernier ressort sur les frais faits devant lui. Mais il ne faut pas aller jusqu'à s'écarter des règles sur la compétence à raison de la matière; ainsi, le tribunal de commerce n'ayant aucune juridiction sur la personne des huissiers, les frais qu'ils peuvent avoir faits dans un procès commercial ne sauraient être réglés que par les tribunaux civils.

CHAPITRE III.

FORMALITÉS PREscrites pour l'INTRODUCTION D'UNE DEMANDE
EN JUSTICE.

77. La manière habituelle de former la demande est l'ajournement ou assignation, mode le plus généralement employé dans la procédure contentieuse. C'est un acte du ministère des huissiers, qui s'adresse directement à la partie adverse, afin de la mettre en cause dans l'instance. Nous verrons, en parlant de la procédure gracieuse ou volontaire, que les demandes y sont introduites au moyen de requêtes (1), actes du ministère des avoués, où la partie intéressée s'adresse directement au juge, sans avoir à débattre contradictoirement ses prétentions vis-à-vis d'un adversaire. On exigeait toujours dans la très-ancienne pratique française, et seulement

(1) Il ne faut pas confondre les requêtes ainsi adressées, que le juge doit répondre à peine de prise à partie (art. 506), avec les écritures que se signifient les avoués dans l'instruction préparatoire, appelées aussi requêtes, parce qu'elles sont adressées pour la forme au président et aux juges du tribunal. Ces écritures, sorte de plaidoiries écrites, ne servent à introduire aucune demande principale ni incidente, et ne demandent aucune réponse du tribunal, qui le plus souvent n'en prend pas même connaissance.

auprès des cours souveraines, sous l'empire de l'ordonnance de 1667 (tit. II, art. 12), que la requête précédât l'assignation. L'article 43 de la loi du 27 mars 1791 a posé en principe qu'il ne serait présenté aucune requête pour obtenir la permission d'assigner, si ce n'est lorsqu'il s'agirait d'abréger les délais. (Voy. aussi art. 364, 511, etc.) Mais, dans les cas ordinaires, l'assignation doit être donnée directement, et il faut généraliser aujourd'hui ce que l'on disait jadis des juridictions inférieures : L'huissier a sa commission dans sa manche.

La requête n'est plus seulement le préliminaire d'une assignation, elle équivaut elle-même à une assignation, lorsqu'elle a pour but d'introduire en cause une partie intervenante (art. 339), ou de former, au nom d'un plaideur déjà en cause, une demande toute nouvelle, telle qu'une tierce opposition incidente (art. 475). Alors cet acte, contenant la substance même de la demande, ne doit pas être rédigé dans la forme simple des requêtes ordinaires, où l'on se contente d'énoncer clairement au juge l'objet de la supplique; il doit renfermer toutes les formalités substantielles d'un exploit d'ajournement, à l'exception, bien entendu, de celles qui sont propres au ministère de l'huissier (les nom, demeure et immatricule de l'officier, et la mention de la personne à laquelle copie de l'exploit est laissée).

78. L'ajournement peut se définir (Pothier, Procédure civile, part. I, ch. I) « un acte par lequel un huissier dénonce à quelqu'un la demande qu'une personne forme contre lui, et le cite à certain jour devant le juge qui en doit connaître, pour y répondre. »

79. Nous allons voir quelles formalités doit contenir l'exploit d'ajournement, comment il doit être notifié, quelles sont les règles disciplinaires auxquelles l'huissier doit se conformer en instrumentant; enfin, quels sont les effets légaux de l'ajournement.

I. FORMALITÉS QUE DOIT CONTENIR L'EXPLOIT D'AJOURNEMENT. 80. On sait qu'à Rome le demandeur amenait directement le défendeur devant le tribunal obtorto collo. Praticable dans un État peu considérable, où il est facile à chacun de mettre en quelque sorte la main sur son voisin, un pareil système est inadmissible chez une grande nation et dans un état de civilisation un peu avancé. De même qu'à Rome on avait fini par employer le ministère des viatores, chez nous, dès qu'il s'est établi un ordre un peu régulier dans l'administration de la justice, on a senti le besoin d'officiers spéciaux chargés d'assigner les parties devant le juge, officiers maintenus même par la loi du 3 brumaire an II, malgré sa tendance excessive à simplifier les formes judiciaires.

81. Dans l'origine (Org. jud., n° 346), les huissiers (1) adres

(1) Jusqu'à la loi du 29 septembre 1791, il fut permis aux gardes des forêts royales d'assigner de vive voix les personnes trouvées en délit.

saient verbalement aux plaideurs les notifications qu'ils devaient leur faire; ils faisaient ensuite au juge le rapport de leurs exploits. Lorsque l'usage de l'écriture se répandit, ils prirent l'habitude de rédiger par écrit les rapports d'ajournements et d'en laisser copie au défendeur: c'est ce que prescrivit formellement, en 1539, l'ordonnance de Villers-Cotterets (1).

82. Avant cette ordonnance, on distinguait l'assignation proprement dite, l'injonction faite à la partie de se présenter en justice, qui correspond à la vocatio in jus des Romains, et le libellé de la demande, c'est-à-dire l'indication des conclusions et des moyens, correspondant à l'editio actionis qui se faisait devant le préteur, soit verbalement, soit par un écrit nommé libellus (Ulp., 1. 1, § 1, ff., de edendo). La même réunion des deux actes, qui avait eu lieu au Bas-Empire, lorsqu'on avait pris l'habitude d'énoncer les prétentions du demandeur dans le libellus conventionis porté par un viator (Inst., § 24, de actionibus), fut opérée chez nous en 1539: à partir de l'ordonnance de Villers-Cotterets, les exploits d'ajournement durent être libellés, c'est-à-dire renfermer les énonciations sur le but de la demande, qui se trouvaient autrefois dans le libellus.

83. L'ajournement, tel qu'on le conçoit dans le droit moderne, doit, pour remplir son but, mentionner les noms des parties, l'objet de la demande, les moyens sur lesquels elle se fonde, le tribunal devant lequel elle est donnée, et le délai pour comparaître devant ce tribunal : à cette dernière mention se rattache intimement celle de la date de l'exploit. Il doit de plus mentionner la personne à laquelle copie de l'exploit a été laissée, afin de certifier la remise fidèle de cette copie. A ces formalités, qui sont de l'essence de l'ajournement, il faut joindre, dans notre organisation judiciaire, l'énonciation, 1o de l'officier qui donne l'authen ticité à l'exploit de l'huissier; 2° du mandat donné à un autre officier qui doit représenter le demandeur dans l'instance, c'està-dire de la constitution d'avoué. Telles sont les formalités intrinsèques dont nous allons nous occuper d'abord, prescrites toutes à peine de nullité.

Formalités intrinsèques.

84. Avant de reprendre chacune des formalités substantielles. exigées par le Code, nous devons signaler une théorie générale, consacrée par la jurisprudence, quant à l'observation des règles établies pour la validité des exploits c'est ce qu'on appelle la théorie des équipollents. Sans doute, il n'est plus permis aujourd'hui, en présence de l'art. 1029, ainsi conçu :

Aucune des nullités, amendes et déchéances prononcées par le présent Code, n'est comminatoire ;

(1) Nous voyons encore, un siècle plus tard, le législateur (ord. de 1667, tit. II, art. 14) enjoindre aux sergents qui ne savent écrire ni signer, de se démettre de leurs offices.

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