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de faire revivre l'ancienne théorie qui donnait au juge un pouvoir discrétionnaire pour l'application des règles de procédure. Mais, tout en observant la disposition qui prescrit à peine de nullité les formalités intrinsèques de l'exploit, il n'est point indispensable d'exiger l'exécution littérale du texte. On admet donc assez volontiers qu'au cas où une mention n'est pas faite en la forme prescrite par le Code, mais où elle se retrouve adæquatè et identicè dans une autre partie de l'exploit, ou même dans un acte annexé à cet exploit, il n'y a pas lieu de prononcer la nullité pour défaut de cette mention. Ainsi, la date de l'acte, le nom d'une partie, etc., peuvent ne pas se trouver en tête de l'exploit, mais se retrouver plus loin parmi les développements donnés sur l'objet de la demande ou sur l'exposé des moyens. En pareille hypothèse, si la rédaction est irrégulière, le but de la loi n'en est pas moins atteint. Il suffit en définitive que l'on fournisse au défendeur, par un acte en bonne forme, tous les renseignements dont il peut avoir besoin, peu importe que ces renseignements se trouvent dans telle ou telle partie de l'acte; tout ce que le législateur a voulu, c'est qu'on ne fût pas obligé de les compléter au moyen de la preuve testimoniale. Telle est la théorie des équipollents, dont on a sans doute quelquefois abusé, mais qui, renfermée dans de justes limites, n'a rien que de parfaitement raisonnable. Il convient d'ailleurs de ne point prononcer trop facilement la nullité d'un exploit pour un vice de forme, à raison du préjudice irréparable que cette nullité peut souvent entraîner pour le demandeur; car l'assignation nulle pour défaut de forme, à la différence de celle qui est donnée devant un juge incompétent, n'interrompt point la prescription (Cod. Nap., art. 2246, 2247).

85. Les formalités intrinsèques de l'ajournement peuvent être réparties en six catégories, comprenant: 1° l'énonciation de la date; 2o les mentions relatives au demandeur; -3° celles qui concernent l'huissier, intermédiaire entre les deux parties; -4° celles qui concernent le défendeur; -5° le libellé de l'ajournement; 6 l'indication du tribunal et du délai pour comparaître.

10 Énonciation de la date.

86. Aux termes de l'art. 61,

L'exploit d'ajournement doit contenir : 1° La date des jours, mois et an.

La date, qui vient du mot datum, employé dans l'ancien style latin et encore usité aujourd'hui dans les écrits officiels émanés du Saint-Siége, pour indiquer que l'acte a été donné telle année, tel mois, tel jour, présente une utilité toute spéciale en matière d'ajournement. Celui qui enjoint à son adversaire de comparaître en justice dans un délai déterminé doit évidemment prendre acte du jour où il lui notifie cette injonction, puisque ce jour est précisément le point de départ du délai. De plus, sous un

autre point de vue, la date n'est pas moins essentielle, puisqu'il importe de déterminer quand la prescription se trouve interrompue et quand les intérêts commencent à courir. Et lors même qu'il y a lieu à l'essai de conciliation, et que la citation devant le bureau de paix produit par anticipation les effets de l'ajournement, il faut encore constater à quelle époque a été fait ce dernier acte, afin que l'on puisse reconnaître s'il a eu lieu dans le mois, à dater du jour de la non-comparution ou de la non-conciliation (art. 57): passé ce délai, ce serait seulement à la date de la demande que la prescription serait arrêtée, et que prendraient naissance les intérêts moratoires.

87. La date comprend, suivant les termes de la loi, l'énonciation des jour, mois et an, Il n'est pas question de l'heure, qui habituellement n'a pas d'importance, soit parce que, dans le délai pour comparaitre, on ne suppute que les jours entiers (art. 1033);

parce que la prescription, s'il s'agit de l'interrompre, se calcule également par jours et non par heures (Cod. Nap., art. 2260). La mention de l'heure devient pourtant indispensable dans les cas exceptionnels où il est permis d'assigner heure à heure (art. 8, 174, 808).

Le Code ne parle pas du lieu, tandis que l'article 12 de la loi du 25 ventôse an XI veut que le lieu soit relaté dans les actes notariés. Cela tient à ce que, la signification de l'exploit se faisant habituellement au domicile du défendeur, la mention de ce domicile implique celle du lieu où l'huissier a instrumenté. Mais lorsque l'exploit est remis à la personne, il est nécessaire que l'huissier indique le lieu où il a fait cette remise, afin de justifier qu'il n'a pas dépassé les limites de sa compétence territoriale.

L'indication des jour, mois et an (1) doit se faire conformément au calendrier grégorien; toutefois il n'est pas nécessaire de mentionner expressément le quantième, s'il est impossible que le défendeur se soit mépris sur la date énoncée, par exemple, si l'exploit est daté de la veille de Noël. D'autre part, une erreur de date n'a aucune conséquence, à raison même de sa gravité, lorsqu'il n'en peut résulter aucune équivoque, comme dans une espèce où l'huissier avait écrit par erreur mil cent neuf, au lieu de mil huit cent neuf.

2o Mentions relatives au demandeur.

88. Deux natures de mentions sont exigées en ce qui concerne personnellement le demandeur. Il doit d'abord se faire connaître d'une manière nette et précise; puis il doit se donner un représentant dans l'instance, en constituant avoué. L'ajournement doit donc contenir :

(1) Il est prudent de mettre la date en toutes lettres, ainsi qu'on le fait habituellement dans la pratique, mais la loi ne l'exige pas.

Les noms, profession et domicile du demandeur, la constitution de l'avoué qui occupera pour lui, et chez lequel l'élection de domicile será de droit, à moins d'une élection contraire par le même exploit.

89. Par noms, il faut régulièrement entendre le nom de famille et les prénoms ou le prénom unique : il n'est pas difficile de les connaître, puisqu'il s'agit ici de la personne à la requête de laquelle se donne l'exploit. Et certes, toutes les fois que le défaut de mention d'un ou de plusieurs prénoms aura pu laisser quelque doute sur l'identité du demandeur, il ne faudra pas hésiter à annuler l'ajournement. Mais lorsque aucune confusion n'a été possible, parce qu'il n'existait aucune autre personne du même nom, il est difficile de considérer l'omission d'un ou de plusieurs prénoms comme un vice radical. Il en faudrait dire autant de la substitution même au nom de famille d'un sobriquet sous lequel le demandeur serait généralement connu dans le pays. Cette doctrine est admise plus volontiers en ce qui concerne le défendeur; mais, après tout, le texte emploie la même expression les noms, en ce qui touche l'une et l'autre partie.

90. Il faut aussi désigner la profession du demandeur, afin de le faire connaître d'une manière bien précise. Mais s'il n'en a pas, il n'est pas nécessaire, à peine de nullité, d'indiquer cette circonstance, qui ressort du silence même de l'exploit. Il suffit, du reste, que la mention de la profession du demandeur résulte des énonciations de l'acte (1).

91. Quant à l'indication du domicile du demandeur, on comprend l'intérêt qu'elle présente, soit parce que le demandeur peut vouloir se mettre en rapport avec son adversaire, pour lui faire des réponses ou des offres, soit parce que certains actes doivent être signifiés au domicile réel. Aussi n'admet-on pas facilement en cette matière les équipollents; car les mentions insérées dans le corps de l'exploit ou dans les pièces qui y sont annexées, se réfèrent souvent à la résidence du demandeur plutôt qu'à son véritable domicile. Il est même nécessaire que le domicile soit indiqué d'une manière précise; mais c'est là une question d'appréciation on validera l'exploit donné à la requête d'une personne domiciliée dans une commune rurale peu considérable, avec la seule mention de la commune, tandis qu'on annulera l'exploit donné à la requête de M. un tel, domicilié à Paris, à moins qu'à raison de la position du requérant, son adresse ne soit parfaitement connue, comme s'il s'agissait de M. Rothschild.

92. On doit de plus relater la qualité du requérant, lorsqu'il n'agit pas en son nom personnel. Ainsi, le tuteur doit indiquer

(1) On n'est même sévère sur les indications de cette nature qu'autant que les parties sont au début de l'instance. Dans une assignation en cause d'appel, les parties se trouvant liées entre elles par première procédure, il ne saurait s'élever aucun doute sérieux sur leur identité.

la

qu'il plaide pour son pupille, l'héritier bénéficiaire doit avoir bien soin de déclarer qu'il n'entend se présenter qu'au nom de la succession. Autrement, ces administrateurs se rendraient personnellement responsables des conséquences du procès.

Mais de ce qu'un mandataire, soit légal, soit conventionnel, doit faire connaitre qu'il agit au nom d'autrui, faut-il en conclure que l'huissier soit obligé de formuler son exploit, à la requête du mandant, poursuites et diligences du mandataire, et non pas à la requête dn mandataire, agissant au nom et pour le compte du mandant, lequel serait d'ailleurs désigné suivant le vœu de la loi? On invoque, pour justifier cette distinction subtile, l'ancienne maxime: Nul, excepté le roi, ne plaide par procureur. Nous avons expliqué ailleurs (Org. jud., n° 299) le sens historique de cette maxime, qui tendait à refuser aux particuliers l'emploi du ministère des procureurs, devenu, au contraire, obligatoire dans le droit moderne. Quant à la faculté de désigner un ami, lequel reçoit le mandat de choisir lui-même un avoué et de diriger la procédure, jamais il n'a été question de l'interdire à personne. Sans doute, sous l'empire de la loi du 2 mars 1832 (art. 127), les intérêts du roi étaient confiés à un administrateur chargé de plaider pour lui; mais rien n'empêche, soit les particuliers, soit les administrations publiques, de donner ainsi une procuration générale pour la défense de leurs intérêts. Le nom du mandant se trouve alors virtuellement dans l'exploit, au lieu d'y être énoncé expressément.

Quelques-uns entendent la maxime en ce sens, que nul n'est reçu à intenter une demande pour un tiers, s'il ne justifie de son mandat. Ces auteurs ont raison au fond. Nul n'est admis, chez nous, à se présenter pour autrui comme simple gérant d'affaires, et à s'offrir pour plaider le procès, ainsi que cela se pratiquait à Rome, pourvu que les intérêts de la partie adverse fussent garantis par une caution (Inst., tit. de satisdationibus, passim). Mais cette proposition incontestable n'a aucun trait au vieil adage que l'on prétend invoquer. Il ne s'agit plus, en effet, de savoir s'il est permis de plaider par procureur, mais, ce qui est tout autre chose, si un prétendu procureur doit être reçu à se présenter pour autrui, sans établir sa qualité. C'est même là un point régi par d'autres principes que les règles relatives aux nullités d'exploits; car, tandis que ces nullités se couvrent si elles ne sont pas opposées in limine litis (art. 173), il est de jurisprudence constante que le défaut de qualité peut être invoqué en tout état de cause.

93: Une question plus grave, c'est celle de savoir si, lorsqu'une demande est intentée pour le compte d'une société, il faut nécessairement faire figurer dans l'exploit les noms de tous les associés. La difficulté ne peut s'élever, au surplus, que pour les sociétés qui ont un siège fixe, une administration constituée. Quant aux autres, on ne saurait les considérer comme formant un être moral, et il

est évident que la demande formée en leur nom doit relater tous les associés, dont la réunion est alors une juxtaposition d'intérêts de même nature, et nullement une individualité juridique. Mais la multiplicité de mentions qu'entraîne le nombre plus ou moins considérable de demandeurs, et l'augmentation proportionnelle des chances de nullités d'exploits sont de graves inconvénients, que l'on doit s'efforcer d'éviter autant que possible. Or, lorsqu'il existe un administrateur ayant qualité pour plaider, ne fait-il pas connaitre suffisamment son caractère en indiquant clairement la société dont il défend les intérêts, et le titre qui lui appartient dans la gestion de cette société? On admet volontiers ce mode de procéder lorsqu'il s'agit d'une société commerciale (1) au cas où une pareille société est défenderesse, il suffit de remettre la copie de l'exploit en la maison sociale (art. 69, 7°); en sens inverse, si la société est demanderesse, l'administrateur peut figurer seul en nom dans l'ajournement. Mais la jurisprudence exige, dans toute société civile indistinctement, la désignation des noms, profession et domicile de chacun des associés, la disposition spéciale de l'article 69, 7° ne mentionnant que les sociétés de commerce. Cet argument de texte nous semble combattu par une induction, tirée du texte même du Code, que, en établissant une compétence particulière pour les affaires sociales, met sur la même ligne toutes celles qui ont un siège fixe d'opérations, sans distinguer si elles sont civiles ou commerciales (art. 50 et 59). Nous penchons, en conséquence, à admettre que l'exploit peut être donné, dans ce cas, au nom de l'administrateur, sauf au défendeur à se faire représenter l'acte de société, afin de savoir les noms des personnes intéressées à l'affaire.

94. Après avoir bien fait connaître sa personne à la partie adverse, le demandeur doit se donner un représentant, ainsi que l'exige la loi, en constituant l'avoué qui occupera pour lui. Nous traiterons dans le chapitre suivant de la constitution d'avoué. Remarquons seulement que, si cette constitution n'est point soumise à des formes sacramentelles, elle doit cependant résulter clairement des termes de l'exploit. Aussi reconnaît-on que l'élection de domicile chez un avoué, impliquant le mandat purement passif de recevoir certaines significations, ne vaut pas constitution. Mais, à l'inverse, la constitution d'avoué vaut élection de domicile chez l'avoué ainsi constitué; car c'est à l'avoué que doivent s'adresser toutes les communications de nature à intéresser son client, à l'exception des actes pour lesquels une signification au domicile réel est impérieusement exigée.

95. Mais que veut dire ce qu'ajoute ensuite la loi à moins d'une élection contraire par le même exploit ? Quel intérêt sé

(1) Nous parlons des sociétés commerciales proprement dites; il y a controverse quant au caractère de l'association en participation.

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