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l'exercice d'un droit, et non plus, comme jadis, la sollicitation d'une pure faveur; car l'inscription au rôle, facultative autrefois (Pothier, Proc. civ., part. I, ch. III, sect. I), est devenue obligatoire d'après le décret du 30 mars 1808 (art. 55).

187. Toutes les causes sont inscrites dans l'ordre de leur présentation, sur un rôle général tenu au greffe, coté et paraphé par le président. L'avoué, afin de faire opérer l'inscription, remet au greffier le placet (1) ou réquisition d'audience, contenant l'indication des noms des parties, des avoués, de l'objet de la demande et des conclusions. L'inscription au rôle général doit avoir lieu (même art. 55) la veille au plus tard du jour où la cause doit être appelée. Le rôle sert à constater exactement le nombre des procès (2), ce qui est important, soit pour la perception des droits d'enregistrement, soit pour la rédaction des statistiques semestrielles, que les procureurs généraux et procureurs du roi doivent envoyer au garde des sceaux (ib., art. 80).

188. La partie la plus diligente (3) remet le placet à l'huissier audiencier pour qu'il fasse l'appel de la cause. L'appel des causes doit avoir lieu dans l'ordre fixé par le rôle général (ib., art. 59). Dans les tribunaux composés de plusieurs chambres, cet appel se fait à la chambre où siége le président, habituellement la première; et outre les défauts qui peuvent y être donnés éventuellement, comme dans les autres tribunaux, il s'y fait une opération importante, la distribution des causes. C'est le président qui, sous sa responsabilité, opère cette distribution entre les différentes sections du tribunal, de la manière qu'il juge la plus convenable pour l'ordre du service et l'accélération des affaires (ib., art. 51). Toutefois il est certaines causes qui doivent toujours être retenues à la première chambre, en raison de leur gravité : ce sont celles qui concernent le gouvernement, les communes et les établissements publics, ainsi que plusieurs autres, relatives notamment aux questions d'état (ib., art. 60). Pour des causes d'une autre nature, celles qui se rattachent aux intérêts du fisc, le législateur a voulu, afin d'obtenir une jurisprudence uniforme, qu'une chambre spéciale fut toujours chargée d'en connaître ce sera donc nécessairement à cette chambre que seront renvoyés les procès ayant un pareil caractère (ib., art. 56).

:

Le greffier constate le résultat de la distribution, en indiquant, en marge du rôle général et du placet, la chambre devant laquelle

(1) Les placets sont considérés comme de simples notes, nou assujetties à la formalité du timbre. (2) Il est perçu, du moins en matière contentieuse, un droit de trois franes pour la mise au rôle de chaque cause. Bien que ce droit soit qualifié par la loi du 21 ventôse an VII, qui l'a établi (art. 3), de rétribution due pour la formation et la tenue des rôles, ce droit est en grande partie un impôt, puisque la remise du greffier n'est que de deux centimes par franc (loi du 21 ventôse, art. 19). Il ne peut du reste être perçu qu'une fois en cas de radiation, la cause doit être placée gatuitement à la fin du rôle (ib., art. 3).

(3) Ce peut être le défendeur qui veuille suivre l'affaire, ou obtenir défaut faute de conclure contre le demandeur. Il prend alors l'initiative en rédigeant le placet.

l'affaire doit être plaidée (ib., art. 35). La cause passe alors du rôle général au rôle particulier de cette chambre.

189. Il nous reste à voir comment elle viendra définitivement à l'audience de cette dernière chambre. Mettons d'abord à part les causes urgentes, ou ayant trait à des règlements de procédure, qui sont appelées sur simple mémoire sans tour de rôle (ib., art. 66). Quant à celles qui n'ont point ce caractère spécial, aux termes de l'article 67 du décret, il doit être fait, d'après le rôle particulier, un certain nombre d'affiches, qui sont apposées à l'audience et au greffe, huit jours avant l'appel des affaires ainsi annoncées. Mais cette disposition n'est point observée dans diverses juridictions, et notamment devant le tribunal de la Seine; les affiches n'y sont point en usage (1), et l'appel de la cause s'y fait simplement sur le placet, le jour où l'avoué poursuivant a donné avenir. Il est à remarquer que la loi ne s'explique nulle part sur le délai auquel l'avenir peut être donné. Le minimum de ce délai semble dès lors devoir être d'un jour franc, ainsi que le Code le décide pour les citations en justice de paix ou devant les tribunaux de commerce (art. 5 et 416). C'est aussi ce qui est généralement admis dans la pratique.

190. Les conclusions présentent une grande importance, puisqu'elles déterminent d'une manière précise la position respective des parties, et qu'elles doivent servir de base à la rédaction du jugement (art. 141). Le demandeur a déjà nécessairement posé ses conclusions dans l'exploit introductif d'instance. Quant au défendeur, il lui suffisait autrefois de fournir ses défenses, sans poser des conclusions formelles. Aujourd'hui le décret de 1808 (art. 71) oblige également le défendeur à remettre au greffier ses conclusions, qui sont jointes au placet. Ces conclusions n'ont rien encore de définitif de part et d'autre, et ne lient point les parties, tant qu'elles n'aient été contradictoirement échangées à la barre du tribunal. Seulement, si ce n'est en ce qui touche les accessoires, tels que les intérêts (n° 165), il n'est pas permis au demandeur de les augmenter, parce que l'ajournement est toujours la base de l'in

stance.

191. Sur l'appel de la cause, si l'avoué de l'une des parties ne se présente pas (art. 149, 154), il est donné contre cet avoué défaut faute de conclure, puisqu'il n'y a de conclusions engageant le litige, que celles qui sont prises à l'audience. Si aucun des avoués ne comparaît, la cause est retirée du rôle (décret de 1808, art. 69), sauf à l'inscrire à la suite des autres. Enfin si les deux avoués sont présents, ils doivent, sauf remise autorisée par le tribunal, poser les qualités, c'est-à-dire échanger des conclusions, qu'ils remettent par écrit au greffier, avec l'indication de la chambre où la cause est portée et son numéro d'inscription au rôle général

(1) Cette formalité est, au contraire, observée à la cour d'appel de Paris.

(ib., art. 72). Les conclusions prises en cette forme sont absolument indispensables, et celles que renferme l'exploit introductif d'instance, ne sauraient en tenir lieu pour le demandeur. On dit alors que l'affaire est en état, parce que l'instruction préparatoire est épuisée, et qu'il ne reste plus qu'à plaider (art. 343). En traitant des incidents qui peuvent suspendre l'instance, nous verrons le grave intérêt que présente la détermination de l'époque où l'affaire est ainsi en état.

192. Il ne faut pas croire cependant qu'à partir de ce moment les conclusions ne puissent plus être modifiées. Ce n'est qu'après la clôture des plaidoiries que se trouve définitivement fixée la position respective des parties. Néanmoins les conclusions sont essentiellement du ministère de l'avoué, et ce n'est qu'avec son assentiment qu'elles peuvent être changées par l'avocat. (Voy. Org. jud., no284).

§ 2.

Défense des parties à l'audience.

193. Jusqu'ici les parties n'ont pu se défendre que par l'intermédiaire de leurs avoués; mais, lorsqu'il ne s'agit plus de postuler et de conclure, une fois la cause arrivée à l'audience, elles peuvent prendre elles-mêmes la défense de leurs intérêts.

Pourront les parties, assistées de leurs avoués, dit l'article 85, se défendre elles-mêmes; le tribunal cependant aura la faculté de leur interdire ce droit, s'il reconnait que la passion ou l'inexpérience les empêche de discuter leur cause avec la décence convenable ou la clarté nécessaire pour l'instruction des juges.

Dans l'ancienne jurisprudence, il fallait que les parties obtinssent l'autorisation de se défendre elles-mêmes. Aujourd'hui elles tiennent ce droit de la loi. Mais on sent que le tribunal devait pouvoir interdire la plaidoirie à celui qui « au lieu d'éclaircir les faits de la cause, au lieu d'y répandre la lumière, en épaissirait les ténèbres, ou qui, au lieu de parler de sang froid, se laisserait égarer par la passion (1).» Toutefois les juges ne doivent user de ce pouvoir qu'avec une extrême réserve. Ils ne peuvent jamais d'ailleurs refuser la parole à une partie avant de l'avoir entendue : un pareil refus est considéré avec raison comme viciant radicalement la procédure. Au surplus, la loi exige, toujours en pareil cas, l'assistance de l'avoué, comme garantie de la décence et de la modération de la défense, tandis que l'avocat n'a besoin d'être assisté de l'avoué qu'autant qu'il s'agit de modifier les conclusions, ou de faire quelque aveu de nature à compromettre les intérêts de son client.

Le tribunal ayant un pouvoir discrétionnaire pour retirer la parole aux plaideurs qui en abuseraient, il n'y a aucune nécessité de restreindre la faculté qui leur est accordée, en faisant acception de l'àge ou du sexe. Ainsi, un mineur pourra parler lui-même, s'il a

(1) Rapport au corps législatif.

assez d'intelligence pour le faire utilement. Ainsi, une femme même pourra être entendue. La marquise de Créqui obtint autrefois du parlement de Paris la permission de défendre sa cause, et l'on a vu tout récemment (en 1851) une dame plaider avec talent contre Me Delangle devant la Cour d'appel de Paris.

194. Il n'est pas aussi facile d'admettre qu'un parent ou ami puisse être autorisé à plaider la cause d'autrui, sans avoir la qualité d'avocat, ainsi qu'on le permet en matière criminelle. (Instr. crim., art. 295). Il nous semble bien dur toutefois, en l'absence d'un texte prohibitif, d'interdire à un fils de prendre la parole pour son père ou pour sa mère. Il est vrai qu'on ne saurait, sans porter atteinte au droit exclusif des avocats, autoriser à titre d'amis des défenseurs officieux qui n'offriraient aucune garantie légale. Mais il n'est pas à croire que les tribunaux se prêtent à de pareils empiétements: ils sauront concilier ce que réclame la prérogative de l'ordre des avocats, avec les égards dus à ces liens étroits qui semblent confondre le parent ou l'ami intime d'une partie avec cette partie ellemême. Quant à l'argument que l'on tire dans l'opinion contraire de l'article 86, lequel, en autorisant les magistrats à plaider les causes de leurs femmes, parents ou alliés en ligne directe, parait supposer que cette faculté est refusée à toute autre personne; il est facile de répondre que le législateur a dû s'expliquer à l'égard des magistrats, parce que leur position était de nature à leur interdire absolument la plaidoirie, à tel point qu'il a fallu leur donner la permission de plaider leurs propres causes ou celles de leurs pu→ pilles. Or il n'est pas douteux que chacun n'ait le droit de plaider pour lui-même, et que le tuteur n'ait qualité pour prendre la parole dans l'affaire du pupille qu'il représente (Cod. Nap., art. 450). Il n'y a donc point lieu de tirer un argument à contrario des dispositions de l'article 86.

195. Le plaideur qui ne se défend point par lui-même, doit avoir recours au ministère d'un avocat. On peut se reporter aux développements que nous avons donnés ailleurs sur la profession d'avocat, et sur les différentes hypothèses où les avoués sont exceptionnellement autorisés à plaider. (Org. jud., no 281.)

196. On ne considérait pas autrefois la qualité d'avocat comme détruite par celle de juge ou de membre du ministère public. Il n'était défendu à un magistrat de plaider que dans le siége même où il exerçait ses fonctions. Le juge pouvait même être avocat en cause d'appel de la partie qu'il avait jugée en première instance (Jousse, Justice civile, part. II, tit. III, n° 21 et 22). On comprend combien la dignité et l'impartialité du juge pouvaient avoir à souffrir d'un pareil cumul; et quant au ministère public, bien qu'il fût dans l'origine compatible avec la pratique du barreau (Org. jud., no 151), on comprend qu'il convient de le placer en dehors des luttes passionnées et des variations de position, si fréquentes dans l'exercice actif de la profession d'avocat. Aussi l'ar

ticle 27 de la loi du 27 mars 1791 défendit-il aux juges et aux commissaires du roi d'exercer les fonctions de défenseur officieux, même hors de leur tribunal prohibition reproduite par l'article 86 du Code, sauf la restriction que nous avons signalée tout à l'heure :

Les parties ne pourront charger de leur défense, soit verbale, soit par écrit, même à titre de consultation, les juges en activité de service (1), procureurs du roi, substituts des procureurs généraux et du roi, même dans les tribunaux autres que ceux près desquels ils exercent leurs fonctions; pourront néanmoins les juges, procureurs généraux, avocats généraux, procureurs du roi, et substituts des procureurs généraux et du roi, plaider, dans tous les tribunaux, leurs causes personnelles et celles de leurs femmes, parents ou alliés en ligne directe, et de leurs pilles.

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L'exception s'applique même aux tribunaux près desquels ces magistrats exercent leurs fonctions, à la condition bien entendu qu'ils se feront remplacer dans l'affaire. Il est clair aussi, bien que le texte ne parle que de la faculté de plaider, que la consultation en faveur des personnes désignées par la loi, ayant beaucoup moins d'inconvénients que la plaidoirie, doit être à plus forte raison permise.

197. Au surplus, l'infraction aux règles disciplinaires sur la plaidoirie n'emporte point nullité du jugement qui serait rendu en pareille circonstance. Il en serait autrement, si le tribunal avait prononcé, sans vouloir entendre les plaidoiries, sur les simples conclusions de l'avoué : la défense orale est essentielle; c'est pour cela que l'avoué est appelé lui-même à plaider, en cas d'empêchement ou de refus de l'avocat (loi du 22 ventòse an XII, art. 32).

198. Le tribunal a un pouvoir discrétionnaire en ce qui touche l'étendue des plaidoiries; le président doit les faire cesser, lorsque les juges trouvent la cause suffisamment éclaircie (décret du 30 mars 1808, art. 34, 73). Quand le président a ainsi déclaré la cause entendue, il n'est plus permis de présenter aucun moyen, de signifier aucunes conclusions, il n'y a plus qu'à juger.

Les plaidoiries sont également terminées, lorsque le ministère public prend la parole, du moins comme partie jointe, c'est-àdire dans les affaires où il doit seulement donner ses conclusions, sans avoir à défendre aucun intérêt direct et principal. Aux termes de l'article 87 du décret de 1808, le ministère public une fois entendu, aucune partie ne peut obtenir la parole après lui, mais seulement remettre sur-le-champ de simples notes énonciatives des faits sur lesquels on prétendrait qu'il y a eu erreur ou inexactitude.

(1) Ces expressions ont pour but de réserver le droit des juges suppléants, qui, ne recevant point de traitement et n'étant appelés qu'accidentellement à l'exercice des fonctions judiciaires, ont toujours pu plaider devant toute juridiction.

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