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pour exercer l'usure, ou pour tenir un mauvais lieu, ou pour voler. » (1)

L'ouvrage intitulé: Conférences ecclésiastiques sur l'usure s'attache à montrer le vice de pareilles conventions dans les termes suivans (2). « Voici les règles qui rendent les contrats de société justes et licites. La première, dit Sylvius, est qu'on ne peut faire de société que d'une affaire honnête et licite; toute société contraire à cette règle serait criminelle et par conséquent de nulle valeur. La raison en est très claire, c'est que la société ne peut pas subsister pour les choses défendues et mauvaises, parce qu'elles ne peuvent pas unir ni lier les associés. Personne ne peut ni ne doit s'obliger de faire le mal, ni de commettre des injustices, de sorte que s'il se rencontrait que des personnes se fussent associés pour des choses semblables, ce ne serait pas une société véritable; mais ce serait un brigandage défendu par les lois. » (3). -

J'ai déjà cité comme société, dont l'objet serait illicite, celle dans laquelle l'un des associés apporterait pour mise son influence et la faveur dont il jouit, ou son nom seul sans clientelle et sans industrie. On peut en ajouter beaucoup d'autres ; notamment, depuis que la traite des noirs est sévèrement prohibée, la société formée pour se livrer à ce trafic serait atteinte d'un vice radical.

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(1) De la Société, no 14.

(2) Tome II, page 10.

(3) Voy, L. 53 et 57. ff. Pro socio; 1. 1, § 14. ff. de tut. et rat. dist. 1, 35, § 2, ff. de cont, empt.

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25. Les conventions nulles n'engendrent aucune obligation, ne créent aucun droit, ne produisent aucune action. Cette règle s'applique avec rigueur, surtout lorsque la nullité est fondée sur ce que la cause du contrat est illicite, ou que la chose qui en est l'objet est déshonnête. Néanmoins, et quelque louable que soit le sentiment qui porte à refuser toute force à des conventions honteuses, à mulcter sans pitié ceux qui les ont formées; il ne faut point s'y livrer avec trop de vivacité; on pourrait se laisser entraîner à des solutions erronées. D'ailleurs, presque toujours, la peine infligée à l'un des contractans produira un bénéfice pour l'autre ; l'on manquerait donc le but, par l'excessif desir de l'atteindre. 1. s

26. Si la nullité d'une société est proposée, les choses étant encore entières, chacun reprendra son apport, tout sera remis au même et semblable état qu'avant le contrat; c'est ce qu'il fauıdrait toujours faire, si cela était toujours possible. (en

27. Lorsque la société aura été mise en activité, si elle à produit des bénéfices, ils resteront à l'associé qui les aura perçus. Les autres ne pourraient venir en réclamer leur part qu'en argumentant de la convention; or, une réclamation ayant une pa

(1) On demande, si une convention illicite oblige lorsque la chose est en son entier, et qu'il n'y a encore rien d'exécuté? Il est certain que non ; et que l'une et l'autre des parties doit alors rompre son engagement.» Pufendorf, Traduction de Burbeyrac, liv. III, chap. VII, § VII,

reille base n'est pas de nature à être admise en justice. Il arrivera, il est vrai, que l'un des contractans, aussi coupable que les autres, aura tout l'avantage qu'il pouvait attendre de l'exécution du contrat, et même au-delà. Ce résultat est sans doute bizarre; mais il faut absolument l'admettre, ou accorder aux autres associés une action dérivant du contrat, c'est-à-dire donner force et effet à une convention illicite; ce qui est impossible. Porrò autem si et dantis et accipientis turpis causa sit, possessorem potiorem esse: et ideò repetitionem cessare, tametsi ex stipulatione solutum est. (1)

28. Par réciprocité, si des pertes ont été éprouvées, celui qui les aura supportées seul n'aura pas le droit d'exiger qu'elles soient réparties

entre tous.

-29. Lorsque la répartition des bénéfices ou des pertes aura été faite, elle devra être maintenue. Comment l'un des associés pourrait-il, sous prétexte que la société est nulle, demander à ses co-associés la restitution de leurs parts dans les bénéfices, pour se les approprier, ou prétendre qu'ils doivent supporter toutes les pertes, et que seul il doit en être indemne! (2)

30. M. Toullier n'adopte pas cette doctrine d'une manière absolue; il distingue entre les sociétés qui

(1) L. 8, ff. de cond. ob. turp. caus. et 1. 3, eod. Pothier, des Obligations, no 43. M. Toullier, tome VI, no 126.

(2) L. 53 et 54. ff. Pro socio. Pothier, de la Société, no 36.

ont un objet véritablement criminel et celles qui sont seulement en contravention avec les lois purement civiles et les réglemens árbitraires; il pense que ces dernières lient les associés, nonobstant la prohibition des actes qui ont procuré les bénéfices, ou causé les pertes. « Si nous avions formé, ditil (1), une société pour faire la contrebande, et que nous eussions été condamnés à l'amende, nous n'en serions pas moins obligés de nous tenir compte des gains et des pertes pendant que la société a duré; car on tient pour maxime (2), en cette matière, que lorsque les deux parties, ou celle qui est punissable a satisfait à la loi, en payant l'amende, ou en subissant la peine prononcée contre la contravention, l'engagement pris en fraude des lois purement civiles et des réglemens arbitraires est valable de contractant à contractant. Il y a, dit Barbeytac, des conventions que les lois défendent, mais qu'elles laissent pourtant subsister lorsqu'elles sont faites contre leur prohibition; pourquoi n'y en aurait-il pas qui demeurent valides entre les parties, quoique la loi les annulle autant qu'il est en elle? »

Ce système est ingénieux; il établit différens degrés d'illégalité, et admet, en quelque sorte, une échelle de pénalités correspondantes à la criminalité des actes; réservant pour les uns toute la rigueur des principes, et l'atténuant pour les autres. On comprend très bien qu'il séduise au premier

(1) Tome VI, no 127.

(2) Barbeyrac, sur Pufendorf, liv. III, chap. VII, § 6, note 2.

moment. La réflexion démontre qu'il ne doit pas être accueilli.

L'article 1131 déclare, que l'obligation sur une cause illicite ne peut avoir aucun effet; et, certai-. nement, il parle bien des effets entre les parties contractantes; puis, l'art. 1133 ajoute, que la cause est illicite, quand elle est prohibée par la loi, quand elle est contraire aux bonnes mœurs ou à l'ordre public.onet.

Or, il faut bien avouer que la loi défend de se livrer à la contrebande; d'où il suit invinciblement que la société formée entre des fraudeurs ou des contrebandiers, non-seulement expose les associés à des peines pécuniaires et corporelles; mais en outre ne peut produire aucun effet entre les contractans. Il y a même ceci de remarquable, que presque tous les auteurs, lorsqu'ils veulent donner des exemples de sociétés ayant pour objet des opérations illicites, citent celles qui sont formées pour faire la contrebande (1); et aucun ne dit qu'elles produiront leur effet entre les parties. C'est évidemment la pensée opposée qu'ils ont dans l'esprit.

D'ailleurs, la distinction serait souvent fort difficile à appliquer. Avec nos moeurs un peu relâchées, comment déterminer la limite entre les faits essentiellement criminels, et les actes contraires aux réglemens arbitraires? serait-ce la sévérité du châtiment qui servirait à l'établir? Distingueraiton entre les peines de police, correctionnelles, afflictives ou infamantes, corporelles, ou pécu

(1) Pothier, nos 14 et 36.

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