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En admettant que ces 18 millions, ne pénétrant plus en France à la suite d'un relèvement de tarif, fussent désormais fabriqués dans la région lyonnaise, les ouvriers en verraient-ils leurs salaires beaucoup relevés?

D'ailleurs, ces 18 millions de tissus de soie pure, ne pouvant plus entrer en France, reflueraient sur les marchés étrangers où ils prendraient la place de 18 millions de tissus français.

Où serait le bénéfice?

Enfin le ministre du commerce mit en garde la Chambre contre une rupture commerciale avec la Suisse qu'un vote relevant les tarifs ne manquerait pas, à son avis, d'entraîner.

La discussion continua et se termina dans la séance du 25 janvier, après les discours de MM. Nɔël, Rajon, Colliard, Pastre et de Ramel, députés de l'Oise, de l'Isère, du Rhône et du Gard, en faveur d'un relèvement des tarifs douaniers.

M. Paul Delombre, ancien ministre du commerce et député des Basses-Alpes, s'y montra, au contraire, hostile.

M. le ministre du commerce s'efforça de concilier les partisans du relèvement des tarifs et leurs adversaires.

Aux premiers, il promit que le Gouvernement ne se désintéressait pas de la question, aux seconds, il déclara qu'on ne devait pas nuire à leurs respectables intérêts pour venir en aide à d'autres intérêts, d'ailleurs moins considérables.

Finalement, la Chambre vota, par 537 voix contre une, l'ordre du jour de M. Debussy, député de la Côte-d'Or, accepté par le Gouvernement:

En voici le texte :

La Chambre invite le Gouvernement à prendre les mesures

nécessaires, lors du renouvellement prochain des conventions commerciales avec les Etats de l'Europe centrale, pour assurer aux tissus de soie pure des garanties douanières équivalentes à celles qui seraient stipulées dans une autre convention et passe à l'ordre du jour.

Comme nous l'avons dit plus haut, la plupart des séances de la Chambre des députés, pendant le mois de janvier 1901, furent absorbés par la discussion du second article du programme politique soumis par le ministère Waldeck-Rousseau aux délibérations du Parlement le projet de loi relatif au contrat d'association. On se rappelle que le premier article de ce programme était le projet de loi, alors voté, sur la réforme du régime des boissons et que le troisième projet de loi devait être celui relatif aux retraites ouvrières.

Le plus spécifiquement politique, pour ainsi dire, de ces trois projets était assurément celui relatif au contrat d'association. Aussi souleva-t-il un débat souvent passionné et fort long.

C'était la question de la liberté d'association, si souvent promise et jusque-là jamais réalisée, qui devait venir en discussion. Cependant on peut remarquer que le titre officiel du projet par ces mots de contral d'association n'annonçait pas cette liberté. Le souci du Président du Conseil des ministres avait été, en effet, dans la rédaction de son projet, de considérer l'association comme un contrat soumis, comme tous les autres contrats civils, aux règles du Code civil.

Il semble bien que cette conception n'était pas irrėprochable et qu'il y avait là un abus de mots qui pouvait et devait conduire à d'autres abus.

L'association avait été, en effet, jusqu'ici, quand elle se formait entre plus de vingt personnes, interdite par la loi, en vertu d'un acte politique du législateur. Aussi

était-elle réglementée par le Code pénal (art. 291 et suivants).

Si la pensée du législateur moderne était d'accorder la liberté refusée par le législateur ancien, il n'avait qu'à laisser tomber la barrière posée par le Code pénal, en soumettant toutes les associations, s'il le jugeait nécessaire, à des règles uniformes de déclaration et de contrôle.

Seulement, dans ce cas, les congrégations religieuses auraient eu les mêmes droits que toutes les associations. C'est ce que n'admettaient ni les partis avancés (radical et socialiste), ni le ministère, qui trouvait en eux son plus solide point d'appui.

Comme le Président du Conseil répugnait à dire nettement dans son projet de loi qu'il accordait la liberté aux associations, mais la refusait aux congrégations, il s'avisa de trouver un biais qui lui permît d'aboutir aux mêmes résultats, sans que le mot de congrégation fût imprimé une fois dans le projet.

L'étude du Code civil lui fournit ce biais. Le Code déclare nuls et de nul effet les contrats passés en vue d'un objet illicite, contraire à l'ordre public, ou aux bonnes mœurs. Ce qui signifie seulement que l'exécution de pareils contrats ne peut être exigée judiciairement de l'un des contractants qui s'y refuse.

M. le Président du Conseil fit de cette disposition purement civile une application politique et pénale.

Il considéra comme illicites les associations dont les membres vivent en commun, ce qui visait les congrégations religieuses, et ne visait qu'elles seules.

Quelle était la raison invoquée pour considérer cest associations comme illicites? C'était que leurs membres, par leurs vœux de chasteté, de célibat et de pauvreté,

avaient renoncé à des droits qui ne sont pas dans le commerce?

Ce qui prouve bien le caractère absolument arbitraire de cette définition, c'est que le projet de loi admettait ensuite qu'une autorisation de l'État pût couvrir la nature proclamée pourtant illicite de ces vœux, au profit de certaines congrégations. C'était là une nouveauté juridique bien étrange.

Mais si ces congrégations ne couvraient pas cette nature illicite de leur groupement, soit en ne demandant pas l'autorisation, soit en ne l'obtenant pas, après l'avoir demandée, alors elles se trouvaient dissoutes et, en cas de reconstitution, leurs fondateurs, directeurs, ou administrateurs encouraient des peines d'amendes et de prison.

Ces explications étaient nécessaires pour mettre en un relief suffisant l'esprit, la portée, et jusqu'à l'intitulé du projet de loi relatif au contrat d'association que la Chambre, dans sa séance du 10 janvier, manifesta le désir de discuter immédiatement. Elle décida de consacrer à cette discussion les séances des lundi, mardi et jeudi de chaque semaine, les séances du vendredi demeurant réservées à la discussion des interpellations. Toutefois, une exception fut faite en faveur d'une interpellation de M. Marcel Sembat, député socialiste révolutionnaire de la Seine, qui demanda au Président du Conseil des explications sur une lettre que le Pape Léon XIII avait adressée à l'archevêque de Paris, le 23 décembre 1900.

Cette lettre, visant précisément l'éventualité du vote de la loi sur les associations par le Parlement français, parut d'une telle actualité à la Chambre des députés que, malgré le Gouvernement, qui aurait préféré s'abstenir de toute explication à ce sujet, elle décida, par 297 voix

contre 216, d'en retenir l'examen avant la discussion de tout autre sujet.

Les groupes radicaux et le Gouvernement firent demander alors que l'interpellation Sembat fût jointe à la discussion de la loi sur les associations et la précédât comme une préface nécessaire.

C'est ainsi qu'elle vint en discussion à la séance du 14 janvier.

La lettre du Pape Léon XIII au cardinal-archevêque de Paris avait paru dans la Semaine religieuse du diocèse de Paris, du 5 janvier 1901. Elle exprimait la vive déception que causait au Souverain Pontife la législation projetée à l'encontre des congrégations religieuses. Le Pape insistait ensuite sur les « mérites » de ces congrégations << plus d'une fois reconnus par les hommes «<les moins suspects, plus d'une fois fois honorés par « des récompenses publiques ».

Puis la lettre pontificale continuait ainsi, faisant allusion au vote possible de la loi projetée : « Dans ces con<«<jectures, ce ne serait pas seulement répondre à tant << de services par une inexplicable ingratitude; ce serait << évidemment renoncer du même coup aux bénéfices << qui en dérivent que d'ôter aux congrégations religieu«ses, à l'intérieur, cette liberté et cette paix qui seules << peuvent assurer le recrutement de leurs membres et << l'œuvre longue et laborieuse de leur formation. D'au<«< tres nations en ont fait la douloureuse expérience.

<< Après avoir arrêté à l'intérieur l'expansion des con« grégations religieuses et en avoir tari graduellement « la sève, elles ont vu, à l'extérieur, décliner propor<«<tionnellement leur influence et leur prestige. »

Enfinle Pape s'appuyait sur le Concordat, qui, ayant assuré le libre exercice du culte catholique en France, ne pouvait permettre, à son avis, que fûssent prises des

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