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ET

PIÈCES JUSTIFICATIVES

PIÈCE A.

Discours prononcé à la Chambre des députés (séance du 21 janvier 1901) par le comte Albert de Mun, député du Finistère, sur le projet de loi relatif au contrat d'association.

M. LE COMTE ALBERT DE MUN. La Chambre ne s'étonnera pas, j'en suis sùr, que, laissant de côté pour un moment la question générale du droit d'association que la suite de ce débat ramènera nécessairement à la tribune, je m'attache aujourd'hui exclusivement à la question spéciale des associations religieuses. Le discours prononcé dans la séance du jeudi dernier par l'honorable rapporteur m'en fait un devoir, et d'ailleurs c'est le terrain choisi de longue date par le Gouvernement et par la commission pour une rencontre à laquelle personne ici ne peut ni ne veut se dérober. (Très bien ! très bien à droite.)

Comme la nature même du sujet mé condamne à retenir un peu plus longtemps que je ne le voudrais l'attention de la Chambre, je lui demande la permission, pour éviter des longueurs inutiles, de lui épargner un exorde toujours superflu, et d'aller droit au fait, c'est-à-dire aux deux accusations par

lesquelles on cherche à justifier les mesures proposées contre les congrégations : le péril économique qui résulte, dit-on, de l'état et de la nature de leurs propriétés, et le péril politique, qui naît de leur existence même et de l'enseignement que certaines d'entre elles donnent à la jeunesse.

Le péril économique, M. le Président du Conseil l'a dénoncé à Toulouse avec éclat dans un discours qui sert de prologue à cette discussion; il l'a dénoncé en agitant devant le pays, comme une menace, le nom et l'idée de la mainmorte congré ganiste. Je prétends qu'il n'avait pas le droit de le faire. (Bruit sur divers bancs à gauche.)

Il n'en avait pas le droit, parce qu'en le faisant, en essayant par là de réveiller dans le pays des susceptibilités toujours faciles à émouvoir et les terreurs d'un passé disparu, il risquait et c'est ce qui est arrivé d'égarer l'opinion publique.

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Ici nous savons ce que nous entendons quand nous parlons de la mainmorte; nous savons qu'elle est constituée par l'immutabilité des propriétés immobilières entre les mains d'une personnalité civile qui ne meurt pas, dont les biens ne se transmettent pas par succession; nous savons aussi très bien qu'il existe dans le pays beaucoup de propriétés de ce genre et que, par exemple, les propriétés immobilières des départements, des communes, des hospices, sont des propriétés de mainmorte par définition et aux termes mêmes de la loi qui les frappe d'une taxe spéciale, aussi bien que les propriétés des consistoires, des séminaires, des fabriques, des congrégations, mais des congrégations autorisées, de celles-là seulement, j'y insiste; c'est un point très important sur lequel j'aurai l'occasion de revenir. Nous savons cela, et quand on nous parle de la mainmorte congréganiste, l'idée d'une comparaison avec la mainmorte générale se présente immédiatement à nos esprits. Mais dans la masse du pays on ne le sait pas ; et, par la persistance des passions ataviques, le mot de mainmorte éveille toutes les terreurs, tous les spectres de l'ancien régime, les biens des moines, le serf incapable de tester, la propriété ecclésiastique s'étendant comme une main stérile sur la moitié du territoire.

M. ALBERT GALLOT (Yonne). C'est très exact.

M. LE COMTE ALBERT DE MUN. C'est, en effet, un épouvantail, et vous le dites; c'est pour cela que M. le Président du Conseil s'en est servi; c'est cet épouvantail qu'il a voulu agiter devant le pays. Eh bien! ce n'est ni le droit ni le rôle d'un chef de Gouvernement. (Applaudissements à droite.)

M. le Président du Conseil est allé plus loin. Il a résumé ce péril économique dans un chiffre désormais fameux qui, tombé de sa bouche, a fait le tour du pays, de l'opinion, de la

presse et qui est aujourd'hui passé dans la langue de la politique générale le milliard des congrégations. Il a pris ainsi une responsabilité que je trouve très lourde et dont je voudrais essayer de lui faire sentir le poids.

Pour justifier le milliard annoncé par M. le Président du Conseil, M. le ministre des finances a fait établir une enquête très étendue sur les propriétés immobilières des congrégations avec toute la variété qu'avait pu lui suggérer son imagination.

M. le ministre des finances n'a rien exagéré. Nous n'avons encore entre les mains que le premier volume de cette enquête, et c'est une situation contre laquelle je tiens d'abord à protester, car il est inouï qu'un débat aussi grave, qui touche à des intérêts aussi considérables qui repose sur des accusations tombées de si haut, puisse s'engager devant le Parlement sans que nous ayons tous entre les mains les moyens de former notre opinion. (Applaudissements à droite et sur divers bancs au centre.)

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Mais enfin j'accepte il le faut bien le combat tel qu'il nous est présenté et, m'emparant de ce premier volume, mettant, bien entendu, hors de cause les agents, les fonctionnaires qui en ont rassemblé les éléments, qui ont exécuté des ordres et qui ne sont point responsables, je me permets de dire que ce premier volume de l'enquête est indigne d'un grand service public. (Applaudissements à droite et sur divers bancs au centre.)

M. JULIEN DUMAS. C'est un roman!

M. LE COMTE ALBERT DE MUN. Je dis qu'il est indigne d'un grand service public, parce qu'il est établi de telle sorte qu'il ne laisse aucune possibilité de contrôle et qu'une enquête qui ne peut pas être contrôlée est une enquête sans autorité.

M. PAUL DE CASSAGNAC. Vous pouvez dire que c'est un faux! (Bruil.)

M. LE COMTE ALBERT DE MUN. Je ne m'étendrai pas beaucoup sur l'examen de cette enquête; je voudrais seulement montrer par des exemples pris au hasard avec quelle légèreté elle a été établie,

Au point de vue de la nomenclature même des congrégations, on y trouve, par exemple, dans la ville de Paris, la congrégation des missionnaires diocésains. Or, les missionnaires diocésains ne sont pas une congrégation: ils ne font aucun vou, ils ne prennent aucun engagement, ils restent maîtres de leurs personnes et de leurs biens. Ce sont des prêtres séculiers qui dépendent directement de l'archevêque de Paris et qui ont pleine liberté de rentrer dans leur paroisse quand ils le désirent ou quand l'archevêque les y renvoie. Il est vrai que quelques-uns d'entre eux demeurent ensemble rue Nitot,

et, naturellement, l'agent chargé d'établir l'enquête a dit : «Ils demeurent ensemble, c'est une congrégation! » (Rires à droite.)

M. ALEXANDRE ZÉVAÈS. C'est une communauté !

M. LE COMTE ALBERT DE MUN. Mais non, Monsieur, ce n'est pas non plus une com nunauté; ce sont des prêtres séculiers qui usent du droit que vous avez, et que nous avons tous, de vivre plusieurs dans la même maison. (Applaudissements à droite.)

Voulez-vous que j'examine un autre côté de l'enquête? Estil une confusion plus fâcheuse et, d'apparence, au moins, plus volontaire que celle qui consiste à présenter l'état des propriétés immobilières des congrégations par département, en bloc, sans aucune désignation des biens? Comment, dans ces conditions, un controle peut-il s'exercer? Comment, par exemple, quand je vois que, dans la ville de Paris, les frères des Ecoles chrétiennes possèdent pour environ 18 millions d'immeubles, comment puis-je savoir si le grand immeuble de la rue Oudinot, qui est la maison-mère, est compris dans ce chiffre? Or, il appartient à la ville de Paris! (Applaudissements et rires à droite.)

Comment puis-je savoir, lorsque je regarde le chiffre total de la propriété des sœurs augustines hospitalières, s'il y a, comme on le dit, une parcelle de l'Hôtel-Dieu comprise dans le chiffre global?

Je cite des exemples qui sautent aux yeux, qui frappent tout le monde; mais vous entendez bien que ces exemples se multiplient à l'infini dans le pays par des faits, sans importance en eux-mêmes, peut-être, mais qui, mis en nombre, forment un chiffre considérable.

Voulez-vous me dire, par exemple― je m'excuse du caractère personnel de mon observation comment je puis contrôler, quand j'examine l'état des propriétés immobilières des sœurs de Saint-André, en Seine-et-Marne, si vous y aviez compris la maison qu'elles occupent dans mon village natal et qui, depuis trois générations, se transmet, par des testaments recueillis par devant notaire, à un membre de ma famille ? Mais il n'est pas un de vous, Messieurs, qui ne puisse citer de pareils exemples! (Applaudissements à droite.)

Comment, alors, opérer le contrôle? (Très bien ! très bien!) Je dis qu'une enquête établie dans ces conditions, avec cette impossibilité de controle, révèle, par une vue singulièrement instructive, dans quel esprit, dans quel ordre de préoccupations elle a été établie.

M. LE COMTE DE LÉVYS-MIREPOIX. C'est une confusion voulue.

M. LE COMTE Albert de Mun. Je ne veux pas entrer bien

profondément dans la question autrement grave encore de l'évaluation des biens; je n'ai pas, pour le faire, de qualité, d'autorité, de compétence spéciale; il y aura certainement dans cette Assemblée des hommes qui voudront discuter cette question et se demander comment a été faite cette évaluation de la valeur vénale des propriétés, dans quelle intention a été établie, dans deux colonnes juxtaposées, la comparaison entre la valeur vénale donnée par l'administration des contributions directes et la valeur vénale d'après les déclarations faites à l'enregistrement.

Mais il y a un document qui est fait pour nous donner quelque sujet de réflexion sur cette question de l'évaluation des biens c'est une circulaire qui porte le numéro 968 et que M. le directeur général des contributions directes, M. Payelle, adressait aux agents des contributions directes au moment même où l'enquête commençait à s'organiser, pour leur indiquer comment elle devait être conduite.

Dans cette circulaire du 30 avril 1900, je lis :

<< Toutes ces données seront déterminées aussi exactement que possible, mais il est à remarquer qu'elles ne constituent que de simples renseignements statistiques et qu'elles ne sont pas destinées à être utilisées comme bases d'un impôt. »

Messieurs, la loyauté de M. le directeur général des contributions directes nous donne un avertissement très salutaire. Je m'explique très bien sa prudence et sa réserve. Quand il s'agit de faire une enquête administrative, tranchons le mot, une enquête politique, on peut, sans de très graves inconvénients, majorer un peu les chiffres; il ne s'ensuit que des polémiques et des discussions. Mais quand il s'agit de la base d'un impôt, il en va autrement : les contrib tables lésés ont des recours devant la justice, devant les tribunaux administratifs ou judiciaires; il faut être plus prudent et plus exact. M. le directeur général des contributions a été, en effet, très avisé

Il est bien entendu la Chambre le sait et le voit d'après les documents officiels que cette enquête, qui établit la valeur vénale de toutes les propriétés immobilières des congrégations, que cette enquête, qui a servi de base au milliard des congrégations, n'est qu'un simple renseignement statistique. (C'est cela! Très bien ! à droite et au centre). Eh bien! nous allons voir en quelques mots car je ne veux pas retenir trop l'attention de la Chambre sur ce côté de la discussion comment a été recueilli ce renseignement statistique.

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L'administration avait fait distribuer à la commission du budget, et, je crois, à la com nission des associations, une note que le volume de l'enquête n'a pas reproduite, et c'est

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