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A la Chambre des députés ce fut M. Rauline, député conservateur de la Manche qui en qualité de doyen d'âge, présida à l'ouverture de la session.

Il rappela, non sans quelque intention malicieuse, les principes chers à ces républicains « de l'âge héroïque », que son âge lui avait valu de connaître.

C'étaient de nobles et fervents apôtres du droit, de la justice, de la liberté, de l'honneur, du désintéressement et de la fraternité (applaudissements); ils croyaient fermement que la République devait venir sur la terre pour être l'application de ces principes et l'épanouissement de ces vertus.

Ils l'aimaient ainsi pour le bien des autres et non pour leur propre bien; ils auraient tenu pour un sacrilège l'idée seule de constituer une République exclusive. Ils considéraient que la République est, par définition, fraternelle et large comme la patrie elle-même et que sa seule raison d'être est l'universalité. (Applaudissements.)

C'est pour cela qu'ils n'affaiblissaient par aucune épithète les grands principes sur lesquels la République est fondée; ils ne voulaient pas que la liberté, que la justice, que le progrès fussent le monopole d'un parti.

Eh bien! mes chers collègues, le vœu que je me permets d'exprimer au seuil de la session qui s'ouvre, c'est que le Gouvernement et la Chambre s'inspirent de cette noblesse dans les idées et de cette probité dans la conduite politique dont se réclamaient vos maîtres et qui formaient pour eux le patrimoine des républicains.

Sa conclusion fut unanimement applaudie par la Chambre : « L'état actuel du monde, dit-il, témoigne << avec éclat combien une France puissante manquerait <«< à l'humanité; faites au moins qu'elle ne se manque << pas à elle-même et qu'au lieu de se consumer en hai<< nes fratricides, elle se sauve par la paix, la concorde «<et la fraternité. >>

Le scrutin fut ensuite ouvert pour l'élection du Président de la Chambre. La candidature de M. Brisson,

posée par lui, avait été acceptée à l'unanimité par les quatre groupes de la gauche ministérielle : union progressiste, gauche démocratique, groupe radical-socialiste, groupe socialiste. Bien que, dans les scrutins politiques et publics, ces divers groupes constituassent la majorité de la Chambre, M. Paul Deschanel, président sortant, n'en fut pas moins réélu par 296 voix contre 217 voix à M. Henri Brisson.

Il convient d'ajouter qu'un certain nombre de députés progressistes, ralliés au ministère Waldeck-Rousseau, étaient demeurés fidèles à leur amitié pour M. Paul Deschanel, qui avait d'ailleurs su s'attirer de nombreuses sympathies dans tous les partis.

Les quatre vice-présidents sortants furent réélus : MM. Georges Cochery et Aynard,candidats des républicains progressistes, par 341 et 328 voix, MM. Maurice Faure et Mesureur, candidats des radicaux et des radicaux-socialistes par 313 et 264 voix.

MM. Surcouf, député républicain progressiste d'Illeet-Vilaine; Brindeau, député républicain progressiste de la Seine-Inférieure; Claude Rajon, député radical de l'Isère; Massé, député radical de la Nièvre; Raoul Bompard, député radical de la Seine; de l'Estourbeillon, député conservateur du Morbihan; Rouland, député républicain progressiste de la Seine-Inférieure, furent élus respectivement par 333, 327, 297, 281, 259, 255 et 255 suffrages.

Au second tour de scrutin, M. Compayré, député socialiste indépendant du Tarn, battit par 187 voix contre 137 M. Breton, député socialiste du Cher, secrétaire sortant, et candidat du groupe socialiste au bureau.

Furent réélus questeurs, M. Gustave Rivet, député radical de l'Isère, par 286 voix, et M. Lechevallier, député

républicain progressiste de la Seine-Inférieure, par par 265 voix, au premier tour de scrutin.

Il ne fallut pas moins de trois tours de scrutin pour réélire le troisième questeur, M. Guillemet, député radical de la Vendée. Encore, le quorum ayant fait défaut après le 2 tour de scrutin, les radicaux et socialistes qui voulaient en finir de suite avec l'élection du bureau durentils obtenir de la Chambre, par 253 voix contre 252, qu'une seconde séance fût tenue cinq minutes après la levée de la première séance.

Le quorum n'étant plus nécessaire à cette seconde séance, M. Guillemet fut réélu par 81 voix contre 53 à M. Herbet, député radical de l'Ain, sur 135 votants.

Le bureau étant ainsi définitivement constitué, M. Paul Deschanel, président réélu, put prononcer à la séance du 10 janvier le discours d'usage, discours, comme les précédents, d'une belle forme littéraire et rempli de sages conseils.

En voici le texte :

Messieurs et chers Collègues,

Votre président et votre bureau vous expriment leur pro fonde gratitude pour la persévérante confiance dont vous les honorez.

La Chambre a écarté de nouveau cette conception fausse du régime parlementaire, qui tiendrait à lier le sort de la présidence au sort de telle ou telle politique, de tel ou tel cabinet, voire de telle ou telle loi. (Applaudissements au centre.)

Le jour où une pareille théorie viendrait à prévaloir, le jour où cette noble magistrature, au lieu de rester la protectrice des droits de tous, serait mise au service d'une opinion, ce jour-là, le Gouvernement de discussion recevrait une atteinte mortelle, et la liberté de la tribune ne serait plus qu'une apparence. (Applaudissements au centre.}

M. Renou. Dès votre première présidence, la vôtre fut une présidence de combat.

M. Baudry d'Asson. parler de liberté.

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La gauche a mauvaise grâce à

M. Deschanel. L'essentiel, c'est que chaque député ait la conviction intime qu'en montant à ce fauteuil son collègue dépouille l'homme de parti pour devenir l'homme de l'assemblée entière. (Applaudissements au centre.)

Messieurs, la Chambre, dans sa dernière session, a accompli une œuvre considérable, que j'ai eu l'honneur de rappeler au jour de la clôture. Ne vous semble-t-il pas que, des méthodes de travail adoptées alors, nous pourrions tirer certains enseignements?

Ces séances budgétaires, où la Chambre semblait continuer les délibérations de sa commission des finances, où des hommes pratiques, rompus aux affaires, pouvaient présenter de leur place des observations précises sans être obligés de préparer un discours et de monter à la tribune, où les galeries du public n'étaient pas encombrées d'un auditoire venu seulement par curiosité; ces séances d'où était banni tout ce qu'il y a parfois, il faut bien le dire, d'artificiel et de théâtral dans notre appareil, ces délibérations n'étaient-elles pas plus conformes à ce qu'un Etat moderne doit attendre de l'exercice des institutions libres, que le spectacle d'une vaste assemblée passionnée, mobile et souvent, hélas! violente? Et n'est-ce pas dans cette voie qu'il faut persévérer si nous voulons que les Chambres accomplissent pleinement leur œuvre de législation et de contrôle ?

La modification que vous avez apportée au règlement en ce qui touche les augmentations de dépenses ne paraît-elle pas en appeler une autre ? Puisque vous pouvez toujours proposer, comme sanction de vos critiques, une réduction de crédit, ne conviendrait-il pas de renoncer à cet usage qui permet de présenter non seulement après la discussion générale du budget, mais même au cours de l'examen des chapitres, ces motions, ces projets de résolution au moyen desquels on glisse dans la loi de finances des interpellations déguisées (applaudissements) et l'on essaye même de légiférer indirec

tement?

Ne serait-il pas également à souhaiter que la Chambre votat le budget dans la grande session, ce qui permettrait au Sénat de l'examiner dans la session extraordinaire, et ce qui serait plus conforme tout à la fois aux convenances, à l'esprit de

la Constitution et à l'intérêt financier du pays? (Applaudissements unanimes.)

D'autre part, l'habitude qui s'est introduite peu peu de proposer des additions aux ordres du jour motivés, cette pratique sur laquelle mes éminents prédécesseurs et moi avons fait maintes fois d'expresses réserves, n'est-elle pas contraire et à la logique et à la sincérité des votes, puisqu'un député peut ainsi altérer profondément ou même annuler par un texte imprévu la pensée des auteurs de l'ordre du jour primitif? (Applaudissements.)

Sur tous ces points, le règlement s'est corrompu à la longue, et le président, vous le savez, ne peut plus redresser maintenant les ressorts faussés qu'autant que vous le voudrez bien.

L'économie de temps que nous réaliserions ainsi profiterait aux réformes, et, par exemple, à ces lois sociales et ouvrières qui tiennent une place toujours croissante dans nos préoccupations, parce que, de plus en plus, nous voulons faire de la République une perpétuelle victoire sur le vice, l'ignorance et la misère, le plus haut développement de la personne humaine, le règne de la justice et de la fraternité.

La session présente va s'ouvrir par un grave débat. (Mouvements.)

Chaque parti va envoyer à la tribune ses premiers orateurs qui maintiennent parmi nous les plus brillantes traditions de l'éloquence politique et qui, par leur expérience, leurs convictions éprouvées et leur talent, ne leur cèdent en rien à leurs illustres devanciers.

Nous devons tous souhaiter que ce débat se poursuive loyalement, dans le calme qu'exigent de tels problèmes; que chacun puisse apporter ici, en toute liberté, tous ses arguments, et que la lutte courtoise des idéesren de inutiles les violences qui provoquent les représailles, et ces artifices subalternes de procédure qui finissent toujours par se retourner contre ceux qui en usent.

Messieurs, le nouveau siècle est exposé à voir de profondes transformations en Europe. Or, à certaines heures décisives, être absent ou distrait, c'est être vaincu. L'état présent du monde commande à tous les Français de rester étroitement unis. En regardant au dehors, nous sentirons la nécessité d'apporter plus de mesure dans nos polémiques, plus de tolérance et de respect pour nos convictions mutuelles.(Applau

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