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d'assurer par une mesure nécessaire la paix et le développement régulier de la société qui est sortie de la Révolution française. (Applaudissements sur les mêmes bancs. — Interruptions à droite.) Au projet que nous vous soumettons il n'eût pas manqué, sous la monarchie de Juillet, une voix des libéraux; il n'eût pas manqué une voix des républicains sous la République de 1880. (Applaudissements à gauche et à l'extrême gauche. Bruit à droite.)

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M. FERNAND DE RAMEL. Vous n'avez pas le droit de parler de libéraux ! (Bruit.)

M. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL. N'ose-t-on plus penser comme Dupin ou parler comme Pasquier?

A la dernière séance, M. Piou me rappelait que j'ai parlé de République ouverte. Ah! s'il entend cette expression dans le sens où on l'emploie pour dépeindre une ville entourée d'assaillants qui n'a à leur opposer que de faibles remparts, non, je ne veux pas d'une République ouverte.

S'il entend par là, comme je l'ai dit, que personne n'a sur la République, ni un droit de privilège, ni un droit de préférence, qu'elle ne doit repousser aucun de ceux qui embrassent avec sincérité ses principes, qu'elle soit et qu'elle demeure ouverte, mais pour qu'on y puisse entrer et non pas pour qu'on en puisse sortir. (Applaudissements vifs et répétés à gauche, à l'extrême gauche et sur divers bancs au centre. L'orateur, en regagnant le banc du Gouvernement, reçoit de nombreuses félicitations.)

M. HENRI BRISSON. Au nom d'un grand nombre de mes amis, je demande l'affichage du discours que vient de prononcer M. le Président du Conseil. (Applaudissements à gauche et à l'extrême gauche.)

M. le PRÉSIDENT. Je mets aux voix la proposition d'affichage.

Il y a une demande de scrutin signée de MM. OdilonBarrot, Augé, Guillemet, Malaspina, Lhopiteau, Louis Blanc, Lafferre, Gueneau, Gaston Thomson, Dutailly, Decker-David, Dauzon, Delmas, etc.

Le scrutin est ouvert. (Les votes sont recueillis. le dépouillen ent.)

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PIÈCE C

Discours prononcé à la Chambre des députés (séance du 24 janvier 1901) par M. Ribot, député du Pas-de-Calais, sur le projet de loi relatif au contrat d'association

M. RIBOT. Messieurs, j'ai tenu, quoique souffrant, à faire effort sur moi-même. (Applaudissements au centre et à droite.) Après le langage surtout qu'a tenu hier M. le Président du Conseil, mon silence eût pu être considéré comme une faiblesse. (Très bien ! très bien! sur les mêmes bancs.) Quand on essaye ee résister aux entraînement de son parti et de lui montrer la voie dangereuse où on l'engage et où il ne trouvera que des déceptions, on s'expose au reproche de manquer au devoir et peut être de trahir la République. (Très bien! très! bien! sur les mêmes bancs.)

Cela ne m'émeut pas ; j'ai traversé ces épreuves. Il y a plus de vingt ans, lorsque j'ai débuté dans la vie publique, j'ai osé combattre une politique qu'on reprend aujourd'hui avec plus de violence et moins d'excuses. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)

Les reproches qui m'ont été adressés à cette époque n'ont pas empêché les événements de me donner raison. Je souhaite de me tromper aujourd'hui; mais je crois défendre aussi la République à laquelle je suis attaché autant que personne. (Applaudissements au centre.)

M. le Président du Conseil a dit hier, en commençant son discours, que le projet de loi sur les associations était le point de rencontre entre la doctrine de la suprématie du pouvoir civil et celle de la prééminence de l'Eglise catholique. Cela voulait dire apparemment que ceux qui ne consentent pas à voter le projet suivant la formule étroite et violente qu'on nous propose ne sont pas attachés à l'idée de la suprématie du pouvoir civil, qu'ils sont inféodés aux doctrines et aux influences de l'Eglise..,

A l'extrême gauche. Parfaitement!

M. COUTANT. Il faut opter entre les deux !

M. RIBOT... qu'ils sont des cléricaux.

Eh bien! Messieurs, ce reproche ne peut pas s'adresser à nous. Nous avons apporté tout récemment encore l'affirmation assez énergique, je suppose, de la prééminence du pouvoir public. J'ai, autant que M. le Président du Conseil, l'indépendance de ma pensée et de mes convictions. (Applaudissements au centre et à droite.)

Au centre. Et de vos actes!

M. RIBOT. J'ai été plus souvent attaqué que lui et même injustement; mais l'injustice ne m'empêche pas d'être équitable et d'être libéral. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)

Au surplus, ce reproche ne s'adresserait pas seulement aux républicains indépendants qui, refusant de suivre le ministère dans une campagne dont ils voient les dangers et le terme, ne s'associeront pas au vote du projet de loi. Il viserait beaucoup plus haut, et il atteindrait, dans le parti républicain, d'autres hommes dont vous ne pouvez pas, je pense, suspecter l'attachement aux idées de la Révolution française ; il s'adresserait à Floquet, à Goblet, qui ont pensé que les congrégations religieuses, quand elles n'étaient pas une cause de trouble dans le pays, devaient jouir d'une grande liberté, qui étaient disposés à leur donner même le droit commun, sauf quelques restrictions; il s'adresserait à la commission de 1895, une commission de la Chambre où étaient représentés tous les partis, et qui avait décidé de proposer la suppression de la nécessité de cette autorisation préalable que vous considérez aujourd'hui comme le symbole de la foi politique républicaine, comme un principe intangible qu'on ne peut abandonner sans s'exposer aux reproches de trahir les intérêts de la République. (Très bien ! très bien! au centre.)

Que disait cette commission? Elle disait qu'il ne faut plus aujourd'hui mettre à la fondation des associations religieuses, en particulier des congrégations, aucun obstacle légal, qu'il faut seulement réserver à leur égard, pour des cas graves et précis, le droit de dissolution. Et cette opinion de la commission de 1895, savez-vous par qui elle a été reprise dans cette législature? Par les socialistes qui siègent de ce côté de la Chambre (l'extrême gauche), par M. Viviani, dont vous avez entendu l'autre jour l'éloquent et vigoureux discours, par tous ses amis qui ont signé avec lui cette proposition et qui ont repris le texte même du rapport de mon honorable ami M. Goblet, que nous regrettons de ne plus voir parmi nous, et voici ce que je lis dans ce rapport, voici la formule, précise assurément, au bas de laquelle M. Viviani a cru devoir mettre sa signature :

Nous ne proposons ni de supprimer les congrégations, comme l'a fait la Révolution, ni même, en tant qu'elles ne réclameraient pas la personnalité civile, de les assujettir à la nécessité d'une autorisation préalable, comme le faisait déjà l'ancien régime et comme l'ont fait après lui l'Empire et les lois de la Restauration encore en vigueur. ›

Voilà le langage que nous tenait, il y a moins de deux ans, M. Viviani au nom de ses amis.

J'ai eu la curiosité de lire les procès-verbaux de cette com

mission de 1895, et j'ai vu que cette idée si libérale déposée dans le rapport de M. Goblet avait été acceptée en quelque sorte à l'unanimité par la commission. J'ai vu que, dans cette commission, c'étaient les socialistes qui se faisaient les défenseurs d'idées que, pour ma part, je trouve excessives, qui ne voulaient pas que l'on établit une distinction, quelle qu'elle fût, entre la congrégation et l'association ordinaire.

C'était M. Jules Guesde, c'était M. Groussier, qui siège encore sur les bancs de cette Chambre, qui disaient: Pas de distinction entre l'association et la congrégation; la liberté comme en Belgique. (Applaudissements ironiques au centre et à droite.)

Et si un libéral comme M. Renault-Morlière hasardait timidement quelques objections et demandait qu'on prît au moins quelques précautions contre les congrégations, on lui répondait de votre côté, Messieurs (l'extrême gauche), qu'il se trompait, qu'il ne comprenait rien à l'évolution des idées modernes et qu'il avait la prétention de s'ingérer dans le domaine des choses de la conscience. (Applaudissements et rires sur les mêmes bancs.).

Voilà, Messieurs, ce que pensaient et ce que disaient, il y a quelques mois, les socialistes qui sont aujourd'hui les soutiens les plus ardents du ministère. Peut-être, à cette époque, pensaient-ils qu'ils étaient moins assurés qu'aujourd'hui de ne pas être traités à leur tour comme des congréganistes. (Applaudissements et rires au centre et à droite.) Peut-être pensaient-ils qu'il leur fallait s'assurer à eux-mêmes dans la liberté commune, étendue même aux congrégations, un refuge et un abri. Ils sont rassurés aujourd'hui ; ils ne veulent plus de la liberté, ils veulent la proscription totale! Non seulement ils séparent les congrégations des associations, mais ils veulent les supprimer, les extirper du sol de ce pays. (Très bien! très bien! au centre et à droite.)

Si les hommes qui ne voteront pas ce projet de loi, qui est un projet violent, qui n'est pas une loi destinée à devenir, comme vous le prétendiez un jour au Sénat, monsieur le Président du Conseil, la charte du droit d'association de ce pays (rires ironiques au centre et à droite), qui ne sera qu'une loi de circonstance qui tombera d'elle-même quand la colère et les passions seront tombées (applaudissements au centre), si ces hommes doivent être accusés de cléricalisme, si M. le Président du Conseil a la prétention de les excom munier, en pontife infaillible de la doctrine républicaine (rires au centre et à droite), ils seront en bonne compagnie, ils seront avec Floquet, avec Goblet, avec les socialistes. (Nouveaux applaudissements au centre.)

A l'extrême gauche. Vous êtes avec les ultramontains,

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avec la droite! Vous êtes avec M. de Mun! (Bruit.) M. RIBOT. Nous serons même excommuniés, je puis le dire avec une autorité plus haute encore dans le parti républicain. Gambetta, à la veille même du 16 mai, dans ces mêlées ardentes qui précédaient la crise, au cours de cette interpellation sur les menées qui tendaient à la restauration du pouvoir temporel du pape, s'est expliqué sur les congrégations dans un passage qui m'a singulièrement frappé. Gambetta se plaignait avec violence de la multiplication des congrégations, il les montrait, comme M. Waldeck-Rousseau, étendant les mailles de leur réseau sur le territoire entier de la France, et il ajoutait ces paroles que je vous prie de méditer:

«Si ce mal se rattachait à l'exercice du droit commun, s'il était vrai qu'il y eût là une liberté d'association consentie par le législateur, donnée d'une façon égale pour tous, que chacun pût entrer en lutte avec une égale part d'ombre et de soleil, je ne m'élèverais pas contre ce développement et cette multiplication des ordres, non seulement non autorisés, mais des ordres prohibés par la loi. (Applaudissements au centre et à droite.)

«Mais, ajoutait Gambetta, il n'en est rien. Tandis que les uns ignorent le droit d'association, ignorent presque le droit de réunion, les autres ont à leur disposition tous les privilèges. »

Que ressort-il de ces paroles? C'est que Gambetta lui-même, à une époque ardente de lutte, envisageait comme possible une loi commune pour toutes les associations, la liberté s'étendant à tout le monde, couvrant tout le monde, faisant à chacun, comme il le disait, sa part égale à l'ombre et au soleil. (Applaudissements au centre et à droite.)

Je ne vais pas, pour ma part, aussi loin. Je veux réserver, tout au moins, par voie de dissolution, le droit supérieur de l'Etat. Ce droit, je ne le rattache pas aux considérations que M. le Président du Conseil a fait valoir. Il a dit, il a écrit c'est la pensée qu'il aime le mieux à développer que les associations religieuses étaient quelque chose d'illicite, de contraire à l'ordre public par la nature même des vœux que prononcent les congréganistes.(Très bien! très bien! à l'extrême gauche.)

Je laisse à la Chambre le soin de découvrir la contradiction manifeste qui existe entre une pareille idée, un pareil principe, et la thèse pratique de M. le Président du Conseil; car s'il était vrai que les vœux contractés par un membre d'une congrégation fussent, par leur essence même, contraires à l'ordre public, de quel droit maintiendriez-vous des congrégations autorisées par l'Etat? (Applaudissements au centre et à droite. Interruptions à l'extrême gauche.)

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