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1789. bonnes mœurs; mais elle était en général crédule, timide, vaine; et, quoique amie de l'ordre, avide à l'excès de tout événement qui lui formait un spectacle nouveau. Il est impossible de se peindre sous quel aspect hideux la multitude s'offrait alors dans la Capitale. La rigueur de l'hiver, la disette qui se faisait sentir, le bruit des bienfaits qui se répandaient à Paris, et par-dessus tout le bruit d'une révolution annoncée, avaient fait affluer dans cette Capitale déjà surchargée d'habitans malheureux, et corrompus par la misère même, une foule de mendians. nomades, à demi-nus; race d'hommes effrayans à voir, effrayans à entendre, que deux années voisines de l'anarchie avaient fait horriblement pulluler, et que la révolution a engloutie en avançant leur mort par les encouragemens donnés à tous leurs vices. Une scène de désordre, de délire, et l'une Réveillon au des plus sanglantes de la révolution, préSaint-Antoine. céda de deux jours l'ouverture des étatsgénéraux.

Pillage de la

manufacture de

faubourg

(28 avril.)

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Il se répandit dans le peuple que Réveillon, riche et industrieux propriétaire d'une manufacture de papiers peints dans le faubourg Saint-Antoine, avait tenu quelques propos durs sur le compte des ouvriers,

qu'il avait parlé de réduire leur paye à quinze 1789. sous, et avait ajouté que le froment était trop bon pour eux, et qu'ils pouvaient se con→ tenter de pommes de terre. L'émeute ne fut point excitée par des ouvriers de Réveillon; il en était aimé, et venait de les nourrir pendant les rigueurs de l'hiver, à une époque où les travaux de sa manufacture étaient fort ralentis. Six mille bandits s'attroupèrent sur la place Royale, brûlèrent un mannequin qu'ils appelaient Réveillon, lurent un arrêt du tiers-état qui le condamnait à être pendu, et, se recrutant de factieux ou d'imbécilles, se portèrent sur son établissement. Instruit de son péril, il était allé réclamer du secours ; mais vingt ou trente soldats, chargés de défendre sa maison, n'osaient mettre un obstacle aux excès de ces furieux, et en devinrent les spectateurs. Tout fut mis au pillage, tout fut brisé; chacun attendait avec épou→ vante, mais dans l'inaction, les nouveaux attentats où se porterait cette foule gorgée de vin et de liqueurs, et qui poussait d'ef froyables cris. Enfin un nombreux détachement de gardes-françaises et suisses vint les investir dans la maison dont ils s'étaient emparés ; ils refusent d'en sortir, se placent aux fenêtres, montent sur les toits, font

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1789. pleuvoir des tuiles et des pierres sur les soldats. Ceux-ci ont d'abord la force de se contenir. Enfin, sur l'ordre qui leur est donné de repousser la force, les gardes tirent sur les toits; une foule de ces malheureux en sont précipités. Les gardes-françaises entrent dans la maison; mais ils trouvent dans tous

les

appartemens les mutins barricadés, et se défendant avec une opiniâtreté que pouvait seule leur suggérer l'ivresse. Les soldats, irrités de cet aveugle acharnement, devinrent alors impitoyables. On croit qu'il ne périt pas moins de quatre à cinq cents mutins. Un grand nombre fut trouvé dans les caves, empoisonnés par l'acide nitreux qu'ils avaient pris pour une liqueur. On en fit prisonniers un certain nombre. La plupart avaient six ou douze francs dans leur poche. On reconnut parmi eux deux forçats échappés, qui furent condamnés à être pendus. Les Parisiens, vivement émus du péril de la Capitale, applaudirent d'abord aux mesures rigoureuses qui avaient été prises, et bientôt doutèrent de la nécessité d'un si vaste massacre. La cour vit dans le duc d'Orléans l'auteur de cette émeute, et supposa que c'était par ces scènes d'anarchie qu'il préludait à son

usurpation. Le roi se fit un devoir d'indem- 1789. niser Réveillon de ses pertes *.

pour

états-généraux.

Cependant on préparait à Versailles les pom- Préparatifs pes de l'ouverture des états-généraux, pompes l'assemblée des qui devaient être les dernières d'une monarchie que Louis XIV avait rendue si fastueuse. Le roi s'en occupait avec plaisir, malgré son éloignement pour toute espèce de luxe. La salle fut ingénieusement et noblement décorée. Des costumes avaient été réglés pour la noblesse et le tiers-état, et se ressentaient beaucoup trop de cette époque reculée où, pour la première fois, le tiers-état fut appelé par Philippe-le-Bel au conseil de la nation. Les nobles portaient des manteaux noirs, éclatans de dorure, l'épée au côté, un chapeau à panaches: c'était un costume chevaleresque assez heureusement combiné avec l'élégance et le luxe des temps modernes. Les députés du tiers-état, sans épée, en noir, habits et manteaux de laine, rabats blancs et chapeaux rabattus, ressemblaient

* Le barou de Besenval, qui avait donné les ordres aux gardes-suisses dans cette journée, rapporte dans ses mémoires que, tandis que les bourgeois de Paris reconnaissaient en lui leur libérateur, il fut reçu à Versailles par tous les courtisans avec une extrême froideur.

1789 à ces clercs, ces échevins, ces baillis qui servaient autrefois de cortége à leurs puissans seigneurs. M. Necker avait sans doute négligé de s'occuper de cette étiquette. En dépit de l'ostentation philosophique du jour, la vanité du tiers-état souffrit, et de toutes les causes d'ingratitude, la plus commune parmi nous, c'est la vanité blessée.

Messe

du St.-Esprit.

Le 4 mai, les trois ordres marchèrent processionnellement pour entendre la messe du Saint-Esprit. Les députés du tiers-état semblaient sourire dédaigneusement à la pompe orgueilleuse des nobles. Le duc d'Orléans, qui marchait à la tête de la noblesse, affectait de régler son pas, de manière à être confondu souvent avec le tiers-état qui précédait. Le sermon fut prêché par M. de La Fare, évêque de Nancy. Quand l'orateur chrétien vint à proférer le mot de liberté, il fut interrompu et interdit par des applau dissemens qu'on n'avait jamais osé se permettre dans le sanctuaire. Le lendemain, le roi fit l'ouverture des états-généraux. Ver(5 mai). sailles ne vit jamais un spectacle plus imposant. Le triste et grand sujet que je parcours, ne me permet pas de m'arrêter à ces détails d'étiquette et de magnificence. La reine, les princes et les princesses, les ministres, les

Ouverture

des

états-généraux.

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