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1789. difficile, il fallait que le principal ministre ne négligeât aucun moyen de persuasion, de séduction envers les orateurs les plus distingués des trois ordres. Mais taciturne, distrait, souvent embarrassé, dominé par un certain faste de vertu, il se tenait superbement isolé dans une situation qui demandait la chaleur la plus active de l'éloquence, la grâce de l'élocution, le charme des manières, une cordialité expansive, le don de l'à-propos dans les promesses et une fidélité scrupuleuse à les remplir.

L'ordre

du tiers-état

tionale.

(17 juin.)

De jour en jour les députés du tiers-état se constitue en manifestaient des prétentions plus absolues. assemblée na- Sûrs de voir bientôt arriver à eux une partie considérable des députés du clergé et plusieurs membres distingués de l'ordre de la noblesse, ils parlèrent de se constituer. Tout dépendait du titre qu'ils allaient prendre. Jamais le choix d'une dénomination ne put avoir des conséquences plus étendues. Les esprits les plus réservés proposèrent un titre aussi simple que juste: LES REPRÉSENTANS CONNUS ET VÉRIFIÉS DU TIERS-ÉTAT ; d'autres substituaient à ces mots DU TIERS-ÉTAT, des communes de France, et par le choix de ce mot, ils décelaient leur penchant pour leur constitution anglaise. Meunier surtout

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développa cette proposition avec clarté et 1789. profondeur. L'abbé Sièyes allait beaucoup plus loin, et avec cette audace que peut seul donner l'esprit d'abstraction, supprimant les noms, les faits, les institutions premiè res, les lois et les usages de quatorze siècles de nos annales, il réduisait tout à un calcul numérique d'une simplicité vraiment effrayante. Qui êtes-vous, disait-il? La chambre de la noblesse représente à peine >cent cinquante mille individus, et nous » sommes chargés de la procuration de -vingt-cinq millions d'hommes. S'il était permis d'arrêter l'action d'une assemblée en refusant de s'y rendre, ce serait mettre > le corps dans la dépendance de quelques >> membres, ce serait étouffer la volonté de . vingt-cinq millions de Français, sous l'obs tination despotique de quelques milliers » d'individus. Ainsi ce publiciste posait la question, comme si elle avait été traitée dans une assemblée de sauvages, qui n'au rait reçu encore aucune institution politique. Appuyé sur cette arithmétique et sur ces abstractions, l'abbé Sièyes voulut qu'une assemblée, formée encore des seuls députés du tiers-état, s'appelât l'assemblée des représentans de la nation française. Mirabeau

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1789. prouya qu'un factieux homme d'esprit et de sens est beaucoup moins dangereux qu'un factieux métaphysicien. La proposition absolue de l'abbé Sièyes lui fit peur. Il n'avait point juré dans son âme l'abolition de toute espèce de patriciat. Personne n'en sentait mieux que lui toute la nécessité et n'en avait plus naturellement l'orgueil. Il proposa de substituer à ces mots de représentans de la nation française, celui de représentans du peuple français. A ce mot de peuple, les députés du tiers-état se crurent outragés. L'habile tribun fit tomber ces rumeurs en citant l'autorité du lord Chatam, qui prononçait avec tant de pompe ces mots : La majesté du peuple anglais; puis entremêla fort adroi¬ tement des déclamations démagogiques à des paroles parfaitement mesurées. « Il est » infiniment heureux, dit-il, que notre ■langue, dans sa stérilité, nous ait fourni un mot que les autres langues n'auraient >pas donné dans leur abondance; un mot qui présente tant d'acceptions différentes;

D

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un mot qui, dans ce moment où il s'agit » de nous constituer sans hasarder le bien » public, nous qualifie sans nous avilir, nous désigne sans nous rendre terribles; » un mot qui ne puisse nous être contesté,

»et qui, dans son exquise simplicité, nous >> rend chers à nos commettans, sans ef»frayer ceux dont nous avons à combattrè » la hauteur et les prétentions; un mot qui se prête à tout, et qui, modeste aujour »d'hui, puisse agrandir notre existencé, à » mesure que les circonstances le rendront » nécessaire.» Le mot de REPRÉSENTANS CONNUS ET VÉRIFIÉS DU PEUPLE FRANÇAIS, parut ignoble et mesquin. La vanité traneha la question, et, sur la proposition d'un député obscur, le tiers-état prit le titre absolu et presque souverain d'assemblée nationale. Un tel coup de tonnerre suffisait pour renverser tout l'édifice du passé. Cependant les esprits gardaient une étonnante sérénité. Plusieurs députés n'avaient accepté un titre qui préjugeait tout, que comme une expression simple, coulante et d'un usage commode. Tous se trouvèrent engagés dans une révolution bien plus loin qu'ils ne l'eussent prévu et dé siré. La noblesse poussa des cris de fureur, et ne sut point parer le terrible coup qui lui était porté, en adhérant au sage conseil du maré quis de Montesquiou, qui voulait que les deux ordres demandassent au roi de les constituer en chambre haute. D'abord trois curés du Poitou désertèrent l'assemblée de leur ordre

1789.

1789. pour se réunir au tiers-état. Plusieurs curés penchaient pour le même parti. Sept évêques,

Motifs

de la déclara

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en se joignant à eux, rendirent la majorité flottante de deux à trois voix. Le roi n'intervenait pas encore; mais il se préparait à faire enfin l'office d'un médiateur imposant, et à déployer l'autorité d'un législateur, Tout pouvait réussir si le roi avait amené les deux partis à le choisir pour arbitre d'un commun consentement; mais il y avait du péril à se déclarer tel, lorsque son autorité n'était point invoquée. L'assemblée du tiers venait de frapper son coup d'état en se constituant sous le nom d'assemblée nationale; il était à craindre que le roi ne frappât le sien trop tard.

M. Neckers'occupait depuis quelque temps tion du 23 juin, d'une déclaration royale, qui aurait posé les bases législatives d'un nouvel ordre de choses, et qui offre assez d'analogie à celle qui a fixé nos destinées, nos libertés, notre repos, après vingt-cinq ans de malheurs.

On frémit en pensant au long et épouvantable circuit que nous avons eu à faire pour revenir presque au point du départ.

Le plan de M. Necker n'était point une œuvre de génie; mais il offrait une assez adroite conciliation de tous les vœux expri

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