Page images
PDF
EPUB

més par les cahiers des trois ordres. Les bases d'une constitution y étaient indiquées plutôt que posées. On pouvait le considérer comme une transition vers un gouvernement fort analogue dans ses bases principales avec le gouvernement anglais, et qui. ne faisait point une violence trop ouverte aux mœurs, aux lois de la vieille monarchie. Le passé y était modifié, non aboli, et c'était la meilleure solution du problème politique qui s'agitait alors.

Occupons-nous un moment d'une douloureuse recherche, celle des causes qui firent avorter un plan si salutaire.

1789.

M. Necker avait compté sur sa popularité plus apparente que réelle, et sur l'affection qui paraissait s'attacher encore au monarque, pour assurer le succès de ses mesures. Si l'on s'en rapporte aux mémoires de son illustre fille, madame de Staël, cette déclaration devait paraître une semaine après l'ouverture des états-généraux ; c'est-à-dire, à une époque où les esprits, moins enflammés, auraient pu recevoir le bienfait avec plus de reconnaissance, et en accepter plus docilement les conditions. Mais ce ministre, dans ses propres mémoires sur la révolution française, fait assez connaître que son plan

t

1789.

Serment du jeu

de paume. (20 juin.)

ne fut pas sitôt arrêté. Le roi l'avait d'abord, approuvé sans restrictions; mais il le laissa connaître à la reine, aux princes, à tous ces conseillers qui se multiplient prodigieusement auprès des princes faibles. Le plan reçut par eux des modifications que le roi jugea peu importantes, mais dont le ministre jugea tout autrement. Un page fut chargé à deux reprises de lui apporter ces changemens arrêtés ou consentis par le roi. Necker dissimula son dépit, n'éclata point, réclama peu; mais il se résolut, avec une promptitude que ni lui ni sa fille n'a pu suffisamment justifier, à désavouer son ouvrage, quels que fussent les périls du roi, destitué de son principal, appui.

Le 20 juin, les héraults d'armes proclamèrent dans Versailles la prochaine tenue d'une séance royale. Tout ce que les lits de justice offraient autrefois d'odieux se reproduisit à l'esprit des députés. Comme on disposait la salle des états-généraux pour l'appareil imposant de cette cérémonie, la porte, gardée. par un détachement de troupes françaises fut fermée aux députés du tiers-état. Bailly, leur président, protesta, comme s'il se fùt agi de la violence la plus, despotique. Les députés se répandent en groupes nombreux

[ocr errors]

dans les rues de Versaillès, s'entretiennent de 1789. leurs dangers imaginaires, y croient à force de s'en répéter l'avertissement, jettent leurs alarmes dans le peuple qui toujours exagère, s'enflamment et s'affermissent dans leurs résolutions, se déclarent d'avancé rebelles à toute constitution qu'ils n'auraient pas dictée, s'indignent de recevoir à titre de bienfaits des concessions qu'ils regardent déjà comme leurs conquêtes, veulent être bénis comme des législateurs immortels, ét comme ceux de la Francé et comme ceux du genre humain. Oh! que ne peuvent-ils dans l'ardeur qui les transporte, trouver un lieu qui les réunisse, et reçoive leurs sermens; quelques-uns voudraient aller les prononcer en face même de ce château où ils s'imaginent qu'on leur forge des chaînes, ou dans ces jardins encore tous' remplis de la grandeur fastueuse de Louis XIV. Le respect de la majesté royale ou quelque crainte peut-être les contient. Ils ont découvert un jeu de paume assez spacieux pour les contenir; Bailly les y convoque. Il leur semble à tous que la hauteur de leurs pensées vient de répandre sur ce lieu une subite majesté. Une table sert de tribune. Au-dedans, audehors de la salle circulent des hommes qui,

[ocr errors]

sérieusement effrayés ou payés pour le pa raître, conjurent les députés de résister à la cour. Quelques soldats quittent leur poste pour venir servir de garde aux députés qu'on leur dit exposés aux vengeances du despotisme. Ce mouvement tumultueux cette précipitation, ces alarmes vagues et si grossièrement exagérées, cet enthousiasme qui chez la plupart était exempt de l'esprit de faction, et s'y mêlait chez d'autres, produisirent un arrêté par lequel la chambre du tiers-état semblait s'emparer de l'autorité législative la plus illimitée. Voici les termes de cet arrêté :

«L'assemblée nationale considérant » qu'appelée à fixer la constitution du royau» me, opérer la régénération de l'ordre pu» blic, et maintenir les vrais principes de >> la monarchie, rien ne peut empêcher » qu'elle ne continue ses délibérations, et » ne consomme l'oeuvre important pour le»quel elle est réunie, dans quelque lieu » qu'elle soit forcée de s'établir, et qu'enfin, >> partout où ses membres, se réuniront, là » est l'assemblée nationale; arrête que tous » les membres de cette assemblée prêteront à l'instant le serment de ne jamais se sé» parer, et de se rassembler partout où les

circonstances l'exigeront, jusqu'à ce que la 1789. » constitution du royaume et la régénération de l'ordre public soient établies et affer»mies sur des bases solides, et que, ce ser»ment étant prêté par tous les membres et >par chacun d'eux en particulier, ils con» firmeront, par leur signature leur résolu» tion inébranlable. »

Bailly, qui avait proposé ce serment, leprononça et le signa le premier.. Tous les députés le prêtèrent et le signèrent à l'exception d'un seul, Martin de Castelnaudary; ainsi les esprits les plus sages, et même ceux qui, amis de M. Necker, devaient savoir par lui que la déclaration annoncée était bien loin de renfermer rien d'hostile contre les députés des communes ni contre les intérêts de cet ordre, cédèrent soit à cet enthousiasme qui se propage si rapidement en France, soit à la crainte de paraître détacher leurs inté rêts de ceux de leurs collègues qui se croyaient en péril. De tous les sermens qui se multiplièrent et se combattirent pendant la révolution, le serment du jeu de paume est le seul qui ait laissé un long souvenir. Mais il eut pour premier et pour déplorable effet d'empêcher le succès d'un acte de médiation tenté par le monarque avec plus ou moins.

« PreviousContinue »