Page images
PDF
EPUB

semblera la plus adéquate à sa mission fédérative. Ce que nous voulons, c'est qu'elle soit d'abord, afin que son peuple puisse la former à son image; c'est que le mouvement réparateur qui se porte vers l'Orient, ne profite pas seulement à la Pologne, mais à toutes les nationalités conquises, réclamant de Dieu leur part d'Indépendance parmi les hommes; c'est que l'Italie appartienne aux Italiens, la Hongrie aux Hongrois, la Pologne aux Polonais: que les Slaves s'appartiennent à euxmêmes et non pas à des maîtres allemands ou tatars. C'est que toutes les races harmoniquement confédérées, travaillent à leur bonheur, se perfectionnent mutuellement par les progrès scientifiques, multiplient à l'infini leurs échanges et leurs richesses, pour former une coalition pacifique de la Liberté européenne qui deviendra la source et le point de départ de l'émancipation générale. C'est que le principe chrétien de Fraternité inhérent à la nature de l'homme ne soit pas une vaine formule, mais un symbole d'alliance universelle; que le nom d'étranger ne signifie plus en aucune langue un intrus, un ennemi, mais qu'il serve à désigner un hôte venant de Dieu, et un frère venant des hommes; que les peuples eux-mêmes soient frères comme les hommes, membres d'une même famille, et tous responsables les uns des autres. Que cette sainte expression de leur solidarité : CHACUN VIVANT POUR TOUS, TOUS VIVANT POUR CHACUN,- pénètre dans l'ordre social aussi bien que dans l'ordre politique; et soit la base d'une association des individus, des familles, des nations et de l'humanité!

Telle est la pensée qui nous a été transmise par l'homme des deux mondes, Thadée Kosciuszko, et que nous transmettrons dans toute sa plénitude à nos descendants. Telle est la sainte mission dévolue à la Pologne régénérée; mission qui lui fut assignée par les décrets de la Providence : c'est afin de la préparer à son accomplissement que le Divin-Maître a voulu la faire passer par toutes les angoisses du martyre et de l'expiation. C'est ainsi qu'en échange des fers dont ils l'ont chargée, la Pologne crucifiée par les rois, abandonnée des peuples, aura, par une sublime et sainte vengeance, fondé la liberté du monde, en lui léguant, comme un héritage divin, son amour et son immortalité.

Voici l'appel décisif, le dernier sans doute, que nous, proscrits polonais, nous faisons au nom de notre patrie, à la justice et à l'honneur de l'Europe. C'est le cri suprême que, du fond de notre exil, nous élevons vers les nations libres; pour revendiquer d'elles notre propre liberté, indignement sacrifiée aux plus vils instincts de l'âme humaine à l'Or et à la Peur, ces deux sanglantes idoles du paganisme moderne, bien plus criminel et plus méprisable que l'ancien, parce qu'il est sorti des entrailles même de leur fausse civilisation. Nous leur disons à toutes, au nom de Dieu et des hommes:

« Que si la Pologne est libre, vous serez libres comme elle, avec elle et par elle;

» Que si la Pologne est esclave, vous serez esclaves comme elle, avec elle et (Dieu veuille qu'il n'en soit pas ainsi) par elle !

>> Voulez-vous être les frères indépendants de la nation polonaise indépendante ?

» Voulez-vous être les esclaves barbares du tzar, le despote barbare? »

Peuples de l'Europe, choisissez ! les deux principes sont en présence, les deux armées se préparent au combat!

Les temps sont arrivés où vous devez opter entre nous et le tzar; entre la Pologne et la Russie : le drapeau français dans la citadelle de Varsovie, ou l'étendard kosaque à Paris !

Napoléon 1er tenait, de même que vous, le salut de la Pologne dans sa main; cette main, soit orgueil, soit jalousie, il ne daigua pas l'ouvrir: et, du faîte de la puissance et de la gloire, il est tombé dans l'exil et la captivité.

Vous périrez de même, infailliblement, si vous laissez périr la Pologne !

Recueillez vos forces, et mesurez-les avec celles de votre ennemi. Ce n'est pas en vain que Dieu fait grandir à l'Orient, de l'Euxin à la mer Glaciale, et de la Baltique à la mer Caspienne, la plus formidable des familles humaines; un peuple déjà plus nombreux que ceux de France et d'Allemagne réu

nis; un peuple rude et juvénile, qui a besoin de mouvement et d'expansion; un peuple qui veut être seul dans le monde : et qui vous donnera s'il le faut, en vous écrasant, l'accord et l'unité qui vous échappent!

Vous ne vaincrez paz la Russie sans nous; et encore moins, contre nous !

Peuples de l'Europe, prenez garde qu'un jour la Russie conquérante ne soit une Rome nouvelle; que la France ne subisse le sort de la Grèce ancienne : et que l'Angleterre ne devienne une autre Carthage!

Voici bientôt un siècle que la Pologne torturée par tous ses membres, saigne par toutes ses veines, souffre par toute son âme; c'est à l'abri de son martyre que vous avez joui des fruits de cette paix factice de trente années! C'est en se tordant aux pieds de ses bourreaux, en étreignant leurs genoux de ses bras crispés par la douleur, en les effrayant par sa résignation même, qu'elle les empêche d'avancer sur vous pour consommer leur œuvre de vol et de brigandage! Mais du jour où ses bras suppliants seront détendus par la défaillance suprême; où la dernière goutte de sang aura tari dans ses veines; où toute son âme s'exhalera dans un cri d'agonie: malheur, malheur à vous! car ce jour sera le jour de votre châtiment ! Car au même instant, la Russie triomphante s'étendra sur le monde comme un linceul de neige sanglante; de ses bras de marâtre, elle enchaînera l'Europe, par la mer du Nord et la Méditerranée; de cette étreinte de mort, rien ne sortira que la mort : bientôt elle l'aura faite à son image, et l'Europe aussi ne sera plus qu'un cadavre! Les forces de la civilisation se redresseront contre elle-même; ses arts et ses conquêtes scientifiques, glorieux patrimoine de sa pensée, seront détournés au profit de la tyrannie des barbares; de l'éblouissement de la lumière elle sera soudainement replongée aux ténèbres de l'ignorance, comme l'œil à force de fixer le soleil ne peut plus rien apercevoir; dès lors, plus de principes, plus d'idées morales, de nationalités et de progrès plus de souvenirs historiques pour les peuples, plus de traditions de famille pour les hommes. Il n'y aura que deux faits permanents, inexorables, en face l'un de l'autre, le commandement et l'obéissance; et, parmi toutes ces ruines amoncelées de votre société mourante, on ne verra surgir qu'un seul drapeau le despotisme!

Alors, pour achever la destruction de l'Europe, Dieu suscitera contre elle un de ces fléaux vengeurs qui ont englouti les cités de l'Asie, mortes depuis trois mille ans; pareils à ces ouragans de feu qui transportent des montagnes de sable mouvant d'une extrémité à l'autre du désert. Avant de rentrer dans le néant, la famille des tzars de Russie produira un monstre à face d'homme, un Attila nouveau, qui poussera de. vant lui les Slaves comme une avalanche humaine, roulant et portant avec eux la dévastation, l'incendie et la mort. Les flammes d'Ismaïloff, de Praga et de Sinope, se refléteront à Vienne, à Paris et à Londres. L'esprit asiatique de conquête et l'esprit européen d'égoïsme formeront une alliance pour le crime; et de leur accouplement naîtra un démon hideux, trois fois maudit: l'esprit de guerre civile, de vengeance et de massacre. Ce n'est plus seulement la guerre de peuple à peuple, mais de famille à famille, d'homme à homme; guerre de la misère contre l'opulence, de la faim contre la satiété, des haillons contre le luxe : guerre fratricide, avec des cris de désespoir et de rage, guerre d'extermination saus terme, sans issue, et sur tous les lambeaux du continent ensanglanté !

Et l'Europe sera comme une contrée maudite sur laquelle la colère de Dieu aura passé.

Une voix fatidique, désolée et pleine de larmes s'élèvera du sein des ruines, et dira:

« Jadis libre, savante et féconde, te voilà devenue barbare, ignorante et stérile, malgré ton or, malgré ton industrie, tes forces matérielles, tes flottes, tes armées; parce que tu n'as pas voulu sauver un peuple qui depuis huit siècles s'est offert pour ton salut. Il te demandait de briser ses chaînes, et tu l'as vendu à ses bourreaux; qu'il soit donc fait avec toi selon tes œuvres sois barbare, ignorante et stérile, puisque tu l'as voulu ! »

Cette voix sera celle de l'HISTOIRE; et cette voix retentira dans les âges: car elle sera la sentence de la JUSTICE ÉTERNELLE!

En avant donc, peuples de l'Europe! et que la dernière guerre soit faite pour conquérir une paix glorieuse et durable à Varsovie!

En avant, pour sauver l'Europe du tzar et de la destruction !

En avant, contre le fanatisme de la barbarie, avec le saint enthousiasme de la liberté !

Levez-vous tous contre la Russie varègue et mongole; qui veut devenir le monde, après avoir subjugué les Slaves: et, dès le premier combat, vous la verrez brisant ses chaînes sur la tête de son oppresseur!

Et, de même que la Pologne fut de tout temps le Précurseur et l'Apôtre de la Fraternité parmi les Peuples;

De même qu'en 1830, elle inscrivait sur ses drapeaux cette sainte devise: Pour Votre Liberté et la Nôtre;

Ainsi nous, ses enfants, vos frères, nous combattrons encore à vos côtés, pour Votre Indépendance et la Nôtre, et Dieu nous donnera la victoire !

Peuples de l'Europe, donnez-vous la main et marchez à la Guerre-Sainte!

Paris, 3 mai 1854.

(Le Siècle.)

XXXVIII

APPEL AUX ALLEMANDS

LE RÉTABLISSEMENT DE LA POLOGNE

D'APRÈS UN PUBliciste allemand (1).

Lord Palmerston disait dans la séance du 20 mars, à la chambre des communes :

«En ce qui touche la Pologne, je n'hésite pas à proclamer ici mon opinion, que la position actuelle du royaume de Pologne est une menace permanente pour l'Allemagne ; c'est aux puissances d'Allemagne à déterminer jusqu'à quel point elles peuvent penser que la constitution actuelle leur est ou non

(1) Cet appel est un résumé de la brochure de M. le docteur Eisenmann, « Aufruf zur Herstellung des Koenigreichs Polen; » Erlangen, 1848.

« PreviousContinue »