Page images
PDF
EPUB

firoit qu'on louât un Hoinme de Lettres. Il s'eft conformé aux règles que M. d'Alembert a tracées pour ce genre d'Ouvrages parce que ces règles font celles de la raifon & du goût; & que c'eft à l'heureufe facilité, au talent particulier, de ne s'en écarter prefque jamais, que M. d'Alembert a dû tous fes fuccès dans une carrière où le nom de Fontenelle fembloit ne plus permettre de marcher avec gloire.

M. Dumas trace l'analyfe des Ouvrages de M. d'Alembert avec beaucoup de neteté, d'exactitude & de précision. L'analyfe du Difcours préliminaire de l'Encyclopédie doit fur-tout être regardée comme un des meilleurs morceaux de ce genre. Elle afte le développement le plus mahodique & le plus clair du plan & de l'objet de cet Ouvrage immortel, & elle mérite d'être placée à côté de l'Analyfe de l'Esprit des Loix par M. d'Alerabert. M. Dumas termine ainfi sette analyfe. Il n'existe dans notre Langue, & j'ofe l'affirmer fans recourir aux oracles de l'érudition, il n'exifte dans les Langues Etrangères aucun Ouvrage dont toutes les parties fe correfpendent & s'enchâffent d'une manière plus intime. Cet efprit de liaifon rigoureufe, ce véritable efprit fystématique fera toujours le plus rare & peut-être le plus almiré, quoiqu'il ne foit pas le plus grand. L'entendement humain eft encore moins circonfcrit que mobile, il embraffe beaucoup, déter

[ocr errors]

mine peu, ordonne avec peine. Une vafte collection d'objets lui caufe donc moins de furprife par leur multitude, que par leur enchaînement. Lorfque d'Alembert découvrit une loi fondamentale de la mécanique, après plufieurs combinaifons d'idées, il parvint à un résultat neuf; il montra du genie. Dans fa Préface immortelle, il fit preuve d'une force de conception qui tient de près au même caractère, mais qui peut exifter, qui exifta quelquefois féparée de lui ".

M. Dumas place conftainment entre ces différens merceaux d'analyfe, des réflexions tantôt fines & ingénieufes, tantôt fortes & profondes, fur les objets qu'il confidère; & ces réflexions annoncent un Ecrivain plein de goût & de fagacité, un efprit jufte & éclairé, une ame délicate, fenfiole, indépendante,& courageufe. Après avoir parlé de l'Effai fur les Gens de Lettres, où on écoute, dit il, M. d'Alembert comme un Voyageur qui a traverié une région infalubre, & dont le tempérament robufte a furmonté l'influence du climat, il fait les obfervations fuivantes fur le commerce des Gens de Lettres avec les Gens du monde.

» Je parlerai avec franchife, fans crainte de heurter ceux d'entre les Grands qui, par des lumières & des vertus perfonnelles, montent au niveau des Sages. Le befoin de changer de place, le plaifir oifif de recueillir ou de raconter les intrigues de

l'ambition, le jeu qui fert à déguifer l'ennui, l'avarice ou la médiocrité, quelquefois même une envie réciproque de fe nuire; voilà les éternels pivots des Sociétés du plus haut rang. Les entretiens y font froids, petits, interrompus; rien n'y tourne au profit du fentiment, de la railon. Il y a une claffe d'hommes qui n'auroit jamais dû pénétrer dans ce fanctuaire, où elle ne peur que fe rétrécir l'entendement : c'est celle des Gens de Lettres. Exercés aux déférences, aux hommages, aux difçours adu- . lateurs ou nuls, n'efant rien voir, jeger, comme des efclaves façonnés au joug, ils y perdent cette indépendance, cette fierté de caractère qui feule imprimie à leurs compofitions une touche originale. Où cit la fource, où est l'aliment de cette continuelle abjection, de ce déshonneur des Lettres? Que prétendent ceux qui les culrivent? Mefurent ils le difcerucment, l'équité, à la pompe, aux titres? Pealent-ils trouver parmi les Courtifans des connoiffeurs plus fubtils, des Juges plus intègres ? Qui les enlève au calme de la réflexion ? Qui les jette du fein de leur folitude au féjour des pallions turbulentes? Et-ce le foin de leur renommée: Eft ce le calcul de l'intérêt, le befoin, l'efpoir des graces, des récompenfes Froiffés par les évènemens, qu'ils ne rougiffent point d'imiter le grand Homme qui, pour fouftraite à tout defpotifme fa liberté d'opinion, prof

E

tituoit à tranfcrire des notes de mufique la même plume qui enfantoit des chefd'œuvres d'éloquence. Je ne vois qu'un. contrat qui puiffe rapprocher l'hemme de Lettres de l'homme de nailfance, de l'homme conftitué en dignité, du Grand; il efface toutes les marques diftinctives; il fuppole tous les rapports perfonnels; il amène les épanchemens, l'ouverture de cœur ; c'eft le même que Rouffeau exige entre un père & l'Inftituteur de fes enfans: le contrat infoluble qui enchaîne deux amis." J'admers encore une exception pour un Corneille, pour un Voltaire, pour un Montefquicu, pour un de ces hommes qui ont pris um afcendant marqué fur leur fiècle. Les Grands, à leur afpećt, rentrent dans la claffe honorable du Peuple; ils s'inclinent devant le génie. Hors de là, je penfe comme d'Alembert, que c'eft uniquement dans des Sociétés de choix, dans leur commerce réciproque, que les Savans, les Littérateurs, les Philofophes doivent chercher un délatiment à leurs travaux, puifer de nouvelles forces, de nouvelles lumières".

Nous voudrions pouvoir offrir à nos Lecteurs plufieurs autres morceaux fur le fyle, fur l'influence de l'efprit philofophique, &c. où M. Dumas à eu l'art de traiter avec beaucoup d'efprit & [de goût des objets dont tant de difcuflions fembloient avoir épuilé l'intérêt ; mais l'éten

due de ces morceaux & leur dépendance réciproque ne nous permettent pas de les rapporter ici.

Après avoir rendu aux qualités littéraires de M. d'Alembert une juftice qui n'est plus conteftée que par ces hommes dont les cris impuiffans font toujours le dernier hommage dû à la vérité, M Dumas s'arrête un moment fur les qualités morales de M. d'Alembert, fur » ce caractère, dit-il, qui attache, qui imprime le refpect, qui rachète, pour ainfi dire, tous les vices des caractères oppofés «; mais comme il n'avoir pas été à portée de le connoître & de le voir de près, il n'offre fur ce fujer que de légers détails. "Ce développement des mœurs de d'Alembert, dit-il, exifte tracé par une main fupérieure, par la main d'un Philofophe qui a fu, en louant un ami, ne point fortir des bornes de la vérité, & P'honorer plus encore par les regrets que par fes éloges «

C'eft, en effet, dans l'Eloge de M. d'Alembert, lu a l'Académie des Sciences en 1784, par M. le Marquis de Condorcet, que l'on trouvera à côté des jugemens les plus approfondis fur les Ouvrages & les opinions de M. d'Alembert, ces détails précieux de caractère & de conduite privée qui doivent endie fa mémoire éter nellement chère & refpectable à tous les hommes fenibles, à tous les amis des Lettres & de la vérité. C'eft fur tour dons fa

Es

« PreviousContinue »