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lettre morte, vain spectacle pour la curiosité, et même aliment du luxe et des passions.

Je crois même qu'un peuple exclusivement adonné à l'étude des objets matériels qui, chez le plus grand nombre de ceux qui la cutivent, de toutes les facultés de l'intelligence, n'étendent guère que la mémoire, deviendrait à la longue extrêmement inférieur aux autres peuples sous le rapport de l'esprit, de la raison et même des qualités sociales. Il perdrait en science morale ce qu'il gagnerait en connaissances physiques: il pourrait être habile à conduire ses propres affaires, mais il le serait plus encore à troubler celles de ses voisins; il y aurait plus de calcul dans les têtes que d'ordre dans les esprits, et de sentimens de justice dans le cœur; il fabriquerait mieux qu'il ne composerait, son commerce mercantile pourrait être florissant et son commerce social peu agréable.

Bossuet traita donc de la connaissance de Dieu et de soi-même, mais cet ouvrage, entrepris pour l'éducation de son royal élève, ne fut imprimé qu'après la mort de l'auteur.

Cette tardive publicité, le titre de l'ouvrage, plutôt théologique que philosophique, et le nom même de Bossuet, plus célèbre comme théologien que comme philosophe, ont trompé beaucoup d'esprits sur l'utilité classique de ce traité, et il n'était pas aussi connu dans les écoles qu'il aurait mérité de l'être. Bossuet l'avait d'abord intitulé: Introduction à la Philosophie, et il est à regretter qu'il ne lui ait

pas conservé un titre qui lui convenait beaucoup mieux, et sous lequel il eût été connu plus tôt et plus répandu.

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Le Traité de la connaissance de Dieu et de soimême fut d'abord attribué à Fénélon, parce qu'on en trouva parmi ses papiers une copie que Bossuet lui avait confiée pour l'instruction du duc de Bourgogne.

Fénélon demandant à Bossuet, pour l'instruction du duc de Bourgogne, un écrit que Bossuet avait composé pour l'éducation de M. le Dauphin; certes il serait difficile de trouver dans le nom des maîtres, ou la qualité des élèves, une garantie plus sûre et plus authentique du mérite de l'ouvrage.

M. de Bausset s'est étendu avec complaisance sur le Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même, et il semblait dès lors commencer les fonctions importantes auxquelles il est appelé en ce moment, en recommandant d'avance à l'attention des personnes chargées de l'enseignement philosophique de la jeunesse, l'ouvrage du grand siècle où il y a le plus de notions usuelles et pratiques de véritable philosophie.

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Bossuet, dans une lettre à Innocent XI, avait exposé ses idées et ses principes sur l'instruction morale, et l'on pourrait dire sur l'éducation de l'esprit et du cœur qui convient à un prince.

« La logique et la morale, disait-il, servent à » cultiver les deux principales opérations de l'es>> prit humain, qui sont la faculté d'entendre et celle

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» de vouloir. Pour la logique, nous l'avons tirée » de Platon et d'Aristote, non pour la faire servir » à de vaines disputes de mots, mais pour former » le jugement par un raisonnement solide, nous » arrêtant principalement à cette partie de la logique » qui sert à trouver les argumens probables, parce » que ce sont ceux que l'on emploie dans les >> affaires......

>> Pour la doctrine des mœurs, nous l'avons puisée >> dans sa véritable source, dans l'Écriture et dans les » maximes de l'Évangile; nous n'avons pas cepen» dant négligé d'expliquer la morale d'Aristote, et >> cette doctrine admirable de Socrate, vraiment >> sublime pour son temps, qui peut servir à donner » de la foi aux incrédules, et à faire rougir les >>> hommes corrompus.

>> Mais nous remarquons en même temps ce que >> la philosophie chrétienne y condamne, ce qu'elle » y ajoute, ce qu'elle y approuve, avec quelle auto>> rité elle en confirme les saines maximes et com>> bien elle lui est supérieure; en sorte que la phi»losophie de Socrate, toute grave qu'elle paraît, »› comparée à la sagesse de l'Evangile, n'est que » l'enfance de la morale.

>> Quant à la philosophie, nous nous sommes >> attachés à celles de ses maximes, qui portent avec » elles un caractère certain de vérité, et qui peu» vent être utiles à la conduite de la vie humaine. >> Quant aux systèmes et aux opinions philosophi» ques qui sont abandonnés aux vaines disputes des

» hommes, nous nous sommes bornés à les rappor » ter sous la forme d'un récit historique, nous » avons pensé qu'il convenait à la dignité du jeune » prince de connaître les opinions diverses et oppo»sées qui ont occupé beaucoup de grands esprits, » et d'en protéger également les défenseurs, sans » partager leur enthousiasme ou leurs préjugés. » Celui qui est appelé à commander, doit apprendre » à juger et non à disputer.

» Mais après avoir considéré que la philosophie » consiste surtout à rappeler l'esprit à soi-même » pour s'élever ensuite jusqu'à Dieu, nous avons » d'abord cherché à nous connaître nous-même. » Cette étude préliminaire, en nous présentant » moins de difficulté, offrait en même temps à nos » recherches le but le plus utile et le plus noble, >> car pour devenir un vrai philosophe, l'homme >> n'a besoin que de s'étudier lui-même, et sans s'éga>> rer dans les recherches inutiles et puériles de ce » que les autres ont dit et pensé, il n'a qu'à se >> chercher et s'interroger lui-même, et il trouvera >> celui qui lui a donné la faculté d'être, de connaître >> et de vouloir ».

« C'est d'après cette idée, dit M. de Bausset, que >> Bossuet composa son admirable Traité de la con» naissance de Dieu et de soi-même.

>> Cet ouvrage, dont le seul défaut, peut-être, est » d'excéder les bornes de l'intelligence d'un enfant » à qui la nature n'avait accordé ni une grande vi» vacité d'imagination, ni cette ardeur de s'instruire

>> qui supplée quelquefois à des dispositions plus heu>> reuses, est un des ouvrages les plus dignes de la >>"méditation des hommes qui ont la conscience de >>> leur raison et le sentiment de leur dignité.

» Jamais aucun philosophe ancien et moderne » n'a professé sur ce digne sujet des méditations de >> l'homme une doctrine plus simple dans son exposé, >> mieux démontrée dans ses preuves, plus satisfai» sante dans ses résultats, plus consolante dans ses » espérances. Chose remarquable! Bossuet toujours » si éloquent et si magnifique, lorsqu'il veut parler » à l'âme et à l'imagination, n'emploie que les ex>> pressions les plus simples et les plus accessibles » à l'intelligence, lorsqu'il veut parler à la raison. » Il savait que la clarté ne dépend pas seulement » de l'ordre des idées, mais qu'elle dépend surtout >> du choix de l'expression.

>> Mallebranche avait eu besoin de séduire l'ima» gination par le coloris brillant de son style, parce » qu'il créait un système: Bossuet n'a eu besoin » que de s'exprimer avec clarté, parce qu'il ne vou» lait montrer que la vérité ».

Il me semble qu'il y a quelque chose à reprendre dans cette dernière phrase, et que l'opposition entre Bossuet et Mallebranche n'est pas exacte. Sans doute Bossuet en montrant la vérité ne voulait pas ou ne croyait pas faire un système; mais Mallebranche, en faisant ce qu'on appelle un système, croyait et voulait surtout montrer la vérité. Bossuet se te

nait dans la région des faits connus, Mallebranche

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