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toutes les combinaisons de la tactique militaire qui nous avait procuré nos premiers succès. A mesure que les armées espagnoles avaient été détruites, les juntes provinciales ne pouvant plus communiquer avec la junte suprême, avaient employé toutes leurs ressources à la défense locale des pays qu'elles administraient; ceux des habitans qui avaient jusqu'alors souffert avec patience, attendant de jour en jour leur délivrance du succès des batailles rangées, ne cherchèrent plus qu'en eux-mêmes les moyens de secouer le joug qui les opprimait. Chaque bourg, chaque village, chaque individu sentait plus vivement chaque jour la nécessité de repousser l'ennemi commun. La haine nationale qui existait généralement contre les Français avait mis une sorte d'unité dans les efforts non combinés des peuples, et l'on vit succéder à la guerre régulière un système de guerre de détail, une espèce de désordre organisé simultanément qui convenait très-bien au caractère indomptable de la nation espagnole, et aux circonstances malheureuses où elle se trouvait. De là naquirent ces bandes de partisans appelées Guerillas.

Les habitans des villes et des grands bourgs commençaient à ne plus abandonner leurs demeures, et les garnisons françaises vivaient assez paisiblement au milieu d'eux; mais on ne pouvait se faire obéir à deux lieues du cantonnement: il fallait continuellement mettre en marche de fortes colonnes mobiles pour faire rentrer des vivres et du fourrage,

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et nous n'étions absolument maîtres que de la terre que nous foulions sous nos pieds. Toutes les parties de l'Espagne se couvrirent peu à peu de Guerillas composées de soldats de ligne dispersés et d'habitans des plaines et des montagnes des prêtres, des moines, des laboureurs, de simples påtres étaient devenus des chefs actifs et entreprenans le fameux Mina n'était qu'un jeune étudiant de Pampelune qui rassembla d'abord quelques-uns de ses camarades. Les Guerillas, faibles dans leur naissance, attiraient peu l'attention des troupes françaises; mais telle bande qui n'était composée dans le principe que d'une trentaine d'hommes, devenait en quelques mois si nombreuse qu'elle interceptait bientôt toutes nos communications, enlevait les convois et attaquait les détachemens isolés. Ces bandes furent toujours battues et dispersées toutes les fois qu'on put les atteindre, mais elles se reformaient bientôt, et venaient tomber à l'improviste sur quelques-uns de nos postes les moins nombreux. Les nouvelles des petits avantages que remportaient les partisans étaient avidement reçues dans le peuple et racontées avec l'exagération méridionale; elles servaient à relever les esprits que des revers avaient momentanément abattus en d'autres lieux. Cette même mobilité d'imagination et cet esprit outré d'indépendance qui avaient nui aux opérations incertaines et lentes des armées réglées de la junte, assurait alors la durée de la guerre nationale, et l'on pouvait dire des Espagnols que, s'il avait été

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d'abord facile de les vaincre, il était impossible de les subjuguer.

Les seuls corps espagnols qui méritassent le nom d'armée se trouvaient dans les montagnes de la Catalogne, dans la Galice, et à l'extrémité du royaume de Valence du côté d'Alicante et de Carthagène : dans toutes les autres parties de l'Espagne if n'existait point de force capable de résister; cependant les Français n'étaient tranquilles sur aucun point; on se battait partout et continuellement; les ennemis étaient répandus en tous lieux; les endroits occupés par les Français étaient tous plus ou moins menacés; il fallait se garder militairement sur tous les fronts, et quand une troupe française bivouaquait quelque part, elle se plaçait sur une position. isolée et avantageuse autour de laquelle on établissait des postes dans toutes les directions, car on était sans cesse exposé à se voir attaqué inopinément par des ennemis toujours dix fois plus nombreux. Les petites garnisons que nous établissions dans les bourgs et villages sur les routes militaires, pour surveiller les environs et lier nos communications, se trouvaient dans un état de blocus continuel dont elles n'étaient delivrées momentanément que lorsqu'il passait des colonnes françaises; ces garnisons étaient obligées de bâtir, pour leur sûreté, des espèces de citadelles, en réparant de vieux châteaux ruinés placés sur des hauteurs presque tous ces châteaux étaient les restes des forts que les Romains Du les Maures avaient élevés, pour le même but,

bien des siècles auparavant. La guerre d'Espagne offrait ainsi à l'observateur une foule de souvenirs et de rapprochemens extraordinaires; la ville de Sagonte (aujourd'hui Murviédro, muri veteres) m'en fournira un exemple. La forteresse est construite sur un rocher qu'on peut appeler inexpugnable; les Carthaginois, après la destruction de Sagonte, rebâtirent les forts qui leur servirent å contenir le pays; plus tard, les Romains en furent les maîtres et en continuèrent les travaux; lorsque les Maures vinrent en Espagne plusieurs siècles après, ils élevèrent des murs et des tours sur les antiques bases de ce même fort qui n'était plus depuis long-temps qu'un amas de ruines; après l'expulsion des Maures, cette forteresse retourna, par les ravages du temps, à l'état où elle était avant eux; enfin, dans la dernière guerre, les Espagnols, pour nous empêcher l'approche de Valence, reconstruisirent presqu'en entier le château de Sagonte, et les Français, après s'en être rendus maîtres, y mirent la dernière main et succédèrent, au bout de deux mille ans, aux premiers fondateurs de ces remparts. Dans les champs de cette même ville, si célèbre par le nom d'Annibal et par le glorieux dévouement de ses citoyens, les Français remportèrent sur l'armée du général Blacke une grande victoire qui décida du sort de Valence : à l'assaut des forts de Sagonte, ils mêlèrent leur cendre à celle des Carthaginois, des Romains et des Maures, et le maréchal Suchet, qui commandait sur ce point,

eut la gloire de vaincre dans les mêmes lieux qu'Annibal. Tous ces grands souvenirs exaltaient l'imagination et donnaient de temps en temps quelque. chose d'héroïque à cette guerre injuste, mais dont l'injustice monstrueuse ne pouvait retomber que sur celui qui l'avait provoquée.

Quoique l'Espagne soit remplie d'anciens chateaux forts, plantés sur les hauteurs qui dominent les plaines et les vallées, nos postes de correspondance placés dans des villages n'avaient pas toujours une de ses forteresses pour se mettre à l'abri des surprises; on choisissait alors une ou deux maisons isolées à l'entrée du village, on les fortifiait, et la troupe y pouvait au moins dormir tranquille.. Comme les Guerillas n'avaient point de canon, un simple mur crénelé suffisait pour se garantir de leurs attaques; on a vu des garnisons de trente ou quarante hommes résister opiniâtrement pendant quinze jours à des bandes de quatre cents Guerilleros qui employaient en vain contre eux la sappe, la flamme et tous les efforts imaginables. Les corps d'armée français ne pouvaient faire venir leurs vivres et leurs munitions que sous l'escorte de forts détachemens qui étaient sans cesse harcelés et souvent enlevés. Ces détachemens n'avaient rien à craindre dans les plaines, quelle que fût la supériorité du nombre de leurs ennemis, mais dès qu'il fallait passer un défilé à travers les montagnes, ils étaient obligés de se frayer un chemin par la force des armes; lorsque les Guerilleros n'étaient pas assez

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