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pareil sujet ait été traité par un médecin, et surtout par un médecin qui réunisse toutes les connaissances qu'il exigeait. Ainsi le plus grand nombre des principes que M. Friedlander admet, et des conseils qu'il donne aux mères de famille, ont d'autant plus d'autorité qu'ils sont fondés sur sa propre expérience, comme sur celle des philosophes qui l'ont précédé.

MARCEL DE SERRES.

L

A Paris, de l'imprimerie

ANTIGONE, par M. BALLANCHE.
de P. Didot l'aîné, rue du Pont de Lodi, no. 6.—1814.

LE poëme d'Antigone est divisé en six livres; il nous retrace la vie et les infortunes d'OEdipe, de cet homme du malheur, que l'antiquité regardait comme l'emblème des destinées humaines. Il nous rappelle encore les malheurs d'Antigone, ces malheurs qui, depuis Eschyle jusqu'à nos jours, n'ont jamais cessé d'occuper la muse tragique. Mais, selon la pensée de l'auteur du poëme, cette inflexibilité d'un destin aveugle, ces longues infor tunes d'OEdipe auraient peu mérité qu'on s'en occupât encore pour les présenter sous un jour nouveau, si le sens moral de ces traditions n'avait été presque entièrement méconnu. Pourquoi s'est-on refusé de voir, dans cette histoire si déplorable du fils de Cadmus, l'histoire même de l'homme, de ses misères, de ses faiblesses, de ses courtes et trompeuses félicités, et de ses longues douleurs ? Pourquoi enfin s'est-on refusé d'y voir le développement des plus hautes pensées et des sentimens les plus généreux ? car le malheur est une belle révélation de l'homme moral.

C'est sous ce nouveau jour que M. Ballanche nous pré

sente l'histoire d'OEdipe, et l'histoire non moins touchante d'Antigone, dont la constance égala le dévouement. C'est dans la continuité des soins généreux que se montre la grandeur d'àme et la dignité de l'être infortuné. L'antique énigme du sphinx nous désigne un être qui n'a qu'une voix et qui n'est debout qu'un instant: n'est-ce pas-là tout l'homme? N'est-ce pas là cet être qui ne sait que gémir, et dont la vie sans durée se perd pour ainsi dire entre deux enfances misérables? Il marche par des chemins obscurs, en s'avançant vers un but qu'il ignore. Souvent il désire ce qu'il devrait éviter; souvent il forme des projets qui trompent son attente, lors même qu'ils ont succédé selon ses voeux. Ses pas sont incertains, ses passions l'égarent, et sa prudence elle-même lui tend des piéges cruels. Quelquefois encore il croit ne commettre que des fautes, et c'est de grands crimes qu'il s'est rendu coupable: leçon rare, mais terrible, qui lui est donnée pour lui enseigner à conserver son cœur toujours innocent: tel fut OEdipe; mais cet homme du malheur, cet homme que l'antiquité regardait comme l'emblème des destinées humaines, ce roi de l'énigme, eut des enfans qui vinrent en quelque sorte compléter une telle vie. Nous voyons ses fils, héritiers mal'heureux de son ambition, de son orgueil, de son caractère inflexible, se disputer à main armée le trône de leurs pères. Ses filles, colombes gémissantes, méritèrent d'avoir les belles qualités qui les firent distinguer parmi les hommes; elles eurent quelque chose de son brillant génie, et tout son goût pour les choses honnêtes et pour la vertu. Antigone seule reçut en partage la magnanimité d'OEdipe et l'élévation de ses sentimens : elle eut de plus cette douceur et cette patience qui aiment surtout à s'approcher du cœur des femmes; elle eut cet oubli de soi-même, qui met

le comble à toutes les vertus héroïques. Aussi Antigone est-elle au milieu d'une famille si funeste, et parmi les calamités de sa patrie, tantôt comme une divinité secourable qui encourage et console, tantôt comme une victime pure qui expie les fautes des autres. Nous ne sommes donc point isolés sur cette terre de deuil! Non : Dieu n'abandonna jamais l'être qui souffre et le malheureux qui gémit! A côté des erreurs, de l'infortune, même de l'opprobre, il a placé l'innocence, la vertu, le dévouement; et l'homme, ce roi détrôné, traverse son exil, toujours accompagné de l'Antigone que le ciel lui envoie pour soulager ses douleurs.

Dans son poëme d'Antigone, M. Ballanche a donc voulu nous montrer sous un jour nouveau tout ce que l'histoire déplorable d'OEdipe présente de moral, et nous faire voir qu'avec celle de ses enfans, elle comprend l'histoire même de l'homme. Il a développé cette pensée avec beaucoup de talent, et les sentimens qui animent son poëme l'honorent autant qu'ils doivent faire le charme de tous les cœurs bons et vertueux. Les livres qui nous portent au bien n'étaient devenus que trop rares pour ne pas applaudir à ceux qui nous y rappellent. On doit encore plus y applaudir, lorsqu'à l'agrément du style, ces ouvrages joignent un intérêt vrai et pris du fond même des choses. Il ne suffit pas en effet pour plaire de nous entretenir d'événemens propres à nous émouvoir, mais il faut encore que les malheurs, dont vous voulez que je m'attriste soient pris dans l'ordre des choses naturelles. Soyez vrai avant tout, et rappelez-vous, ainsi que le conseille Cicéron, que les pleurs sont de courte durée.

Nous n'entrerons point au sujet du livre que nous annonçons dans une discussion qui a été bien souvent agitée

et peut-être sans trop de raison, savoir si les poèmes écrits en prose, mais en prose poétique, méritent le nom de poëmes, que l'on ne voudrait appliquer qu'aux ouvrages en vers. Nous n'entrerons point, dis-je, dans cette question, parce qu'elle nous paraît avoir été assez généralement décidée, depuis que nous avons un modèle de ce genre de poëmes. Qui pourrait en effet refuser au Télémaque le titre de poëme? Cet admirable ouvrage n'est-il pas tout aussi poétique que les plus belles poésies d'Homère; et aussi instructif que nos plus beaux traités de morale? Ce qui constitue un poëme n'est pas la forme sons laquelle on nous le présente, mais bien le fond des choses qui y sont traitées, pourvu toutefois que l'action en soit noble et exprimée avec la dignité convenable. Il ne suffit pas de nous montrer la vérité toute nue, il faut encore parler au cœur et à l'imagination. La lumière pure et délicate que répand la vérité, ne flatte pas assez ce qu'il y a de sensible en l'homme; elle demande une attention qui gêne trop son inconstance naturelle. Nous aimons qu'on nous instruise; mais nous voulons aussi qu'on nous présente les idées qui nous éclairent, revêtues de ces images sensibles, qui en font le charme et la force. Tel est le pouvoir de la poésie : elle embellit de ses brillantes fictions la vérité même, et la morale la plus sévère lui doit une nouvelle sublimité. Pouvoir divin, et le plus noble attribut de notre intelligence, qui élève l'homme au-dessus de lui-même, et porte notre âme vers tout ce qui est grand et beau.

L'action que le poëme d'Antigone nous retrace est noble et touchante : elle est racontée avec cette dignité qui convient à la poésie, il n'y manque que le charme de la mesure et du rhythme. Mais quoique cet ouvrage, qui

respire l'amour de la vertu, ne soit point écrit en vers, on ne doit pas plus lui refuser le titre de poëme, qu'aux admirables récits des aventures de Télémaque.

Le poëme d'Antigone commence au moment où le divin Tirésias, se trouvant à la cour de Priam, ce roi l'engage à lui raconter les malheurs lamentables d'OEdipe et de ses deux fils, et enfin à lui dire cette guerre terrible des sept chefs. Tirésias cède à ses prières, et lui raconte les tristes destinées d'OEdipe et de ses coupables fils. L'his. toire lamentable de tant d'infortunes est du moins adoucie par le modèle de toutes les vertus et le généreux dévouement d'Antigone. Le devin commence son récit par la mort de Polybe, roi de Corinthe, qui passait pour le père d'OEdipe. Polybe avait déclaré qu'après lui, l'heureux OEdipe réunirait sur sa tête à la couronne de Thèbes celle de Corinthe. Le peuple avait confirmé par ses suffrages les dernières volontés du vieillard. OEdipe ne sentit plus que la joie de posséder un second royaume et d'échapper à des oracles importuns qui n'étaient plus que des mensonges à ses yeux; il célébra dans une fête magnifique le jour heureux qui assurait son repos et augmentait sa puissance. Cette fête fut cependant troublée par de sinistres présages. Tirésias était déjà près de se retirer avec Antigone et Ismène, lorsqu'un prêtre du temple de Delphes se présenta pour prendre part à la fête, Son air vénérable rappela le calme dans l'assemblée. OEdipe se leva à l'aspect du vieillard et le fit placer à ses côtés. Le prêtre chante les prodiges de l'harmonie ; mais en reprenant sa lyre, il murmure un chant nouveau. Au lieu des souvenirs heureux qu'il voulait retracer, ses paroles mystérieuses ne savent peindre que des objets funestes : c'est un enfant dont la naissance avait été un sujet de terreur pour

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