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NEWYORK

DE LA PREMIÈRE ÉDITION

(ANNÉE 1835).

Si nous voulions prouver l'influence politique que la chanson a depuis longtemps conquise en France, nous n'aurions besoin que de la montrer faisant, å elle seule, une émeute sous la Fronde, puis accompagnant une grande révolution en 89 et 92 et une insurrection en 1830; je dis insurrection, car la révolution de 1830 est loin d'être encore accomplie.

Nous montrerions la Marseillaise, ce chant national par excellence, dominant, à quarante ans de distance, deux crises révolutionnaires, et préludant encore aux nouveaux triomphes populaires que nous réserve l'avenir. Hymne admirable, qui n'est pas usé encore, après avoir usé tant de trônes et tant dé régimes!

Mais la meilleure preuve que nous puissions citer à l'appui de cette thèse, c'est l'empressement que le gouvernement, qu'on appelle si improprement gouvernement de juillet, met à poursuivre la chanson.

Il ne la traduit pas devant les tribunaux, parce qu'il n'y trouverait plus un jury assez complaisant pour

condamner des couplets; mais, à défaut de la justice, c'est à la police qu'il a recours pour la comprimer.

L'année dernière, il faisait traquer par ses assommeurs les patriotes qui chantaient la Marseillaise, que Louis-Philippe écorchait lui-même si agréablement en 1830, sur le balcon du Palais-Royal.

Cette année, il n'est pas un théâtre de Paris qui osât permettre à son orchestre de jouer le Chant du Départ, cette ode historique qui conduisit assez souvent nos armées à la victoire pour mériter la réprobation de ceux qui ne veulent d'armée que contre l'intérieur, et de victoires que sur les citoyens.

C'est que le gouvernement sait bien qu'il n'est pas de trahison que la chanson ne flétrisse, pas d'abus qu'elle ne signale, pas d'oppression qu'elle ne stigmatise, pas d'infamies qu'elle ne marque au front; et il a dû proscrire la chanson en même temps que la presse, ce gouvernement si fécond en trahisons, en abus, en oppressions et en infamies de toute espèce !

La chanson, la seule chanson possible aujourd'hui, c'est-à-dire la chanson populaire, aura donc le sort de la presse dite des rues. Elle arrivait au peuple, une å une, feuillet par feuillet. Grâce au nouveau projet de loi contre les crieurs publics, ce mode de publication ne sera plus possible. Un recueil de chansons, et non plus une chanson isolée, pourra seul parvenir au peuple. Encore faudra-t-il que le peuple vienne

chercher la chanson, car la chanson ne pourra plus aller chercher le peuple.

C'est à la presse populaire périodique qu'il appartiendra de combler cette lacune. Pendant que le Populaire insérera souvent dans ses numéros une chanson politique, nous ferons paraître de temps en temps un recueil qui contiendra les meilleures poésies lyriques publiées dans l'intervalle.

Dans le premier de ces recueils, que nous publions aujourd'hui, nous avons cru devoir donner une place aux chansons de nos premières révolutions. Les révolutions de 1789 et de 1792 ont, avec celles de 1830, une connexité si intime, que la plupart des hymnes patriotiques qu'elles nous ont légués sont encore aujourd'hui nos hymnes patriotiques. Nous continuerons de leur consacrer, autant que possible, le même espace proportionnel dans les recueils subséquents.

Nous avons fait un choix, sinon sévère, du moins scrupuleux. Toutes les chansons que contiennent ces pages ne sont pas également bonnes; mais toutes renferment une pensée utile, et expriment de bons et nobles sentiments. D'ailleurs, à côté de vers plus faibles et trahissant une plume moins exercée, on y trouvera des fragments de Béranger, dont le nom seul est le plus bel éloge; d'un sous-officier dont nous dirions le nom, si nous n'avions à craindre que son talent et son patriotisme le désignassent doublement

aux vengeances du pouvoir; d'Altaroche, chantre du prolétaire, qui tour à tour a pleuré sur la tombe de nos martyrs républicains, ri d'un rire caustique devant les jongleries de nos gouvernants et traduit en vers énergiques nos iniquités sociales (1).

(4) Depuis le jour où nous écrivions ces lignes, cette appréciation d'un de nos jeunes talents a été confirmée par le succès qu'ont obtenu les CHANSONS POLITIQUES, publiées tout récemment par nous, et auxquelles la presse patriotique a unanimement décerné les plus grands éloges.

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