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n'y avait point de domaine de l'état. Les rois avaient concédé des droits régaliens, et des concessionnaires en jouissaient encore; on avait dissipé le domaine, de toutes les manières; l'opinion publique était fortement prononcée contre des abus monstrueux et des déprédations scandaleuses, et la crise des finances ajoutait à l'indignation genérale.

L'assemblée constituante, en abolissaut le régime et les droits féodaux, en supprimant les juridictions seigneuriales et tous les tribunaux d'exception, en ramenant au trésor public le produit de toutes les contributions indirectes, dont plusieurs appartenaient au domaine du roi, aux princes apanagés ou à des concessionnaires; en déclarant avec juste raison que les chemins publics, les rues et places des villes, les fleuves et rivières navigables, les ports, les hâvres, les rades, et en général tout ce qui n'est pas susceptible d'une propriété privée, sont du domaine public, disposition qui est devenue textuellement l'article 538 du code civil; en créant beaucoup d'autres lois particulières aussi utiles, avait remédié à une grande partie du désordre, et il était facile de circonscrire le domaine de la couronne dans de justes bornes; mais entraînée par le mouvement de la révolution, elle oublia toutes les règles de la prudence, et passa d'une extrémité à l'autre. Le domaine de la couronne semblait avoir tout envahi pour tout dissiper dans la crainte des mêmes abus; elle ne voulut plus le reconnaître, et elle le transforma en domaine national; elle ne sentit pas combien il importait à l'état de laisser à la couronne une propriété qui fût à l'abri de tous événemens; elle se contenta de lui assigner une liste civile en argent; et si aux palais, parcs et jardins qui furent réservés pour la jouissance du roi, elle ajouta des forêts et des corps de domaines utiles, elle déclara que couroune n'en serait pas propriétaire. Cette dotation viagère demeurait en propriété à l'état, qui, à chaque commencement de règne, pouvait vendre, au moins en partie, les palais, les domaines et les forêts; ainsi la couronne et le roi n'eurent plus de domaine. Cet ordre de choses étant devenu constitutionnel par le sénatus-consulte du 28 Floréal, il en résulte qu'au moment actuel, la couronne n'a point de dotation et qu'elle n'est qu'usufructière comme le monarque. Nous sommes, loin de ces tems orageux; une cruelle, expérience a fait sentir généralement le danger de ces exagérations politiques. Une dotation de la couronne est nécessaire à la gloire et à la stabilité du trône; cette vérité paraît aujourd'hui démontrée; l'opinion que la couronne doit être propriétaire des domaines affectés à la liste civile et le monarque usufruitier, que cette propriétę doit être inalienable et imprescriptible, est devenue universelle; nous ne croyons pas devoir insister sur ce premier principe, et il suffira d'examiner de quelle manière sera reconstitué ce domaine de la couronne.

la

Les immeubles affectés à la liste civile qui ont été aliégés, seront remplacés par d'autres biens dont l'état sera annexé an sénatus-consulte. L'évaluation de ces biens de remplacement a été faite par l'administration des domaines et par l'administra tion des forêts; la commission a entre les mains un état nominatif en 446 articles, certifié par l'administration des domaines, d'où il résulte que la liste eivile a perdu 708,682 fr. de revenus, sans compter la valeur de sept ou buit châteaux qui ont élé vendus où démolis.

L'évacuation des biens de remplacement compris eu l'état qui sera joint au sénatus consulte, porte le revenu à 756,595 fr.; le remplacement paraît, au premier coup d'œil, de 47,983 fr. audessus de la perte; mais à la rigueur il fandrait remplacer la valeur de Marly, de Meudon, de Belle-Vue, La Marche, Saint Léger, et Saint Hubert, qui ont ére vendus; il faudrait remplacer encore tout le mobilier de ces châteaux, et tant d'autres objets précieux qui ont disparu pendant la révolution; le reu placement, d'après des calculs exacts, sera en capital d'un tiers au-dessous de la perte si on le rapproche de la situation où se trouvait la liste civile à l'époque où elle fut créée, et nous verrons tout à l'heure d'autres causes de diminution..

Le Piémont et la Toscane ayant été réunis à l'empire, et des princes grands dignitaires devant y tenir la cour de S. M., on a compris en outre parmi les biens de la couroune, pour les départemens au-delà des Alpes, quatre palais des ci-devant souve rains, et un revenu en immeubles de 1,400,000 fr., sur lequel un million est affecté pour les dépenses du prince gouverneur général, et le reste destiné à l'ammeublement, l'entretien et la réparation des palais.

Pour la Toscane, huit palais ou maisons de campagne et un revenu d'immeubles d'un million 500,000 fr. avec une affectation pareille et aux mêmes conditions. Les deux états nominatifs seront annexés au sénatus-consulte.. Ces dispositions paraissent d'autant plus convenables que les sommes affectées aux dépenses des cours de Florence et de Turin ne sont pas trop fortes, et qu'elles seront payées sur des revenus, tous placés en Toscane et dans les départemens au-delà des Alpes.

Si le nombre des palais, dont l'entretien va se trouver à la charge de la couronne, est considérable, il ajoutera de plus en plus à la splendeur de l'empire; d'ailleurs il ne doit plus être question de démolitions et de ruines sous le règne de Napoléon; elles contrasteraient avec le haut point de grandeur et de gloire où il a placé la France.

Les diamans, perles, pierreries, tableaux, statues, pierres gravées, et autres monumens des arts qui se trouvent dans les musées et les palais impériaux, feront partie de la dotation de la couronne; ils seront inventoriés, et l'inventaire sera transmis au sénat pour être annexé à la minute du sénatus-consulte. Ces

objets précieux se trouveront ainsi inalienables et imprèscriptibles, et c'est un bon moyen de les conserver.

Les meubles meublans des palais et les autres objets désignés dans l'article 9, feront également partie de la propriété de la couronne, jusqu'à concurrence de 30 millions de francs; précaution qui n'a jamais été prise, et expédient qui résout toutes les' difficultés.

Toute espèce d'engagemens des biens formant la dotation de la couronne est supprimée.

Ils ne pourront être échangés qu'en vertu d'un sénatus

consulte.

Les bois et forêts seront exploités conformément aux lois et réglemens de l'administration forestière.

Les biens de la couronne ne seront jamais grevés des dettes de l'empereur.

Les pensions assignées par l'empereur décédé sur le domaine de la couronne, ne pourront être acquittées que sur le domaine privé.

Toutes les pensions de retraite des personnes employées au service de la maison de l'empereur, ne seront payées que sur un fonds de retenue, fait sur le traitement de ces employés; et toutes ces dispositions obtiendront sans doute l'assentiment général.

La dotation de la couronne sera affranchie des contributions publiques.

Dans la législation actuelle, aucune loi n'exempte de l'impôt des immeubles affectés à la liste civile; mais les forêts qui en dépendent étant toujours considérées comme propriété de l'état, ne paient pas de contribution depuis le 19 Ventose an 9, époque de la loi qui en affranchit les forêts nationales. Les palais impériaux n'en paient pas non plus, d'après la loi du 3 Frimaire, an 7, qui en affranchit les domaines productifs.

L'affranchissement des immeubles productifs qui, avec les 25 millions en argent, completteront la dotation de la couronne, importe peu au trésor de l'état, et il ne nuira pas aux communes de leur situation, car le contingent de ces communes sera diminué, s'il le faut.

Les immeubles à donner en remplacement ne présentent que nominalement un remplacement égal à la perte ainsi qu'on l'a vu plus haut. Pour assujettir, la couronne aux contributions publiques, il faut qu'après les avoir payés, son revenu soit en-core proportionné à sa splendeur. Ce revenu doit être calculé aujourdhui sur la grandeur du territoire de l'empire, sur le prix des objets de consommation, de celui de tous les services et sur l'accroissement forcé des dépenses, La France s'est accrue d'un tiers, et l'on peut dire qu'elle est devenue la première puissance, et l'arbitre de l'Europe; la valeur des objets de con

sommation, le prix des services et des dépenses en elles-mêmes, ont augmenté d'un tiers depuis 20 ans.

La quotité de la dotation et l'affranchissement de l'impôt, sont ici deux objets correlatifs; qu'on augmente la quotité de la rente annuelle, ou que les immeubles soient affranchis de l'impôt, le résultat sera le même pour le trésor public.

Si on évalue les jardins impériaux sur le pied des meilleures terres de la commune où ils sont situés, ces jardins qui sont presque partout à la disposition du public, et dont le prince jouit peu, ne payeront-ils pas par leurs nombre et leur étendue une contribution énorme? Et cependant leur contretien, sans aucun produit, entraînera toujours des dépenses considérables.

Lorsqu'après cent ans on a replanté les jardins de Versailles, les frais de replantation ont excédé le produit des vieux arbres.

Les bois qu'on propose en remplacement, sont tous situés dans les départemens de la Seine, de Seine-et-Oise, de Seine-etMarne et de l'Oise, a portée des maisons impériales et destinées aux chasses de S. M. On multipliera les dépenses d'agrément : elles absorberont une grande partie de revenu.

Si l'on écarte toutes ces circonstances pour n'examiner que le principe général, les raisons en faveur de cette disposition du projet, sont en grand nombre.

Comment faire, pour l'impôt, l'évaluation du revenu net d'un immense palais ? Comment trouver ici l'égalité proportionnelle qui est la base de la contribution foncière?

Des immeubles affectés à la dotation de la couronne, ne sontils pas inimposables par leur nature?

Enfin, si au commencement de la révolution on a soumis à toutes les contributions, les palais, les forêts, et les domaines affectés à la liste civile, n'est-ce point parce qu'on ne voulut pas qu'on pût citer un seul exemple de privilége en matière d'impôt, parce qu'on craignit de voir renaître un jour de semblables priviléges pour quelques classes de citoyens? Nous ne pouvons pas avoir aujourd'hui la même crainte.

Le domaine extraordinaire et le domaine privé de l'empereur, dont nous allons parler, devant payer toutes le contributions, cette exception unique en faveur de la dotation de la couronne, ne fera que confirmer nos principes en matière d'impôt.

Le retour à l'ancienne maxime de l'affranchissement du domaine de la couronne, paraît à la commission plus simple, aussi économique pour le trésor national, plus conforme à la raison politique qui prescrit d'environner le trône de tout ce qui peut en rehausser l'éclat.

Création d'un domaine extraordinaire.

Le domaine extraordinaire, dont la creation est proposée, se compose des domaines et biens mobiliers que l'empereur,

exerçant le droit de paix et de guerre, acquiert par des conquêtes ou des traités, soit patens, soit secrets. L'empereur disposera de ce domaine, 1° pour subvenir aux dépenses de ses armées; 2°. pour récompenser ses soldats, et les grands services civils ou militaires rendus à létat; 3. pour élever des moumens, faire faire des travaux publics; encourager les arts, et ajouter à la splendeur de l'empire: outre ces trois destinations primitives, il servira encore à former les apanages des princes et la dot des princesses, s'il y a des immeubles ou des valeurs atobiliaires suffisaus sur ces états disponibles ou dans ces caisses. Ces dispositions reposent sur un principe absolument neuf pour les tems modernes, et aussi, on peut le dire, inconnu dans les tems anciens: car Rome elle-même, si elle se réserva quelquefois des domaines fonciers dans les états des rois tributaires, elle 'imagina jamais, et dans les circonstances d'alors elle ne peut imaginer un plan qui, outre les avantages présens, donnât, par la réversion des domaines de la conquête, un moyen de produire toujours l'audace militaire dans les armées, et la stabilité dans les institutions politiques.

Outre les contributions de guerre dans les pays étrangers qui, depuis plusieurs années, ont été versées au trésor public, et qui nous ont affranchi des impôts qui auraient été nécessaires pova payer toutes les dépenses, les innombrables victoires de l'empereur ont mis à sa disposition des propriétés foncières d'une immense valeur: ce sont les domaines particuliers des princes qui ont perdu leur couronne par suite de leurs lini ons avec Angleterre, ou des réserves que S. M. s'est ménagées dans les nombreux états qu'elle a créés ou agrandis.

A toutes les époques de la monarchic, le prince a toujours disposé des fruits de la victoire. L'empereur a dédaigné cet exemple, et cependant les rois n'avaient pas toujours été comme lui à la tête des armées.

Aucune loi indiquait l'usage qu'on devait en faire. L'empereur, oubliant son intérêt de l'etat; son vaste génie qui embrase toujours l'avenir, a conçu cette belle institution qui, par la reversion, remplira même dans les tems les plus éloignés, la noble et utile destination que lui assigne le projet. Il a jugé nécessairé d'en créer un domaine à part, de le séparer absolument du domaine de la couronne, du domaine privé du monarque, et du domaine de l'état, et d'en réserver la disposition au prince régnant; car dans les principes monarchiques, elle ne peut appartenir qu'à lui.

L'exposé des motifs nous a fait connaître les augustes pensées de l'empereur, qui n'a pas songé un moment à les réunir an domaine de la couronne ou au domaine privé. La noble impartialité avec laquelle S. M. dans la création de ce plan, a examiné à qui tant de biens devaient appartenir, jusqu'à quel point ils devaient tourner au profit du trésor public et servir aux

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