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publication des lois qui ont aboli tous les droits féodaux; que cela résulte, tant de l'acte de cession du 14 mai 1661, passé entre les auteurs respectifs des parties, que de la manière dont lesdites rentes ont constamment été payées; d'où il suit qu'elles sont comprises dans la suppression sans indemnité, prononcée par ledit art. 5 de la loi d'août 1792; et qu'ainsi, les possesseurs des héritages qui en étaient grevés, en ont été entièrement libérés; que néanmoins, par son arrêt du 6 pluviose an 11, la cour d'appel de Poitiers a condamne lesdits possesseurs d'héritages à payer au ci-devant seigneur les arrérages desdites rentes, échus depuis la publication de ladite loi, laquelle par conséquent a été manifestement violée;

» Par ces motifs, la cour casse et annulle l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers, du 9 pluviose an 11.... » ]]

S. III. Le mot Cens est une dénomination générique, qui comprend toutes les prestations récognitives de la directe.

de

Il est d'usage, dans les contrats de cette espèce, de donner la qualification de Cens à la prestation imposée sur l'héritage aliéné. Mais cette dénomination n'est rien moins que l'essence du contrat. Quelle que soit la nature et la quotité de la prestation réservée, et de quelque manière que l'on juge à propos de la qualifier, toutes les fois qu'elle est etablie comme droit récognitif de la directe, qu'elle est la première de toutes les charges dont l'immeuble est grevé, et qu'elle se paie au seigneur de qui l'immeuble est tenu, elle tient lieu de Cens, ou plutót elle forme un véritable Cens; elle en a tous les attributs, toutes les prérogatives.

Tel est donc le principe: une redevance première, sous quelque dénomination qu'elle soit désignée, de quelque manière que s'en fasse le paiement, soit en argent, soit en nature, lorsqu'elle est due au seigneur de l'héritage, est un véritable Cens; elle en a tous les priviléges; elle est conséquemment imprescriptible.

Cette maxime est une des plus certaines de toute la jurisprudence féodale. C'est un des élémens de la matière. Il y a sur ce point des autorités sans nombre. En voici quelques-unes.

La première rente constituée sur un hé ritage allodial, s'appelle rente foncière, et emporte droit de directe, seigneurie et de lods et ventes. Coutume de Bourbonnais, art. 393.

TOME IV.

Tous Cens ou rentes dus et assis sur fonds et héritages certains, emportent directe seigneurie, s'il n'appert du contraire. Coutume d'Auvergne, art. 1 du tit. 31.

La disposition de ces coutumes est puisée dans l'ancien Coutumier de France; on y lit, liv. 2, titre de Champart : « Le seigneur à » qui est dû Champart, ne doit avoir lods et » ventes de terres qui lui doivent champart, » si icelui n'est chef seigneur, c'est-à-dire, » seigneur foncier, mais les aura seigneur » foncier; et au cas où il n'y aurait autre chef >> seigneur et foncier, celui à qui ce champart » est dû, aurait les lods et ventes ».

Loyseau, après avoir parlé de différentes espèces de rentes en argent, bled et plume, et sous différentes dénominations, ajoute : « Or, tous ces droits sont seigneuriaux, et » emportent lods et ventes, quand celui au» quel ils appartiennent, est le chef seigneur » ou seigneur foncier, c'est-à-dire, premier et » plus ancien seigneur, et bailleur de fonds ». (De la Distinction des rentes, liv. 1, chap. 5, ng.)

Enfin, Chopin, sur la coutume d'Anjou, rapporte un arrêt de règlement qui consa cre ce principe: il date cet arrêt du 23 février 1577.

Ainsi, toutes les fois qu'il s'agit de déterminer si une rente foncière est seigneuriale, si elle tient lieu du Cens, et en partage les prérogatives, deux choses uniquement sont à considérer: 10 cette rente est-elle due au seigneur de l'héritage? 2o est-elle la première imposée sur ce même héritage? Toutes les fois que ces deux circonstances se trouvent réunies, la rente est un véritable Cens.

Dans plusieurs provinces, notamment dans une grande partie de la Champagne, le Cens dû pour les terres, se paie proportionnellement au nombre des chevaux qui les exploitent: tant de boisseaux par cheval. Ces droits se nomment assise, avenage, [[arage (V. ce mot)]], etc.

Leur quotite varie comme le nombre des chevaux; cependant, ils forment le véritable Cens de la seigneurie, ils ont l'imprescriptibilité et toutes les autres prérogatives du Cens proprement dit.

Celui qui acense un héritage, peut donc le grever de tel droit seigneurial qu'il juge à propos; et ce droit aura les prérogatives du Cens, formera le véritable Cens de l'héritage, quelle que soit sa dénomination.

§. IV. L'imposition d'un Cens, ou d'une redevance qui en tienne lieu, est de la nature

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du contrat Censuel. Point de directe sans prestation récognitive.

Si le seigneur est l'arbitre de la qualification et de la quotité du Cens, il n'en est pas de même de l'existence de cette prestation. Il ne lui est pas libre d'affranchir l'héritage qu'il aliene par la voie du bail à Cens, de toute espèce de devoir : il doit en imposer un; autrement, il choquerait la nature de cette espèce de contrat; en un mot, c'est une des règles de cette matière, qu'il n'y a point de directe sans une prestation récognitive. Cette règle est également fondée en principe

et en autorité.

Dans les coutumes Censuelles, la présomp tion est que tous les héritages qui partagent un territoire, procedent du seigneur qui les a détachés de son domaine; et qu'en les aliénant, il en a conservé la seigneurie directe.

D'un autre côté, il est de principe que le seigneur ne peut conserver la directe sur les parties qu'il détache de son domaine féodal, qu'en alienant par la voie du jeu de fief et par conséquent de bail à Cens; et c'est encore un autre principe que la réserve d'une prestation seigneuriale est de l'essence même de ce genre de bail; sans une pareille reserve, point de bail à Cens. La raison en est très-simple: la partie du domaine féodal aliénée purement et simplement, et sans imposition d'aucun devoir au profit du seigneur aliénant, conserverait sa nature primitive; elle serait conséquemment dans la main du noble preneur, et féodal comme le surplus du fief, et releverait du même seigneur dominant.

L'existence d'une directe Censuelle suppose donc un bail à Cens originaire, et ce bail à Cens suppose également l'imposition d'un devoir récognitif de la seigneurie.

Voilà le principe : il en résulte que, dans les coutumes qui donnent à chaque seigneur la directe universelle de son territoire, toutes les terres de l'enclave doivent annuellement une prestation récognitive de cette directe. Si, de temps immémorial, le seigneur a négligé de se la faire servir, s'il ne reste aucune trace de Cens originaire, il faut en créer un : c'est ce que l'on fait tous les jours.

Freminville, dans sa Pratique des terriers, tome 2, page 765, rapporte un arrêt du conseil qui déclare les territoires d'Agen, Condom et Marmond sous la directe universelle du roi; et comme, d'après les principes que l'on vient de développer, cette directe emporte nécessairement un Cens récognitif, et que rien ne prouvait qu'il en eût jamais été payé, l'arrêt ajoute: ordonne en conséquence

que, dans les lieux où la perception du Cens peut avoir été interrompue, il sera imposé de nouveau, à raison de ce qui se paie dans les seigneuries circonvoisines. Cet arrêt, rendu au rapport de M. Joly de Fleury, depuis ministre des finances, est du 12 septembre 1746.

Même décision par arrêt de la troisième chambre des enquêtes, du 28 août 1776. Le marquis de Courtanvaux reclamait la directe universelle sur le territoire de la ville de Tonnerre. Les habitans répondaient que leur territoire n'était grevé d'aucune prestation au profit du seigneur, et conséquemment qu'il était allodial.

Il est vrai que, de temps immémorial, les habitans ne payaient aucun Cens. Mais ils étaient hors d'état de rapporter des titres d'allodialité; et le comté de Tonnerre est sous l'empire de la coutume de Sens, coutume où règne la maxime, nulle terre sans seigneur. En conséquence, l'arrêt juge que la directe universelle appartient au marquis de Courtanyaux; et, conformément au principe qu'il n'y a pas de directe seigneuriale sans une prestation recognitive, ce même arrêt impose sur chaque arpent de terre, le Cens le plus ordinaire dans

les territoires circonvoisins: condamne les

dits habitans à payer audit Letellier, le Cens à raison d'un sou par arpent de terre, de quelque nature qu'elle soit dans ledit finage et territoire de Tonnerre.

Il est donc de principe et de jurisprudence, que tout seigneur direct a le droit d'exiger une prestation récognitive de sa seigneurie; et qu'il faut en créer une, s'il n'en existe pas. S. V. En quoi le bail à cens diffère-t-il des baux emphyteotiques et à rente foncière perpétuelle ?

I. Deux espèces de contrats ont beaucoup d'analogie avec le bail à Cens; je parle de l'emphyteose et du bail à rente perpétuelle.

Mais 10 le bail à Cens et l'emphyteose different en ce que le premier a son origine dans le droit coutumier, et que l'autre a la sienne dans le droit romain; en ce que la commise a lieu dans l'emphyteose par faute du paiement du canon emphyteotique pendant trois ans, ce qui n'a pas lieu contre le censitaire; enfin, en ce que celui-ci peut aliéner à son gré, au lieu que l'emphyteote ne peut vendre sans l'agrément du propriétaire.

2o. A l'égard du bail à rente perpétuelle, il est bien different des deux premiers : il emporte une alienation absolue; point de droits seigneuriaux comme dans le Cens, point de rétention du domaine direct comme dans l'emphyteose : tout passe au preneur; tout lui ap

partient, sans aucune autre charge que celle de la rente stipulée par le bail.

Il est facile de distinguer ces trois sortes d'aliénations.

Le caractère spécifique des deux premières est la réserve d'un droit seigneurial pour le Cens, et la peine de la commise pour l'emphy. téose. Ainsi, lorsque ni l'un ni l'autre ne se rencontrent dans une alienation, et qu'il y a stipulation d'une rente, c'est un bail à rente perpétuelle.

C'est dans cette dernière classe qu'il faut ranger tous les contrats du genre dont il s'agit, suivant la règle de droit in obscuris quod minimum est sequimur. Ces décisions sont écrites dans l'art. 211 de la coutume de Blois. Cet article porte : « Bail à rente fait de » quelqu'heritage par gens d'église ou laïques, » soit à toujours ou à long-temps, n'est point >> du contrat emphyteotique si ces mots, le» dit héritage baillé à rente en emphyteose, >> ne sont insérés és lettres dudit bail; en » telle manière que si lesdits mots baillé à »rente en emphyteose, ne sont inscrits et » insérés és-dites lettres, ledit héritage n'est » point censé ni réputé emphyteotique telle»ment que ledit heritage n'est point échu en » commise, si le preneur ou ses ayant-cause » cessent de payer ladite rente ». Ita generaliter observamus in hoc regno, dit Dumoulin. [[Il y a en France des pays où, dans certaines circonstances, le bail à Cens ne diffère en rien du bail emphyteotique. V. Commise emphyteotique, Emphyteose, et mon Recueil de Questions de droit, aux mots Moulin, S. 1, et Rente foncière, §. 14, no 2.

Il y en a d'autres où, d'après ce qui est dit ci-dessus, S. 1, on entend par bail à Cens, ce qui, de droit commun, forme un bail à rente foncière; et tels sont notamment ceux qui ont été détachés de l'Allemagne. Voici une espèce dans laquelle j'ai eu occasion d'entrer là-dessus dans des explications qui, d'après la loi du 17 juillet 1793, peuvent intéresser beaucoup de personnes.

Le 6 avril 1793, le sieur Anthes, ci-devant seigneur de N ambseim, fait citer Jean Salomon et consorts devant le bureau de paix de leur domicile, pour se concilier sur la demande qu'il se propose de former contre eux, en paiement des arrérages d'un canon qu'ils lui devaient en leur qualité de fermiers de 668 journaux de terres, qu'il annonce lui appartenir comme dépendances de sa ci-devant seigneurie. Cette citation n'a aucune suite. Le 18 messidor an 9, le sieur Anthès fait signifier aux mêmes particuliers une sommation de lui payer ses arrerages; et il leur

rappelle deux actes qui doivent, suivant lui, les y faire condamner; l'un du 26 mars 1737, passé entre la dame de Schawembourg, alors propriétaire de la seigneurie de Nambseim, et leurs prédécesseurs, pour la fixation du Cens dû à celle-là par ceux-ci; l'autre, du 3 janvier 1765, contenant, de la part de leurs prédécesseurs, l'offre d'un canon superieur à celui qu'avait fixé la convention du 26 mars 1737, à condition que le seigneur de Nambseim leur abandonnera la propriété des terres dont ils jouissent; et de la part du receveur de la seigneurie, l'acceptation de cette offre, sauf la ratification du seigneur (qui paraît ne l'avoir jamais ratifiée).

Le 19 vendémiaire an 10, Jean Salomon et consorts, font assigner le sieur Anthès devant le tribunal de première instance de Colmar, et concluent à ce qu'il plaise à ce tribunal, « sans s'arrêter au prétendu écrit du 26 mars 1737, non plus qu'à la prétendue supplique faite à feu Théodore Reech (receveur de la terre de Rembseim), le 3 janvier 1765; dire que les redevances que le défendeur exige des demandeurs, par acte du 18 messidor an 9, sont abolies sans indemnité, faire défenses au défendeur de les exiger, soit pour l'avenir, soit pour le passé; le condamner aux dépens ».

Le sieur Anthes oppose à cette demande l'acte de 1737, celui de 1765 et plusieurs autres titres, dont il tire la conséquence que les 668 journaux de terres dont il s'agit, ont toujours fait partie du domaine patrimonial de la ci-devant seigneurie de Nambseim; que jamais les ci-devant seigneurs de Nambseim ne s'en sont expropriés au profit des demandeurs; qu'ainsi, les redevances qu'il réclame pour raison de ces biens, ne sont que des fermages; qu'elles n'ont aucun caractère de féodalité; et que ni la loi du 25 août 1792 ni celle du 17 juillet 1793 ne les ont abolies.

Le 15 floréal an 11, jugement du tribunal de première instance de Colmar, qui, par des motifs absolument calqués sur les moyens du sieur Anthès, déboute Jean Salomon et consorts de leur demande.

Jean Salomon et consorts appellent de ce jugement; et, en persistant dans les conclusions qu'ils ont prises devant les premiers juges, ils concluent subsidiairement à ce qu'il plaise à la cour d'appel de Colmar infirmer le jugement de première instance, en ce qu'il a préjugé qu'ils ne sont que possesseurs précaires et fermiers à titre de bail simple, des 668 journaux de terre en litige; emandant, leur donner acte de l'offre qu'ils font d'acquitter les redevances réclamées par le sieur Anthės,

au taux usité avant la convention du 26 mars 1737; et condamner le sieur Anthès aux dépens des causes principale et d'appel.

De son côté, le sieur Anthès conclut à ce que, sans s'arrêter aux conclusions subsidiaires des appelans, il soit dit qu'il a été bien jugé.

Le 12 ventôse an 12, la cour d'appel de Colmar pose deux questions :

« 10 s'il a été bien jugé en déclarant que la redevance dont il s'agit, ne provenait pas du régime féodal, et qu'elle n'était pas abolie? 2o s'il y a lieu d'accueillir les conclusions subsidiaires des appelans;

» Et, considérant, sur la première question, que la redevance en question n'était pas assise sur l'universalité du ban de Nambseim, mais qu'elle était due par différens particuliers, comme possesseurs de fonds et à raison et en proportion de ces fonds, ainsi qu'il résulte de l'acte de 1737, qui justifie que les possesseurs d'alors tenaient du seigneur les biens sujets à la prestation dont s'agit, et auquel les actes antérieurs et subséquens sont conformes; que, dès lors, la redevance n'est nullement féodale, de l'aveu même implicitement exprimé par les appelans, puisqu'ils offrent, par leurs conclusions subsidiaires, de continuer à la servir, si le tribunal daigne infirmer le jugement dont est appel, en ce qu'il a préjugé, disent-ils, qu'ils ne sont que possesseurs précaires et fermiers à bail simple;

» Que, dès qu'il est reconnu que la rente ou redevance en question, n'était point féodale de sa nature, la loi du 17 juillet 1793 trouve ici son application, puisqu'en supprimant les redevances ci-devant seigneuriales, droits féodaux fixes et casuels, elle a excepté de cette disposition les rentes ou prestations purement foncières et non féodales;

» Que d'ailleurs les appelans sont hors d'état de produire aucun titre en faveur de leur système; que, dans ceux de l'intimé, l'on ne remarque pas que la redevance que devaient les appelans, fût mélangée d'aucun droit féodal; qu'on ne peut induire la féodalité de la seule circonstance que cette redevance était acquittée à un ci-devant seigneur, puisqu'aucune loi en vigueur n'appuie cette prétention; que d'ailleurs l'intime soutient que la terre de Nambseim était purement allodiale; et qu'en effet, rien n'annonce le contraire;

» Que c'est donc avec fondement que les premiers juges ont décidé que la prestation dont s'agit, se trouvait exemptée de la sup

pression prononcée par les lois d'août 1792 et juillet 1793;

» Considérant, sur la seconde question, que les conclusions subsidiaires des appelans tendent à faire juger qu'ils sont propriétaires des terres sujettes à la redevance qu'ils possèdent; mais que, dans l'état actuel des choses, ils sont non-recevables dans cette réclamation; qu'en effet, en première instance ils n'ont saisi les juges que de la question unique de savoir si la prestation acquittée au cidevant seigneur, était ou non abolie; et que deurs, n'avait pas d'autre but; que les precette action, dans laquelle ils sont demanmiers juges n'ont pas non plus entendu décider autre chose; que ce n'est que trèssubsidiairement qu'ils ont traité de la propriété; et qu'ils n'y ont été amenés que parceque l'intimé, pour justifier de la nonfeodalité de la redevance, soutenait que les appelans n'étaient que ses fermiers à bail simple et qu'il était propriétaire des terres en question; que l'intimé lui-même a si peu cru que le jugement dont est appel, ait décide une autre question, qu'il a proposé sur le barreau de ne confirmer ce jugement qu'en se renfermant dans cette question unique;

» Qu'effectivement, le tribunal ne saurait apprécier le mérite des conclusions subsidiaires; qu'elles dénaturent entièrement les conclusions principales; qu'elles présentent une demande autre que celle soumise aux premiers juges, sur laquelle d'ailleurs les parties n'ont pas passé en conciliation; qu'elle ne peut donc qu'être la matière d'une action nouvelle, régulièrement formée de la part des appelans, s'ils s'y trouvent fondés;

» Par ces motifs, le tribunal, sans s'arrê ter aux conclusions subsidiaires, prononçant sur l'appel du jugement rendu entre les parties au tribunal d'arrondissement de Colmar, le 15 floréal an 11, dit qu'il a été bien jugé.... ».

Jean Salomon et consorts se pourvoient en cassation et proposent trois moyens :- Violation des lois des 25 août 1792 et 17 juil let 1793, relatives aux rentes féodales ou mélangées de signes de féodalité; Violation des art. 8 et 12 de la loi du 28 août 1792, concernant les biens communaux; - Fausse application de l'art. 2 du titre 10 de la loi du 24 août 1790, et de l'art. 7 de la loi du 3 brumaire an 2; et par suite, contravention au décret du 1er mai 1790, qui, dans chaque affaire, n'admet que deux degrés de juridiction.

« Pour ne pas nous égarer, en discutant

ces trois moyens, dans des détails absolument inutiles (ai-je dit à l'audience de la section des requêtes, le 11 germinal an 13), nous croyons devoir, avant tout, fixer votre at tention sur la différence des points de vue sous lesquels le tribunal de première instance et la cour d'appel de Colmar ont successivement envisagé l'affaire à laquelle ils se rapportent.

» Le tribunal de première instance a considéré les demandeurs comme simples fermiers, comme possesseurs purement précaires des biens-fonds à raison desquels le sieur Anthès réclamait une redevance d'un boisseau et demi de seigle et d'avoine par arpent; et c'est sur ce fondement qu'il a jugé cette redevance non féodale; c'est sur ce fondement qu'il a débouté les demandeurs de leurs conclusions à ce que cette redevance fût déclarée comprise dans l'abolition prononcée par les lois des 25 août 1792 et 17 juillet 1793.

» La cour d'appel, au contraire, sans examiner si les demandeurs étaient propriétaires ou fermiers, leur a supposé la première de ces deux qualités; et c'est en les supposant proprietaires, qu'elle les a jugés encore assujettis, nonobstant les lois des 25 août 1792 et 17 juillet 1793, à la redevance réclamée par le sieur Anthes.

» Cette supposition n'est pas écrite littéralement dans l'arrêt de la cour d'appel; mais elle est le résultat évident et nécessaire de la manière dont la cour d'appel a motivé son arrêt sur les deux questions qu'elle s'était proposé de décider.

» En s'expliquant sur la question de savoir si la redevance était ou non féodale, nonseulement elle n'a pas dit un seul mot d'où l'on puisse inférer qu'elle ait considéré les demandeurs comme de simples fermiers, mais elle n'a parlé d'eux que comme de possesseurs ordinaires de fonds; elle a raisonné à leur égard comme elle l'eût fait à l'égard de possesseurs à qui la qualité de propriétaire n'eût pas été contestée;

de

» Et venant ensuite à la question de savoir s'il y avait lieu de statuer sur les conclusions subsidiairement prises en cause d'appel par les demandeurs, pour se faire déclarer propriétaires, à la charge de payer la redevance, elle a décidé que cette question n'était pas son ressort, qu'elle n'en était pas saisie par l'appel des demandeurs : ce qui, certaine ment, équivalait bien de sa part à la déclaration expresse, que, pour juger sur la première question, s'ils étaient soumis à la redevance litigieuse, elle avait fait abstraction de tout ce qui avait été dit de part et

d'autre pour établir, soit leur qualité prétendue de propriétaires, soit leur qualité prétendue de fermiers; qu'en les jugeant soumis à la redevance litigieuse, elle avait jugé qu'ils y étaient soumis comme propriétaires, tout aussi bien qu'ils l'eussent été comme fermiers, ou, en d'autres termes, que dans le jugement de la première question, elles les avait supposés propriétaires, et qu'elle avait prononcé d'après cette supposition.

» C'est donc aussi en les supposant propriétaires, que nous devons examiner celui de leurs moyens de cassation qui est relatif à la nature de la redevance qu'ils sont condamnés à payer.

» Ce moyen, le premier des trois qu'ils font valoir, tend à prouver que les lois des 25 août 1792 et 17 juillet 1793 ont été violées par la cour d'appel; et voici comment on rai. sonne à cet égard.

» La redevance dont il s'agit, est qualifiée de Cens par l'acte du 26 mars 1737 : elle a donc été constituée en reconnaissance de la seigneurie directe des héritages pour raison desquels elle est aujourd'hui prétendue. Or, elle ne peut pas avoir été récognitive de seigneurie, sans avoir été en même temps seigneuriale elle est donc nécessairement supprimée par les nouvelles lois.

:

» Ce raisonnement serait sans réplique dans l'ancien territoire de la commune de Paris, et dans toutes les autres parties de la France où le mot Cens emporte par soi l'idée d'une rente qui se payait au seigneur, en reconnaissance du domaine direct qu'il s'était réservé en arroturant une partie du gros de son fief.

» Mais telle n'est pas partout la signification du mot Cens. Elle est notamment toute différente dans ceux de nos départemens qui avoisinent le plus l'Allemagne, ou qui en ont autrefois fait partie. On y entend par Cens un revenu quelconque, même un simple fermage.

» La coutume de Tournay, ch. 22, art. 10; de Lille, ch. 16; de Douai, ch. 4; de Cambresis, ch. 19, art. 6; de Hainaut, ch. 117, art. 1, appellent Censier le preneur à ferme d'un domaine rural, et biens de Cense les biens affermés.

» Dans l'art. 16 du titre 2 des ordonnances de Metz, Cense est employé comme synonyme de rente constituée à prix d'argent ; et Dunod, Traité des prescriptions, page 356, cite une ordonnance rendue pour la FrancheComté, en 1569, qui emploie ce terme avec la même acception.

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