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donc, en nous les concédant moyennant ce droit, vous en avez retenu la seigneurie directe; donc ce droit était seigneurial dans votre main; donc il est aujourd'hui supprimé. » Tel était, dans cette affaire, le principal moyen des adversaires des sieur et dame Delasalle. Permettez-nous de vous retracer les raisons par lesquelles nous l'avons combattu..... (1).

» Voilà, messieurs, de quelle manière nous nous sommes expliqués devant la section civile, le 24 vendémiaire an 13, sur les deux articles de la coutume d'Auvergne, que les demandeurs vous reproduisent en ce moment; voilà ce qui a déterminé la section civile à rejeter la demande en cassation dont ces deux articles formaient le principal appui.

» Et avec quelle force les mêmes raisons ne s'appliquent-elles pas à l'espèce actuelle ? Le sieur Huguet n'a pas ici à combattre, comme les sieur et dame Delasalle, la défaveur attachée à la qualité qu'avaient ceux-ci de cidevant seigneurs hauts-justiciers : cette qualité n'a jamais reposé sur la tête du sieur Huguet la pièce de terre qu'il a concédée, en 1756, aux nommés Jaffeux, était située dans la justice de Vertaison; il était donc bien impossible qu'il possédât cette pièce de terre en franc-alleu noble; il ne pouvait donc la posséder qu'en franc-alleu roturier; il n'a donc pas pu, en la concedant, s'y réserver autre chose qu'une rente foncière; et il importe peu qu'il ait qualifié cette rente de Cens; il n'a pu se créer par-là qu'un Cens emphythéotique, qu'une directe absolument étrangère au régime féodal.

»Par ces considérations, nous estimons qu'il y a lieu de rejeter la requête des demandeurs ».

Arrêt du 21 brumaire an 14, au rapport de M. Rousseau, qui,

« Attendu, sur le premier moyen, que l'identité du pré dont il s'agit, avec celui grevé d'un Cens envers le prieuré de Chauziat, n'a pas été précisément déniée; que la vérification et l'admission des preuves dont parle l'ordonnance de 1667, ne sont pas d'obligation rigoureuse, et que cela dépend des circonstances et du besoin que croient avoir les juges d'éclairer leur religion;

» Attendu, sur le second moyen, qu'il s'agit d'un sur - cens créé par le détenteur d'un héritage qui le tenait à la charge d'un Cens envers le seigneur de cet heritage, et qu'on

(1). mon Recueil de Questions de droit, au mot Terrage, S. 1.

ne peut confondre une pareille redevance quelque qualification qu'on lui ait donnée, avec celles réellement seigneuriales et féodales, les seules que les lois aient entendu supprimer;

» Attendu, sur le troisième moyen, qu'il est reconnu en fait, et qu'il n'a pas été contesté, que le surplus des héritages était tenu en franc-alleu roturier; que le détenteur n'avait pas le pouvoir de conférer à ces héritages une prééminence féodale qu'ils n'avaient pas; que la directe dont parle la coutume, ne peut s'entendre que du dominium directum des emphyteoses, tels qu'on l'entend dans le sens des lois romaines, et qui ne tient rien de la féodalité; que cette interprétation sort naturellement de la combinaison des art. 1 et 2 du chap. 31 de la coutume d'Auvergne, puisque, suivant l'art. 1, tous Cens et rentes dus sur héritages certains, emportent directe seigneurie; et que l'art. 2 porte aussi que quiconque acquiert Cens ou rente sur fonds allodial, acquiert la directe; que, de cette identite d'expression dont se sert la coutume, dans deux articles qui se suivent, il faudrait, pour interpréter le mot directe dans le sens féodal, aller jusqu'à dire que tout particulier qui aliénait son fonds en Auvergne, moyennant une redevance, Cens ou rente, se faisait un fief, se formait une vraie directe féodale; ce qui est absurde, et ce que la coutume d'Auvergne ne suppose nulle part; qu'ainsi, la cour d'appel de Riom, loin de contrevenir aux lois et à la coutume, s'est parfaitement conformée à leur esprit;

» La cour rejette... ».

Je reviendrai encore sur cet arrêt au mot Directe.

Mais je dois dire ici que, sur la question considérée en thèse générale et indépendamment de toute disposition de coutume, il existe un avis du conseil-d'état, du 13 messidor an 13, approuvé le 28 du même mois, dont je n'ai eu connaissance qu'en 1806, et qui nécessite, sur la jurisprudence que je viens de retracer, une explication très-importante.

Voici d'abord comment est conçu cet avis. « Le conseil-d'état, sur le rapport qui lui a été fait d'un rapport du ministre des finances, et d'un projet de décret tendant à déclarer maintenues des redevances à prestation de fruits mêlés de Cens, portant lods, loi, amende et seigneurie, dues par les habitans de la commune d'Arbois, en vertu de titre d'acensement consentis par des individus que l'on prétend avoir pris mal à propos la qualité de seigneurs ;

» Considérant que, lorsque le titre constitutif de la redevance ne présente aucune ambiguité, celui auquel ce titre est opposé, ne peut pas être admis à soutenir qu'il n'avait pas de seigneurie ;

ont con

» Considérant que toutes les dispositions législatives, et, en dernier lieu, l'avis du conseil-d'état, du 30 pluviose an 11, sacré la suppression de toutes prestations, de quelque nature qu'elles puissent être, établies par des titres constitutifs de redevances seigneuriales et droits féodaux supprimés par le décret du 17 juillet 1793;

» Est d'avis qu'il n'y a pas lieu d'adopter le projet présenté par le ministre ».

Il semblerait, d'après cette décision, que, dès qu'une redevance a été constituée comme seigneuriale, et sans que le titre même de sa constitution fournisse la preuve qu'elle ne pouvait être seigneuriale que de nom, ou, en d'autres termes, que celui au profit duquel on l'a stipulée, n'était pas seigneur; cette redevance, dût être présumée avoir réellement le caractère qui lui a été attribué par le titre; et que cette présomption ne pût être détruite par des preuves tirées du dehors. Mais j'ai prouvé dans le plaidoyer du 14 juillet 1814, rapporté aux mots Rente seigneuriale, §. 2, no 6 bis, que ce n'est là qu'une décision particulière qui ne peut avoir que l'autorité d'un jugement; que, rendue uniquement pour l'affaire spéciale qu'elle concerne, elle ne peut pas être obligatoire pour les tribunaux ; et que l'on doit encore s'en tenir aux arrêts de la cour de cassation qui, antérieurement à l'avis du conseil-d'état du 13 messidor an 13, avaient jugé la question en sens contraire à cet avis.

III. Sur les baux à Cens faits dans la ci-devant Normandie, par des propriétaires de portions de fiefs sans justice, V. l'article Jeu de fief, S. 9. ]]

S. IX. Le censitaire peut-il changer de nature

le fonds chargé de Cens?

En général, le Censitaire peut disposer à son gré du fonds Censuel; il peut bâtir, renverser les édifices qui y sont construits, en extraire les minéraux qui y sont renfermés, en faire des promenades, convertir un étang en terres labourables, et les terres labourables en étang ; il a la propriété absolue du domaine utile, et il peut en user comme il le juge à propos. Le seigneur ne peut réclamer à raison du Cens, parceque cette prestation est plus honorifique qu'utile, et n'a aucun rapport aux fruits. Il le peut encore moins à raison des lods et ventes: ces changemens en TOME IV.

diminueront la quotité; n'importe, ce sont des droits casuels qui ne sont d'aucune considération aux yeux de la loi: ceci s'entend, lorsque les lods et ventes sont seulement diminués. Il en serait autrement, si l'héritage était réduit à un état tel qu'il ne pût être vendu. De même, si le Cens consistait en un champart considérable, alors la prestation étant relative aux fruits, le Censitaire ne pourrait plus disposer du fonds avec la même liberté. La règle générale reçoit une seconde restriction, dans le cas où il paraît, par l'acte d'investiture, que c'est une maison considérable donnée à Cens; alors, on présume que la concession a été faite dans la vue des lods et ventes qui devaient résulter des mutations; et il n'est pas permis au Censitaire de détruire cette maison, pour en convertir le sol en terres labourables.

Remarquez qu'il faut, pour restreindre ainsi la liberté du vassal, que le titre primordial soit représenté. De simples reconnaissances énonciatives d'une maison, ne suffiraient point, parce qu'une pareille déclaration n'est censée faite que demonstrationis causá : à moins que le titre primordial ne dépose du contraire, on présume toujours que c'est un simple héritage qui a été donné à Cens: nudum solum, dit Dumoulin, olim in Censu concessum præsumitur.

S. X. Des prérogatives du Cens, et des droits qu'il attribue au seigneur.

Nous avons beaucoup parlé jusqu'ici des prérogatives du Cens; il est temps de voir en quoi elles consistent. Les droits féodaux sont le quint, le relief, etc. Les droits Censuels sont 10 l'obligation où est le Censitaire, de porter le Cens; 2o le droit qu'a le seigneur, de saisir l'héritage Censuel, à defaut de paiement du Cens; 30 les lods et ventes; 4o les amendes faute de paiement du Cens et de notification des ventes; 5o l'exhibition que l'acquéreur de l'héritage Censuel est tenu de faire de son contrat, lorsqu'elle lui est demandée ; 6o la déclaration qu'il est obligé de donner pareillement, lorsqu'elle est requise; 7o le droit d'ensaisinement qu'il doit au seigneur, mais seulement lorsqu'il prend saisine.

De même que, dans les fiefs, il faut prendre l'investiture du seigneur, de même, dans les Censives, on prend l'ensaisinement de lui.

V. Ensaisinement.

Comme, dans les fiefs, le vassal est obligé de donner son dénombrement, de même, dans les Censives, le Censitaire est obligé de donner la déclaration à ses frais, des héritages qu'il tient. V. Reconnaissance.

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CENS, §. XI ET XII, CENSEURS D'ÉCRITS IMPRIMÉS.

S. XI. De l'indivisibilité du Cens.

Le Cens affecte toutes les parties de l'héritage Censuel: est totus in toto et totus in qualibet parte. En conséquence, il est indivisible. Si un arpent de terre chargé de deux sous de Cens, est partagé entre deux héritiers, chacun d'eux est tenu solidairement de la pres

tation entière.

Il y a cependant des exceptions à cette régle. Dans les coutumes d'Orléans, de Blois, du Maine, etc., le Cens est divisible. Chaque détenteur de partie de l'héritage n'est tenu que d'une partie du Cens proportionnée à celle qu'il possède dans l'héritage.

Lorsqu'il n'est pas prouvé que différentes portions de terre ont été données sous un Cens unique, la baillée, dit Loyseau, est censée faite distributivement; et cette presomption affranchit les détenteurs de la solidarité.

S. XII. Le Cens est-il sujet à compensation? Est-il saisissable?

Le Cens n'est pas sujet à compensation. Je dois dix écus à mon Censitaire, qui me doit pareille somme pour arrérages de Cens; malgré l'égalité apparente de ces deux créances, elles ne se compensent pas. Le Censitaire n'en est moins tenu de me payer ce qu'il me doit, sauf à lui à se pourvoir pour ce qui lui

pas

est dû.

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La chose souffre plus de difficulté, lorsque deux seigneurs sont respectivement débiteurs et créanciers à raison d'arrérages du Cens. Si celui duquel je tiens en Censive, relève de moi au même titre pour une pareille somme, payable au même jour, ces deux créances se compenseront-elles mutuellement? Pourquoi non? Elles consistent également l'une et l'autre en honneurs et en profits; elles sont, dans toute la rigueur du terme, in pari specie. Cependant Dumoulin, sur l'art. 85 de la coutume de Paris, décide que la com. pensation n'a pas lieu; et la raison qu'il en donne, est concluante. La compensation ne s'opère que dans le cas où elle peut donner à chacun ce qui lui est dû; ici elle ne produit pas cet effet. Car la décharge de reconnaître mon seigneur pour l'héritage que je tiens de

lui, ne fait pas qu'il m'ait reconnu à raison de celui qu'il possède dans ma directe.

c'est que la compensation, si elle avait lieu Il y a encore un autre motif de décision : en ce cas, enleverait aux deux seigneurs l'occasion, toujours précieuse, de se procurer des reconnaissances de leur directe; Monumenta Censuum interbarentur.

pas

Cette règle, Cens n'est pas sujet à compensation, n'a néanmoins toute l'étendue auquel le seigneur doit une somme égale aux qu'elle paraît présenter d'abord. Le Censitaire arrerages du Cens, n'est pas, à la vérité, dispensé de se présenter au manoir seigneurial ou autre lieu désigné pour la recette, mais il n'est pas tenu de présenter le Cens en argent il suffit qu'il offre une quittance de pareille somme. Ces offres suffisent; et cela est juste. La quittance compense l'utile de la prestation; et ce qu'elle a d'honorifique, est acquitté par la présence du Cen sitaire au manoir seigneurial.

Ceci nous conduit à la question de savoir si, dans le cas où les créanciers du seigneur ont fait saisie-arrêt des arrérages du Cens et de ce qui pourra échoir à l'avenir, les Censitaires sont dispensés de porter le Cens.

Le Cens, comme on l'a déjà dit, est tout à la fois honorifique et utile; et ce qui consiste en honneur, est insaisissable. La saisie n'a

donc frappé que sur l'utile: le Censitaire prestation a d'honorifique, et c'est de cet hon'est donc pas moins tenu de servir ce que la norifique que dérive l'obligation de porter le Cens. Ainsi, le Censitaire se présentera au lieu et au jour désignés pour la réception du Cens; il ne videra pas ses mains, puisqu'il y a saisie; mais il en offrira le paiement, en rapportant par le seigneur main - levée de

cette saisie.

seau,

V. le Traité des fiefs de Dumoulin; Ricard, sur la coutume de Paris; les OEuvres de Duplessis; les OEuvres de Pothier; LoyTraité des seigneuries, etc.; et les articles Cotterie, Emphyteose, Fief, FrancAlleu, Jeu de fief, Mainferme, Prescription, Rente foncière, Rente seigneuriale, Champart, Terrage, etc. (M. H....)*

[[ V. aussi mon Recueil de Questions de droit, aux mots Emphyteose, Féodalité, Jeu de fief, Engagement, Rente, Terrage, etc. ]]

[[CENSEURS D'ÉCRITS IMPRIMÉS. On appelait ainsi, avant la révolution, des gens de lettres qui étaient chargés par le gouvernement du soin d'examiner les livres, les journaux et généralement tous les écrits qu'on

voulait imprimer.

Leurs fonctions ont cessé du moment où la liberté de la presse a été proclamée en France. Mais, recréées par le décret du 5 février 1810, implicitement abolies de nouveau par l'art. 8 de la charte constitutionnelle, elles ont, depuis, été successivement rétablies et supprimées. ]] [[CENSO. Ce terme est, en Italie, synonyme de Rente constituée. V. ce mot, S. 12. ]]

[[ CENSURE. C'est l'action de reprendre, de blâmer. On l'applique spécialement aux peines de discipline.

I. Les chambres de notaires et d'avoués sont autorisées à prononcer la censure contre les membres de leurs colleges qui manquent gravement aux devoirs de leurs fonctions. V. Chambre des avoués, et Notaire, §. 9. II. C'est aussi par voie de Censure la que cour de cassation est chargée, par le sénatusconsulte du 16 thermidor an 10, de procéder, sous la présidence du ministre de la justice, contre les juges qui se rendent coupables de fautes graves que les lois n'ont pas qualifiées de délits, et auxquelles elles n'ont pas appliqué de peines proprement dites.

Il existe plusieurs exemples de l'exercice que la cour de cassation a fait de ce pouvoir. Le premier est un arrêt du 15 prairial an 11, qui censure trois membres d'une cour de justice criminelle spéciale, pour avoir voté par faiblesse et contre leur conscience, l'absolution de fabricateurs d'un faux acte de mariage.

Le second est plus remarquable par ses circonstances et par la question de compétence à laquelle il a donné lieu.

Voici d'abord le réquisitoire par lequel j'ai provoqué la censure du magistrat dont il s'agissait :

«Le procureur général expose qu'il est chargé, par le gouvernement, de requérir, contre le sieur J. P. C., juge au tribunal de première instance de G., l'exercice du pouvoir Censorial que le sénatus-consulte du 16 thermidor an 10 a délégué à la cour.

» Le sieur C. a épousé, le 8 janvier 1782, dans l'église paroissiale de....., M. A. J. G., alors domiciliée dans la même commune.

»De ce mariage est né un fils, nommé J. H. C., actuellement âgé de 22 ans ou environ, et chasseur dans le 3e bataillon de la..... demi-brigade légère.

» L'existence de cet enfant paraissait devoir attacher pour toujours le sieur C. à la femme qui l'en avait rendu père; malheureusement il n'en a pas été ainsi. Le sieur C. a, depuis long-temps, quitté son épouse. Il s'est cepen

dant rapproché d'elle en avril 1793; mais après avoir, à cette époque, passé avec elle quinze jours, il l'a abandonnée de nouveau ; et depuis ne l'a plus revue, ni ne lui a donné de ses nouvelles, quoiqu'il soit bien constant qu'elle vit encore.

» Si c'était là le seul tort du sieur C., l'exposant en gémirait, mais il ne viendrait pas en entretenir la cour. Voici des faits plus graves.

» Au moment même où, pour la seconde fois, il abandonnait son épouse en 1793, il fit la connaissance d'une fille de...., nommée F. S., la conduisit à G., s'y établit avec elle, et la présenta à ses parens, à ses amis, à tout le public, comme son épouse légitime. n'est pas tout.

Ce

» Le 5 prairial an 7, le sieur C. a fait inscrire sur les registres de l'État civil de la comla veille, de F. S., son épouse. mune de G., un enfant qu'il a déclaré être né

» Le 9 messidor an 9, a été inscrit sur les mêmes registres un second enfant de J. P. C., juge au tribunal, et de F. S., domiciliés à G., MARIÉS; et le sieur C. a signé cette ins. cription comme la précédente.

» Le 7 messidor an 11, troisième enfant inscrit, toujours en la présence et avec la signature du sieur C., comme fils de J- P. C., juge au tribunal, et de F. S., domiciliés à G., MARIÉS.

» Il paraît que cette troisième inscription a donné l'éveil sur les autres, et que l'œil du public s'est alors ouvert sur la conduite du sieur C. On ne soupçonnait cependant pas encore qu'il eût fait à l'officier de l'État civil de fausses déclarations; mais il commençait à être notoire qu'il avait été marié avec la demoiselle G., encore vivante, et domiciliée à F.; et en le croyant engagé dans les liens d'un véritable mariage avec F. S., on le regardait comme coupable de bigamie.

»Des recherches ont été faites à cet égard par le ministère public, et elles ont conduit à la preuve qu'il n'existait point de mariage entre le sieur C. et F. S.

» Mais de là aussi il est résulté que le sieur C. en avait imposé à l'officier de l'État civil de G., quand il lui avait déclaré, à trois reprises différentes, être marié avec F. S, et quand il lui avait en conséquence présenté des bâtards adultérins comme les fruits d'une union légitime.

» Alors s'est élevée la question de savoir si le sieur C. pouvait être mis en jugement, comme coupable du crime de faux; et l'on s'est bientôt fixé sur la négative, d'après les

arrêts de la cour des 18 et 26 brumaire que l'autorité à laquelle est conflé le dépôt de an 12 (1). la dignité de la magistrature, le frappe sans ménagement.

» Ainsi, le sieur C. a dû échapper à l'accusation de faux, comme à celle de bigamie; mais il est demeuré coupable d'énonciations mensongères et répréhensibles dans les actes les plus respectables de la société; et ce trait d'immoralité, quoiqu'il n'ait pas été prévu et caractérisé par le Code pénal, est trop grave de la part d'un magistrat, il imprime sur sa conduite une tache trop avilissante, il répand dans le public un éclat trop scandaleux, pour qu'il soit permis à l'exposant de ne pas le deférer à la Censure du tribunal suprême.

» L'art. 80 de la loi du 27 ventôse an 8 ne soumettait à la juridiction de la cour, que les délits commis par les juges dans l'exercice de leurs fonctions. Mais il a été bientôt reconnu que des juges pouvaient, soit dans l'exercice, soit hors de l'exercice de leurs fonctions, se livrer à des écarts qui, sans avoir le caractère de délits, n'en compromettaient pas moins la magistrature, et exigeaient par conséquent une répression particulière. De là, le sénatusconsulte du 16 thermidor an 10, qui porte, art. 82, que la cour peut, pour cause grave, suspendre les juges de leurs fonctions, les mander près du grand-juge, pour y rendre compte de leur conduite.

» Or, c'est assurément une cause grave, que l'audace honteuse avec laquelle le sieur C., non content de vivre publiquement, dans la ville même où siége son tribunal, avec une femme qui tient la place de sa légitime épouse, fait inscrire comme issus d'un mariage qui n'existe point, qui ne pourrait pas exister sans crime, des enfans qu'il ne doit qu'à un commerce réprouvé par la morale et flétri dans l'opinion.

» Ce qu'il y a de plus déplorable, c'est que, dans une lettre écrite au grand-juge ministre de la justice, le 21 ventôse an 12, le sieur C. semble, en reconnaissant les principaux faits dont l'exposant vient de rendre compte, ne pas se douter qu'il s'y trouve rien de contraire à l'honnêteté publique, rien qui puisse diminuer la considération dont il est néces

saire que jouissent, pour le bien de la justice, tous ceux qui sont appelés à lui servir d'organes dans les tribunaux. Quand un homme en est venu à ce point de corruption, de n'avoir pas même la conscience de sa perversité, il n'y a plus à compter sur lui, il n'y a plus de retour à espérer de sa part; il faut

(1) V. mon Recueil de Questions de droit, au mot Faux, S. 3.

» Aucun moyen n'a été négligé, aucune démarche n'a été omise, pour amener le sieur C. à purger volontairement de sa présence le tribunal qu'il déshonore; et à s'épargner, par cette résignation si puissamment commandée par son propre intérêt, l'humiliation d'une censure publique. Mais les instances les plus pressantes, les invitations les plus respectables ont été inutiles auprès de lui; endurci dans le vice, il a tout repoussé.

» Forcé, par cette inconcevable obstination, de provoquer contre le sieur C. l'animadversion de la cour, l'exposant a du moins la consolante certitude que la conduite de ce magistrat n'a point eu de modèles, et qu'elle n'a point d'imitateurs dans le grand nombre de tribunaux qui couvre la surface de l'empire; et c'est une raison qui rend d'autant plus il a rendu l'emploi indispensable. Plus l'ordre urgente à son égard la mesure rigoureuse dont judiciaire est pur dans toute sa masse, plus il importe d'en séparer, pour tout le temps que le permet la loi, l'alliage qui le souille.

» Ce considéré, il plaise à la cour, vu l'art. 82 du sénatus-consulte du 16 thermidor an 10, ordonner que J. P. C. sera, pendant deux ans, suspendu de ses fonctions de juge au tribunal de première instance de G.

» Fait au parquet, le 19 nivôse an 13. Signé Merlin ».

le 1er pluviose an 13, à l'audience des sections Le rapport de ce réquisitoire ayant été fait réunies, présidées par le grand-juge ministre de la justice, j'ai cru devoir y ajouter ce qui suit:

« Le devoir pénible, mais indispensable et sacré, qui nous a dicté le réquisitoire dont M. le rapporteur vient de vous rendre compte, nous oblige encore de vous présenter quelques vues sur un doute auquel, à l'approche de cette solennelle et majestueuse audience, voir donner lieu. l'affaire qui en est l'objet, nous a paru pou

dû être portée, et la cour est-elle compétente » Est-ce devant la cour que cette affaire a pour en connaître? La réponse à cette question doit se trouver dans l'art. 82 du sénatusconsulte du 16 thermidor an 10. Cet article, vous le savez, a deux parties par la pregrand-juge, ministre de la justice, est investie mière, la cour de cassation, présidée par le du droit de Censure et de discipline sur les tribunaux d'appel et les tribunaux criminels; et il est dit par la seconde, que vous pouvez,

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