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le domaine utile, avec réserve du domaine direct et d'une rente annuelle sous la dénomination de Cens.

[[II. Il n'importe, pour cela, que l'héritage noble soit tenu en fief ou en franc-alleu.

Mais l'héritage roturier, fût-il allodial, ne peut jamais former la matière d'un bail à Cens: et si de fait il est acensé, le bail à Cens ne vaut que comme bail à rente foncière. V. ciaprès, S. 8; et mon Recueil de Questions de droit, aux mots Rente foncière, §. 14; et Terrage, S. 1.

Que doit-on, à cet égard, décider par rapport aux droits incorporels? Peut-on, lorsqu'ils sont nobles, les bailler à Cens? Et la redevance que l'on se réserverait en les concédant de cette manière, serait-elle seigneuriale?

Non. « Le propriétaire d'un fief (dit l'au»teur de cet article, M. Henrion, dans ses » Dissertations féodales, tome 2, page 97) » peut s'en jouer de deux manières, , par inféo»dation ou par bail à Cens. Le seigneur est » le maître de choisir celle de ces deux maniè» res qu'il juge à propos, lorsque c'est une » partie du domaine corporel de son fief qu'il » aliène : il est le maître de stipuler qu'elle » relevera de lui en fief ou en roture. Mais il » n'en est pas de même lorsqu'il se joue des >> droits seigneuriaux attachés à son fief, par » exemple, des Cens ou rentes Censuelles qu'il » a droit de percevoir sur les héritages de sa >> mouvance : comme ces droits sont essentiel»lement nobles, il ne dépend pas de lui de les » arroturer, de stipuler qu'ils seront tenus >> roturierement; une pareille convention se»rait nulle, parcequ'elle choquerait la na»ture des choses ».

III. Mais de là naît une autre question. Lorsqu'un droit de Cens a été acensé de fait, que devient-il dans les mains du concessionnaire? Celui-ci le possède-t-il comme Cens seigneurial, ou comme rente purement foncière? et en conséquence, ce droit est-il aboli ou maintenu par la loi du 17 juillet 1793?

Voici une espèce dans laquelle cette question a été discutée et jugée avec une grande solennité.

Le 25 juin 1726, René-Charles Delahay propriétaire du fief de la Marvallière, vend

à Elie Cossin, une rente féodale, consistant en deux charges et demie de bled, quatre-vingts quarteaux d'avoine, quatre chapons, deux poules et une corvée annuelle de deux bœufs, due tant sur la métairie de Magny et le moulin de la Borderie, que sur la métairie de la Chagnelière; « Et comme ladite rente ci-dessus vendue (porte cet acte), relève du lieu

noble de la Marvallière, appartenant au sieur vendeur, et ladite rente vendue se trouverait noble, mouvante et relevant de son fief, ledit seigneur vendeur a, de son bon gré, arroturé le fonds de ladite rente, moyennant la rente noble et féodale de cinq sous, attendu que ledit seigneur se réserve par-devers lui le droit de fief et seigneurie de ladite rente ».

Le 28 février 1759, transaction entre le sieur Cossin, acquéreur de cette rente, et les propriétaires du domaine et du moulin qui en sont grevés.

Ceux-ci avaient prétendu retenir, chaque année, le 10e de cette redevance; ils s'étaient fondes sur les édits portant établissement des vingtièmes, qui autorisaient tout débiteur de rente purement foncière et non seigneuriale, à exercer cette retenue; et, pour prouver que la redevance dont ils étaient chargés envers le sieur Cossin, n'avait rien de seigneurial, ils lui avaient opposé la clause de l'acte du 25 juin 1726, par laquelle le fond de cette rente avait été arroturé.

Le sieur Cossin avait soutenu que, si la rente avait été arroturée par cette clause, elle n'avait pu l'être que de lui à son vendeur; mais qu'à l'égard des redevables, elle avait, nonobstant cette clause qui leur était étrangère, conservé son caractère primitif de rente seigneuriale; qu'ainsi, elle n'était pas sujette à la retenue des vingtièmes.

De ces prétentions respectives, il s'était ensuivi un procès; et c'est sur ce procès qu'est intervenue la transaction dont il s'agit : elle ne contient qu'une seule disposition : les redevables se désistent de leur demande, reconnaissent que la rente est seigneuriale, et par conséquent exempte de retenue; et ils paient comptant la somme à laquelle se monte la retenue qu'ils ont, de fait, exercée jusqu'à ce jour.

Le 24 mai 1764, le sieur Cossin leur fait signifier cette transaction, avec commande. ment de lui payer quelques arrerages de la rente noble et féodale qu'ils ont, par cet acte, reconnu lui devoir.

Le 1er prairial an 8, le sieur DumoutierCossin, héritier de l'acquéreur de la rente, fait assigner la veuve Chauvin, Jacques Merle et Pierre Philippeaux, propriétaires du domaine de Magny, du moulin de la Borderie et de la metairie de la Chagnelière, en paiement des arrérages échus depuis cinq ans. Ils lui opposent l'art. 1er de la loi du 17 juillet 1793.

Le 22 prairial an 9, jugement du tribunal de première instance de Bressuire, qui les décharge.

Mais sur l'appel, arrêt de la cour de Poitiers, du 9 pluviose an 11, qui, « attendu que les » rentes dont il s'agit, quoique nobles et >> féodales dans le principe, ont cessé de l'être » par l'effet de la vente du 25 juin 1726, qui » en transfère la propriété au sieur Cossin, » avec réserve du fief et d'un droit de cens » de la part du seigneur de la Marvallière; » que les rentes ainsi arroturées, et devenues >> simples foncières, ne sont pas frappées de >> la suppression prononcée par les lois; dit » qu'il a été mal jugé... »

La veuve Chauvin, Jacques Merle et Pierre Philippeaux se pourvoient en cassation, et soutiennent que, par cet arrêt, la cour d'appel de Poitiers a violé formellement l'art. 5 de la loi du 25 août 1792 et l'art. 1er de la loi du 17 juillet 1793.

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Leurs raisons, pour le prouver, se réduisent à ceci : La rente dont on nous demande le paiement, était féodale dans son origine; l'arrêt que nous attaquons, le reconnaît luimême. Mais on prétend qu'elle est devenue purement foncière, par le bail à Cens qu'en a fait René-Charles Delahay, le 25 juin 1726. Eh! Comment pourrait-on attribuer un pareil effet à un acte qui n'est pour nous que res inter alios acta? René-Charles Delahay a bien pu arroturer cette rente, par rapport à celui à qui il la vendait; mais il n'en a point changé le caractère envers nous; rien n'annonce qu'il en ait eu la volonté; et il n'aurait pas pu le faire sans notre intervention.-Observons bien d'ailleurs que, par l'acte du 25 juin 1726, René-Charles Delahay n'aliène pas complètement la rente qu'il a sur nos biens : il y retient un Cens annuel de cinq sous, et par-là, que fait-il? Un simple jeu de fief, c'està-dire, un contrat par lequel, proprietaire d'une rente noble et féodale, il la divise en deux parties : l'une qui constitue la féodalité de la rente et qu'il retient par la réserve d'un Cens; l'autre, dont il se dessaisit, en la subalternant par l'imposition de ce Cens, à la portion qu'il retient. Ainsi, il n'aliene véritablement que le domaine utile de cette rente; il en conserve le domaine direct, et par conséquent la partie la plus noble. Cette rente n'est donc pas dépouillée de toute sa nobilite primordiale; elle n'est donc pas purement foncière; elle n'a donc pas été abolie par la loi du 17 juillet 1793.

« Voilà (ai-je dit, en portant la parole sur cette affaire à l'audience de la section civile), voilà toute la substance des moyens de cassation que l'on vous propose; mais, il faut le dire, on ne vous les propose pas sous le point

de vue qui pourrait seul vous déterminer à les accueillir.

» D'abord, s'il était vrai que l'acte du 25 juin 1726 contînt un jeu de fief par bail à Cens, que faudrait-il en conclure? N'en résul terait-il pas nécessairement que la rente eût été arroturée, non-seulement à l'égard de l'acqué. reur, mais encore à l'égard des fonds qui en étaient grevés? Vous savez, messieurs, que l'effet du bail à Cens était de convertir en roture, d'une manière absolue et dans l'intérêt de tous, ce qui auparavant était féodal; et ce qui le prouve nettement, c'est que, sous le régime de la féodalité, le fisc lui-même ne pouvait pas exiger le droit de franc-fief des personnes non nobles qui acquéraient des domaines féodaux par bail à Cens.

» Dans cette hypothèse, sans doute, la loi du 17 juillet 1793 aurait aboli le Cens de cinq sous réservé par René-Charles Delahay sur la rente dont il s'agit; mais elle n'aurait aboli que cela : la rente elle-même, devenue roturière long-temps auparavant, n'aurait pu être atteinte par cette loi.

» Et vainement les demandeurs viennentils vous dire, toujours en supposant un vrai bail à Cens dans l'acte du 25 juin 1726, qu'on n'a pas pu, sans leur intervention, changer à leur égard la nature de la rente dont ils étaient chargés envers le fief de la Marvallière.

» 1o. Ce changement, à l'époque où l'on suppose qu'il a été opéré, ne leur portait aucun préjudice; il ne pouvait même que leur être avantageux, puisqu'une rente purement foncière eût été pour eux une dette bien moins gênante qu'un cens seigneurial.

» 2o. Ce changement, dans le cas d'un vrai bail à Cens, en eût été le résultat inévitable, et la seule essence des choses l'aurait opéré, non-seulement sans l'intervention, mais même contre la volonté formellement exprimée des demandeurs.

» En effet, il n'était pas alors au pouvoir d'un seigneur de diviser le droit de directe qu'il avait sur les héritages assujettis à ses cens et rentes; il n'était pas en son pouvoir d'aliéner une partie de ce droit et de retenir l'autre. La directe, comme la mouvance, était indivisible. Ainsi l'avait réglé, dès le 13e siècle, le chap. 116 du liv. 1er des établissemens de St.-Louis: Nus ne quens (comte) ne bers (baron) ne autres ne puet donner son homme de foi....., à un étrange, se il ne le donnait à toute l'obéissance que il i aurait, sans rien retenir. Car se li bers (si le baron) le donnait à un de se vavassors (à un de ses vassaux), ce serait au dommage de celui do

son homme de foi); car il li conviendrai faire deux obéissances, à qui il la devrait, et au baron de qui il tiendrait son fié; et ainsi ferait d'une obéissance deux. Et c'est ce que la coutume de Bretagne a répété, en d'autres termes, quand elle a dit, art. 348: Le sei gneur ne peut départir la tenue à son homme, tellement que où l'homme, par cause de méme tenue, ne serait homme que d'un seul seigneur, il serait contraint d'être sujet et homme à deux.

» Il est donc impossible que, par l'acte du 25 juin 1726, René-Charles Delahay ait aliéné pour une partie et conservé pour une autre, la directe qu'il avait sur les héritages des demandeurs; et il faut nécessairement reconnaître, ou qu'il l'a retenue tout entière par devers soi, ou qu'il l'a transférée tout entière à Elie Cossin.

» Or, comment aurait-il pu la transférer à Elie Cossin par un bail à Cens? Un bail à Cens ne pouvait alors transférer que la propriété utile; ce qui le caractérisait essentiellement, c'était la réserve du domaine direct au profit du bailleur ; et le preneur pouvait si peu acquérir par cette voie, même une ombre de seigneurie, que tout ce qui, par cette voie, passait dans ses mains, se convertissait, de plein droit, en roture. Aussi trouvons-nous dans l'acte du 25 juin 1726, une clause expresse d'arroturement de la rente vendue à Elie Cossin. Il répugnait donc évidemment à la nature des choses, qu'Elie Cossin devînt par cet acte, considéré comme bail à Cens, seigneur direct des héritages des demandeurs. C'est donc sur la tête de René-Charles Delahay que cette qualité a continué de reposer, si véritablement on doit considérer comme bail à Cens l'acte du 25 juin 1726.

» Mais si, par cet acte, René-Charles Delahay s'est réellement réservé la directe des héritages des demandeurs, si Elie Cossin n'est pas devenu seigneur de ces héritages en acquérant la rente dont ils étaient grevés, bien évidemment cette rente n'a jamais pu être, relativement à Elie Cossin, récognitive d'une seigneurie; elle n'a jamais pu avoir, par rapport à lui, le caractère de Cens; elle n'a donc pas pu être supprimée, à son préjudice, par la loi du 17 juillet 1793.

» Les demandeurs vont dire, sans doute, que, dans l'application de cette loi, on doit se reporter à la nature primitive de la rente. Mais pourquoi s'y reporterait-on plutôt aujourd'hui, au détriment de Cossin, qu'on ne l'eût fait, sous l'ancien régime, au détriment des demandeurs, dans le cas où ceux-ci auraient eu intérêt de se prévaloir du change.

ment arrivé dans le caractère de la rente par l'effet d'un bail à Cens?

» Supposons, par exemple, qu'Elie Cossin, après avoir acquis la rente, eût laissé écouler 30 ans sans en exiger les arrérages et s'en faire passer titre nouvel. Aurait-il pu exciper de la nature primitive de la rente, pour écarter la prescription que les demandeurs lui auraient opposée ? Dunod, dans son Traité des prescriptions, part. 3, ch. 10, vous répondra que non. « J'ai dit (ce sont ses ter» mes), que le Cens peut être séparé du do» maine direct: ce qui arrive si celui qui a » l'un et l'autre, vend, donne, lègue ou aliène, » par quelqu'autre voie, le droit de cens, et » se réserve cependant le domaine direct. Y » aura-t-il lieu, en ce cas, à la prescription » du cens, par la cessation du paiement et » par le temps ordinaire ? L'affirmative paraît » fondée sur ce que le Cens ne doit plus être » regardé comme un accessoire du domaine » direct; que c'est un droit séparé et principal » qui subsiste par lui-même, et qui peut s'é»teindre sans que le domaine direct reçoive » aucune atteinte, puisqu'il a pu être transféré » sans lui; qu'il n'a plus la cause qui le con» servait avant cette translation; et que le » tiers à qui il appartient, ne le retient plus » que comme une redevance ordinaire sujette » à la prescription ». Dunod ajoute que tel est l'avis de Cancerius dans ses Variæ resolutiones, liv. 1er, ch. 12, no 15.

» Ecoutons encore Poulain - Duparc, sur l'art. 294 de la coutume de Bretagne, noteƒ: « M. Hevin, cons. 4, decide qu'une rente an>> ciennement féodale, étant aliénée par le » seigneur qui retient la féodalité, elle devient » purement foncière et sujette à la prescrip» tion de 40 ans. En effet, on ne peut pas » dire que la mouvance soit divisée: le sei»gneur n'aurait même pas eu le droit de faire » cette division, suivant l'art. 348 de la cou» tume. La prestation a été seulement séparée » de la féodalité, qui est demeurée entière au » seigneur; de sorte qu'il n'y a aucun lien » de foi entre son vassal et le propriétaire de » la rente. Cette maxime a été confirmée par » arrêt du mois de juin 1742, au rapport de » M. d'Astreans, doyen du parlement (de » Rennes), entre le sieur Leconiac de la Lon» grais et le sieur Drouet de la Noë-Seiche. » La prescription fut jugée contre la rente » comme foncière ».

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Voici dans quels termes Poulain-de-Belair, sur l'art. 348, nous présente l'abrégé de sa doctrine: « Revenant au texte, l'auteur re» marque que, quoiqu'on ne puisse diviser » la tenue du vassal, on peut diviser la pres»tation des droits; de sorte que le sens est » qu'on ne peut assujettir le vassal à tenir » féodalement de deux seigneurs.... A cela prés, il est incontestable que le seigneur » peut aliéner... ses rentes à une ou diverses » personnes. Mais la féodalité........ résidant tou> jours dans le premier seigneur, celui à qui on a vendu les rentes, ne les a que comme » simples dettes ou charges sur l'héritage ». » On trouve, à la vérité, dans les observa tions de Bretonnier sur Henrys, tome 1, liv. 3, chap. 3, quest. 17, deux arrêts du parlement de Paris, des 26 avril 1692 et 27 février 1703, qui ont jugé imprescriptible une portion de Cens qu'un seigneur avait aliénée, en se réservant l'autre portion avec le droit de lods et

ventes.

» Mais, 1o ces deux arrêts n'en font, à proprement parler, qu'un seul, puisque le second a été rendu entre les mêmes parties que le premier, et qu'il n'a pu, par conséquent, qu'appliquer à celui-ci la règle de la chose jugée. 2o. Bretonnier, qui avait écrit pour la partie en faveur de laquelle ces deux arrêts sont intervenus, et qui assure avoir eu avec les juges des conférences particulières sur les moyens qu'il employait, nous apprend luimême que ses adversaires réduisaient toute leur défense à dire que le Cens n'était imprescriptible que lorsqu'il se trouvait joint au droit de lods; proposition absurde et qu'il n'eut pas de peine à détruire; et il est, d'après cela, très-permis de croire que la question eût été jugée tout autrement, si l'on eût pris pour base de la prescriptibilité de la portion de Cens aliénée, la maxime que le Cens aliéné avec réserve de la seigneurie directe sur le fonds, perd, à l'égard des redevables, son caractère de féodalité.

» Une chose au surplus très-remarquable, c'est que Cancérius, Dunod, Hevin, PoulainDuparc et d'Argentrée appliquent leur doctrine à un cas bien moins sujet à difficulté que celui dans lequel se présente notre espèce : c'est qu'ils parlent tous d'une rente seigneuriale qui a été séparée de la directe, non, comme ici, par un bail à Cens qui l'a arroturée, au moins de nom, mais par une cession pure et simple qui l'a laissée dans sa nature primitive de redevance noble et féodale. Dans ce cas, en effet, l'acquéreur de la rente ne peut la posséder même séparément de la directe, qu'avec le caractère de nobilité qu'elle

tient de sa propre essence: il ne peut la tenir qu'en fief, soit de son vendeur, si celui-ci l'a aliénée par un jeu de fief régulier, soit du seigneur dominant de son vendeur, si celuici n'a fait que la démembrer du gros de la seigneurie. Pourquoi donc, même dans ce cas, les auteurs décident - ils qu'elle n'a plus, de l'acquéreur aux redevables, le privilége de l'imprescriptibilité? C'est parceque les redevables ne la paient plus à l'acquéreur en reconnaissance de la directe; c'est parcequ'elle ne constitue plus, entre l'acquéreur et les redevables, aucun lien de sujétion féodale; c'est parcequ'elle ne forme plus, dans les mains de l'acquéreur, qu'un fief passif.

» Mais si, comme fief purement passif, elle n'est pas, pour l'acquéreur, à l'abri de la prescription, il faut bien aussi qu'au même titre, elle soit à l'abri des lois qui viennent abolir les rentes Censuelles. Il serait trop injuste, trop bizarre, que l'acquéreur ne pût pas aujourd'hui faire valoir, pour conserver sa rente, un moyen qu'on aurait pu lui opposer avant 1793, pour la faire déclarer éteinte. En un mot, dès que la rente n'existe dans les mains de l'acquéreur que comme fief passif, il n'y a nulle raison pour qu'on ne lui applique pas les arrêts de la cour des 26 pluviose an 10 et 17 floreal an 11, qui ont décidé, l'une en faveur du sieur de Schawenbourg, au rapport de M. Lombard, l'autre en faveur du sieur Thobois, au rapport de M. Rousseau, que toute redevance dont le propriétaire n'est pas seigneur direct des fonds qui la doivent, quoiqu'il la tienne lui-même en ficf d'un seigneur véritable, ne peut être considérée, envers les redevables, que comme purement foncière; et qu'elle a dû, comme tellè, survivre à la loi du 17 juillet 1793.

» Disons donc que, si René-Charles Dalahay, en vendant à Elie Cossin la rente dont il est ici question, s'était réservé la directe sur les heritages des demandeurs, cette rente serait, par-là même, devenue, à leur égard, purement foncière dans les mains de l'acquéreur; et que conséquemment elle ne serait pas aujourd'hui supprimée. C'est même ce que vous avez formellement jugé par arrêt du 10 nivôse an 14, au rapport de M. Ruperou. (V. Champart, no 3.)

» Mais est-il bien vrai qu'en effet, René Charles Delahay se soit réservé cette directe? Est-il bien vrai qu'il n'ait pas, au contraire, vendu cette directe à Elie Cossin, avec la rente qui en était récognitive? Est-il bien vrai qu'Elie Cossin, en acquérant la rente, ne soit pas devenu seigneur des héritages sur lesquels elle était assise?

» Oui, tout cela serait exactement vrai, si, par l'acte du 25 juin 1726, René-Charles Delahay avait fait réellement un bail à Cens; si, par cet acte, il avait réellement arroturé la rente: car, encore une fois, une rente roturière dans les mains de celui à qui elle est due, ne peut pas être récognitive de seigneurie, ne peut pas être seigneuriale, de la part de ceux qui la doivent.

» Mais il est temps de le dire, l'acte du 25 juin 1726 n'a de bail à Cens que le nom, il n'en a point la substance; et essentiellement nul comme tel, il n'a jamais pu valoir, il n'a jamais pu être et il n'a jamais été exécuté, que comme vente pure et simple.

» Il n'en était pas, sous le régime féodal, des rentes seigneuriales comme des domaines corporels les domaines corporels n'étant, par eux-mêmes, ni nobles ni roturiers, un seigneur qui les détachait du gros de son fief, pouvait, par l'acte d'aliénation qu'il en faisait sous la réserve d'un droit quelconque, leur imprimer la qualité d'arrière- fief ou de roture; rien ne le gênait, à cet égard, dans sa détermination. Mais avait-il la même liberté relativement aux Cens, aux rentes seigneuriales, aux droits récognitifs de la directe? Non : ces droits (dit M. Henrion, dans ses Dissertations féodales, aux mots Jeu de fief, S. 30), sont essentiellement nobles, et tellement nobles, que les déclarer roturiers, ce serait les dénaturer, les anéantir, et changer entièrement la convention à laquelle ils doivent leur existence.

» Nous trouvons la même doctrine dans la Théorie des matières féodales, tome 3, page 376. L'auteur (Hervé) y agite la question de savoir si le jeu de fief peut s'opérer par sousinféodation, tout aussi bien que par bail à Cens, et voici l'une des raisons qu'il emploie pour l'affirmative : « il est à remarquer que, » si le jeu de fief par sous-inféodation n'avait » pas lieu, il y aurait certaines choses dont » le vassal ne pourrait pas se jouer, parceque, » par leur nature, elles ne peuvent être te» nues que noblement; tels sont les droits de » justice, les Censives, etc. Ce sont des attri» buts de féodalité incompatibles avec la te

»nure roturière ».

>> Pothier, dans son Traité des fiefs, tome 2, page 304, dit également : « il y a certaines » choses qui, par leur nature, ne peuvent » être tenues que noblement et non à Cens; » tels sont les droits de justice et les Censives. » Le vassal ne peut se jouer de ces parties de » son fief, qu'en les donnant à titre d'arrière» fiefs, et non pas de baux à Cens ».

la Jurisprudence du conseil sur les droits de franc-fief et amortissement, tome 2, page 257: « Le jeu de fief permis par toutes les coutumes (dit-il), comprend, tant le domaine » que le domaine direct, tant le domaine que » les mouvances et Censives. L'art. 51 de la >> coutume de Paris en contient une disposi» tion expresse en ces termes peut se jouer » et faire son profit des héritages, Cens et » rentes étant de son fief. Ainsi, le vassal peut » aliéner les Cens et rentes qui dépendent de » son fief. Mais il ne peut aliéner le Cens qui » est noble et seigneurial par lui-même, qu'à .» la charge de la foi et hommage; il ne peut » pas le vendre à la charge d'un autre Cens, >> suivant cette maxime: Cens sur Cens ne » vaut ».

» Qu'a donc fait René-Charles Delahay, lorsque, par l'acte du 25 juin 1726, au lieu d'aliener sa rente seigneuriale pour être tenue de lui à foi hommage, il l'a aliénée pour être tenue de lui en roture, moyennant cinq sous de Cens? Il a fait ce qu'il ne pouvait pas faire; et ce qu'il pouvait faire, il ne l'a pas fait : secit quod non potuit, quod potuit non fecit. -Il faut donc appliquer ici la maxime, plus valet quod agitur quàm quod simulatè concipitur; et en conséquence, effacer de l'acte les mots arroturement et Cens, considérer la rente comme vendue à Elie Cossin avec son véritable et essentiel caractère de rente noble, et réduire la réserve d'un Cens de cinq sous, à la stipulation d'une redevance sèche, d'une redevance dégagée de tout signe de domaine direct.

» Et, dans le fait, on sent bien que cette clause d'arroturement, cette réserve d'un cens, n'ont été imaginées dans l'acte dont il s'agit, que pour mettre Elie Cossin à l'abri du droit de franc-fief. Si l'objet de ces clauses eût été de conserver à René-Charles Delahay la directe sur les héritages des demandeurs, qu'eûtil coûté aux parties de l'exprimer? Et peut-on supposer surtout que le vendeur eût omis de se réserver les droits de lods et de retrait censuel, qui, aux termes de l'art. 21 de la coutume de Poitou, c'est-à-dire, de la loi territoriale sous laquelle on traitait, étaient toujours inhérens à la seigneurie foncière?

» Encore une fois, nous devons donc ici faire abstraction, et de la clause d'arroturement de la rente vendue par Delahay à Cossin, et de la réserve d'un Cens de cinq sous sur cette rente. Nous devons donc considerer la cession de la rente comme pure et simple. » Or, si Delahay a cédé purement et simplement sa rente à Cossin, bien certainement

» C'est aussi ce qu'enseigne Dubost, dans il lui a aussi cédé son droit de directe; il lui

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