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qui se trouve à terre. N'étant donc pas assujettie au contrôle exclusif du souverain territorial, elle n'est pas sous sa protection d'une manière aussi absolue que la propriété qui est à terre; et les nations ne se sont pas accoutumées à regarder comme un acte de mauvaise foi la saisie par un souverain belligérant, au commencement de la guerre, de tous les navires ennemis qui sont à flot dans ses ports. La distinction entre la juridiction concurrente, que toutes les nations exercent sur les navires et les chargements portés à flot par le flux et le reflux de la marée, et la juridiction exclusive, que chaque nation exerce séparément sur toutes les personnes et les choses débarquées sur son sol, peut servir à expliquer à certains égards la différence du traitement que la propriété ennemie à flot a subie dans la pratique au commencement de la guerre, en contraste avec la propriété ennemie débarquée et restée à terre. La circonstance que le jugement de toutes les saisies de navires et de chargements capturés étant à flot, comme prises de guerre, ressortit à la juridiction de l'Amirauté, est une preuve de la haute antiquité de la pratique des saisies de ce genre. Le maintien de cette pratique devient de plus en plus contestable, car il ne se concilie guère avec la bonne foi, qui est la base du développement des relations commerciales des nations entre elles.

60. C'est pourquoi nous voyons que lorsque la guerre éclata avec la Russie en 1854, en ordonnant de mettre l'embargo sur tous les navires russes qui entreraient dorénavant dans une rade, un port ou un havre anglais, la Reine de la Grande-Bretagne, désirant diminuer autant que possible les maux de la guerre, enjoignit, par un ordre portant la même date, « qu'il serait accordé aux navires marchands russes, se trouvant dans des ports ou des endroits quelconques si

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1 Ordres en Conseil du 29 mars 1853, publiés dans le second supplément de la London-Gazette du 29 mars 1854. British and foreign States papers, vol. 46, p. 39.

tués dans les possessions de Sa Majesté, un délai de six semaines pour embarquer leurs chargements et quitter ces ports et ces endroits; et, de plus, qu'ils ne seraient pas molestés, s'ils étaient rencontrés en mer par des croiseurs anglais. » La Grande-Bretagne modéra encore davantage l'exercice du droit de belligérant, en ordonnant que «‹à tout navire russe, qui aurait fait voile d'un port étranger, avant la date de l'ordre de Sa Majeste, pour un port ou un endroit situé dans les possessions de Sa Majesté, il serait permis d'entrer dans ce port ou cet endroit, d'y débarquer son chargement et ensuite de partir sur le champ sans être molesté; et que si ce navire était rencontré en mer par un croiseur anglais, il lui serait permis de continuer son voyage vers un port non bloqué. » L'Empereur des Français usa de la même mansuétude à l'égard des négociants russes faisant du commerce dans les possessions françaises ; et l'Empereur de toutes les Russies, par réciprocité du traitement que les sujets russes avaient éprouvé dans les ports d'Angleterre et de France, proclama la même tolérance à l'égard des négociants anglais et français faisant le commerce dans les ports de l'Empire russe. La conduite des puissances belligérantes en cette occasion marque une époque dans la pratique des nations touchant l'exercice du droit de belligérant à l'ouverture immédiate des hostilités. Dans les traités de commerce' qui existaient entre la Russie, la GrandeBretagne et la France, on ne trouve point de stipulations prescrivant de traiter avec indulgence les négociants ennemis lorsqu'une guerre éclate. C'est donc sous l'inspiration de la bonne foi que la Grande-Bretagne et la France ont, en cette occasion, donné l'exemple de renoncer à l'exercice du droit des belligérants de saisir et de confisquer les navires et les chargements des sujets ennemis se trouvant dans leurs ports au commencement d'une guerre. Il faut observer

Traité de commerce entre la Russie et la Grande-Bretagne (11 janv. 1843). Martens, N. R. gén,, V. p. 8. Traité de commerce entre la Russie et la France (16 septembre 1845). Martens, N. R. gen., IX, p. 335.

cependant que la guerre, que la Grande-Bretagne et la France se considéraient alors comme contraintes de déclarer à l'Empereur de toutes les Russies, n'était pas une guerre entreprise afin d'obtenir réparation de torts causés aux sujets de l'une ou de l'autre de ces puissances, mais pour la protection des possessions de leur allié, le Sultan de l'Empire Ottoman, contre les empiètements et l'agression non provoquée de l'Empereur de toutes les Russies. Ce n'était donc pas une guerre où les représailles contre les propriétés des russes eussent été justiciables, selon la pratique des nations, avant que la guerre eût commencé. C'est pourquoi le précédent ne s'applique pas aux cas où il y a eu refus de réparation pour des offenses reçues, et où, d'après la pratides nations, les sujets de l'État qui a commis l'offense envers ceux d'un autre État sont passibles de la saisie et de la confiscation de leurs navires et de leurs chargements pour le dédommagement des parties offensées avant la déclaration de guerre.

que

61. Relativement aux propriétés immobilières, telles que terres et maisons, Bynkershoek, ' qui est le plus vigoureux défenseur du droit des belligérants, tout en déclarant qu'une puissance belligérante a droit, en principe général, de confisquer toutes les propriétés réelles qu'un sujet ennemi possède sur son territoire, admet que l'usage dans toute l'Europe a été d'en séquestrer les revenus seulement pendant la guerre et de réinstaller le propriétaire dans son bien lors du rétablissement de la paix. A l'appui de cette opinion, Vattel' dit que «< celui qui déclare la guerre ne confisque point les biens immeubles possédés dans son pays par des sujets de son ennemi. En leur permettant d'acquérir et de posséder ces biens-là, il les a reçus à cet égard au nombre de ses sujets. Mais on peut mettre les revenus en séquestre, afin qu'ils ne soient pas transportés chez l'ennemi. >>>

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Bynkershoek, Quæst. jur. publ., Liv. I, Ch. VII.

1 Droit des gens, Liv. III, Ch. V, § 76.

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CHAPITRE IV

DROITS DES BELLIGÉRANTS SUR LE TERRITOIRE ENNEMI.

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62. Droit général des belligérants contre la propriété ennemie. — 63. Règles de l'exercice de ce droit. 64. Droit sur le territoire ennemi. Tous les biens mobiliers qui s'y trouvent sont butin de guerre. 65. Destruction des munitions et des vivres militaires. Dévastation des récoltes. 66. Propriétés immobilières des sujets ennemis. Domaine national d'un ennemi. 67. Papiers d'État et archives publiques. - 68. Bibliothèques publiques et musées. Restitution en 1815 des œuvres d'art renfermées dans les galeries du Louvre. Opinion du duc de Wellington.Opinion de Wheaton. Décision d'une cour anglaise de prises. 69. Destruction du Capitole de Washington, en 1814, sous prétexte de représailles. 70. Propriétés à flot dans un port ennemi. Distinction entre le butin de guerre et les prises de guerre. 71. Cour de chevalerie. Juridiction de la Haute Cour de l'Amirauté étendue dans certains cas au butin de guerre.

62.

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La guerre étant une contestation soutenue au moyen de la force dans le but d'obtenir réparation d'une offense qu'on a reçue ou de prévenir une offense dont on est menacé, toute nation qui poursuit une guerre juste a le droit de s'emparer de la propriété de son ennemi, soit à titre de satisfaction pour l'offense éprouvée, soit à titre de sûreté contre une offense à venir. « Par la loi naturelle », dit Grotius,' « nous acquérons dans une guerre juste des choses qui équivalent à ce qui nous est dû et que nous ne pourrions obtenir de toute autre manière, ou des choses qui font éprouver à ceux qui nous ont offensés une perte, qui rentre dans les limites équitables du châtiment. » « L'État », dit

1 Liv. III, § 1.

Vattel,' « qui prend les armes pour un juste sujet a un double droit contre son ennemi: 1° le droit de se mettre en possession de ce qui lui appartient et que l'ennemi lui refuse; à quoi il faut ajouter les dépenses faites à cette fin, les frais de la guerre et la réparation des dommages; car s'il était obligé de supporter ces frais et ces pertes, il n'obtiendrait point en entier ce qui est à lui ou ce qui lui est dû; 2° il a le droit d'affaiblir l'ennemi pour le mettre hors d'état de soutenir une injuste violence, le droit de lui ôter les moyens de résister. De là naissent, comme de leur principe, tous les droits de la guerre sur les choses qui appartiennent à l'ennemi. En certaines occasions, le droit de le punir produit de nouveaux droits sur les choses qui lui appartiennent, comme il en donne sur sa personne. >>

63. C'est pourquoi il est légitime pour une puissance belligérante de s'approprier les biens de son adversaire dans la proportion nécessaire pour se procurer une réparation raisonnable des offenses qu'elle a reçues, et une garantie raisonnable contre les offenses ultérieures. Le droit de garantie autorise en outre un belligérant à faire subir une perte à son ennemi, dans le but de le châtier de son injustice ou de sa violence, et en même temps de créer un exemple propre à détourner les autres actes semblables d'injustice ou de violence. A cet effet l'ennemi peut être légitimement dépouillé de ses possessions, ou de toute autre chose de nature à lui donner la force ou les capacités de faire la guerre. Mais toute guerre ne comporte pas de justes raisons pour infliger un châtiment à l'ennemi. Dans les cas où il y a doute, chaque partie est de bonne foi et sincère dans ses prétentions. Les armes de chaque partie doivent être considérées également comme légitimes tant que la contestation n'est pas tranchée; et après que la cause a été décidée par le sort de la guerre contre l'une des parties, si la partie vaincue a ob

1 Droit des gens, Liv. III. § 160.

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