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servé la modération dans la poursuite de ce qu'elle soutenait être son droit, elle mérite de la compassion plutôt que du ressentiment de la part du vainqueur. Aussi la seule circonstance qui justifie un belligérant de punir un ennemi vaincu, c'est ou l'injustice flagrante que celui-ci a commise en prenant les armes, ou sa dérogation à la pratique reçue des nations pour faire la guerre. « La guerre en forme doit être regardée, quant à ses effets, juste de part et d'autre ; et les droits fondés sur l'état de guerre ne dépendent point,extérieurement et parmi les hommes, de la justice de la cause, mais de la légitimité des moyens en eux-mêmes. » Si donc un belligérant observe toutes les règles de la guerre en forme, son adversaire n'est pas reçu à se plaindre de lui, comme d'un infracteur du droit des gens dans la manière dont il a conduit la guerre. L'un et l'autre belligérant ont d'égales prétentions au bon droit; chaque partie, lorsqu'appel a été fait aux armes, n'a d'autre ressource que la victoire ou un accommodement. Cependant, dans tous les cas, si un ennemi n'a pas de prétexte plausible pour prendre les armes, ou s'il opère sa résistance de manière à enfreindre la pratique des nations, il se rend passible de châtiment; mais même alors le vainqueur ne doit pas lui infliger un châtiment qui dépasse les exigences de sa propre sûreté ou du salut général. Cicéron condamne la conduite de ses concitoyens, lorsqu'ils détruisirent Corinthe pour venger les indignités commises à l'égard des envoyés romains, d'autant plus que Rome était en état de défendre la dignité de ses ambassadeurs sans avoir recours à une mesure de cette extrême rigueur.

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64. Comme le but de la guerre est d'engendrer une paix juste, une nation est justifiée d'envahir le territoire de l'ennemi, de s'emparer de ses biens, de ses villes, de ses pro

' Vattel, Liv. III, § 190.

* Cic. De Officiis, Liv. I, Ch. XI.

3 Grotius, Liv. III, Ch. XII, § 11, 3.

vinces pour l'amener à des conditions raisonnables et le contraindre à accepter une paix équitable et solide.' A cet effet une nation belligérante peut s'emparer des propriétés de l'ennemi dans une proportion excédant de beaucoup ce qui serait un juste dédommagement du tort, qu'elle a pu éprouver, dans l'intention de restituer le surplus par le traité de paix.

Une nation belligérante, en s'emparant des propriétés de l'ennemi, acquiert la possession des droits inhérents à ces propriétés; par exemple, si une nation belligérante s'empare d'un territoire ennemi, elle prend possession non seulement du sol et des biens mobiliers qui se trouvent dessus, mais aussi de la souveraineté sur ce territoire, et elle peut exercer cette souveraineté tant qu'elle demeure en possession du territoire.

Quant aux biens qui se trouvent sur le territoire ennemi, tous les objets mobiliers appartenant aux sujets ennemis sont butin de guerre et passent avec le territoire en la possession du belligérant; car les propriétaires actuels de ces biens ne sauraient, en tant qu'individus, être séparés du corps de la nation ennemie, et les capteurs actuels, en opérant la capture, agissent comme mandataires d'une nation belligérante. La règle qui régit toutes les captures est énoncée par la maxime: Parta bello cedunt reipublicæ. « Comme on appelle conquêtes », dit Vattel,3 « les villes et les terres prises sur l'ennemi, toutes les choses mobiles qu'on lui enlève forment le butin. Naturellement ce butin n'appartient pas moins que les conquêtes au souverain qui fait la guerre ; car lui seul a des prétentions à la charge de l'ennemi, qui l'autorisent à s'emparer de ses biens et à se les approprier. Ses soldats et même ses auxiliaires ne sont que des instruments dans sa main pour faire valoir son droit ». En conséquence tous les biens mobiliers d'un ennemi vaincu sont de droit

1 Vattel, Liv. III, § 163.

2 The Elsebe, 5. Ch. Robinson, p. 181.

Liv. III, § 165. Kluber, § 253.

strict à la merci du vainqueur; mais, dans la pratique, ce droit strict n'est exercé par le vainqueur que dans le cas où le droit de résistance a été soutenu jusqu'à l'extrême par la partie vaincue, comme, par exemple, quand une ville, assiégée et formellement sommée de se rendre à conditions, le refuse et est ensuite prise d'assaut. En pareil cas le vainqueur est, par la résistance extrême de l'adversaire, justifié d'exercer son droit extrême de conquête et de saisir comme butin de guerre tous les biens mobiliers de l'ennemi. Il est d'usage, en effet, que le souverain, ou l'autorité qui représente le pouvoir souverain de la nation, accorde à son armée une part du butin pris dans ces occasions. Toutefois le mode de partager ce butin à l'armée dépend du bon plaisir du pouvoir souverain. ' Dans certains cas la coutume est d'abandonner la totalité du butin aux troupes qui l'on pris, comme, par exemple, lorsque ce butin est le résulta immédiat d'une bataille rangée, ou lorsqu'une ville ou un camp fortifié a été pris d'assaut; alors on laisse les capteurs réels recueillir librement les dépouilles de leur victoire. Dans d'autres cas, où le butin est le résultat final de toute une campagne, il est d'usage que le pouvoir souverain le distribue à toutes les divisions de l'armée qui ont pris part aux opérations générales de la campagne.

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Aujourd'hui, d'ailleurs, lorsque l'ennemi s'est rendu à conditions, la pratique des nations chrétiennes n'est pas que le pouvoir souverain saisisse ou confisque, comme butin de guerre, la propriété privée des citoyens pris individuellement, mais qu'il se contente de s'emparer de tous les biens publics de la nation ennemie qui sont d'une nature mobilière, tels que bijoux, trésor, instruments de guerre ou munitions militaires; ou bien que, dans le cas où il prétend faire valoir son droit de conquête sur tous les biens privés des citoyens ennemis, il se borne à leur imposer une contribution en argent ou en provisions, moyennant laquelle leurs biens

1 Grotius, Liv. III, Ch. VI, § 13. Vattel, III, Ch. IX, § 164. The army of the Deccan, 2. Knapp's reports, p. 114.

effectifs sont garantis du pillage. Mais le commandant d'une armée victorieuse doit, en pareilles circonstances, être modéré dans ses demandes de contributions, s'il veut échapper au reproche d'inhumanité et de cupidité.

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65. — L'exercice du droit naturel du belligérant de ravager le territoire ennemi, sauf les cas où la conduite de l'ennemi a mérité un châtiment spécial, est régi par la maxime: qu'il n'y a de permis contre un ennemi que ce qui est nécessaire ; et rien n'est nécessaire qui ne tend point à procurer la victoire et à amener la fin de la guerre. Aussi lout dommage causé à l'ennemi sans que le belligérant en retire un avantage correspondant est un abus, que ce belligérant fait de son droit naturel. Ainsi un belligérant a, certes, le droit d'enlever à l'ennemi tous les biens qui peuvent l'aider à mieux poursuivre les hostilités, et de les détruire, s'il ne peut commodément les emporter. Un belligérant, par exemple, peut détruire toutes les provisions et le fourrage qu'il ne peut emporter, et même détruire les récoltes sur pied, dans le but de priver son ennemi de moyens immédiats de subsistance et de le contraindre ainsi à se rendre. Mais un belligérant ne saurait se justifier de couper les oliviers et d'arracher les vignes; car c'est désoler un pays pour nombre d'années, sans que le belligérant puisse en tirer aucun avantage correspondant. Quand les armées françaises mirent à feu et à sang le Palatinat en 1674 et une seconde fois en 1689, il s'éleva dans toute l'Europe un cri général d'indignation contre cette manière de faire la guerre ; et lorsque le ministre de France, Louvois, prétendit que le but qu'il se proposait était de couvrir la frontière française contre l'invasion de l'ennemi, l'avantage que la France retirait de cet acte fut généralement considéré comme hors de proportion avec les souffrances qu'il avait causées, et, par conséquent, l'acte lui-même comme injustifiable. Un prince belligérant 1 Vattel, Liv. III, § 165. Vattel, Liv. III, § 166.

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qui, de notre temps, sans nécessité, mettrait à feu et à sang le pays ennemi et le rendrait inhabitable pour le faire servir de barrière contre la marche de l'ennemi, serait justement regardé comme un moderne Attila. La nécessité de la guerre a parfois justifié des princes d'avoir dévasté leurs propres provinces, afin d'élever une barrière contre l'ennemi, qu'ils ne pouvaient espérer tenir autrement en échec. Pierre-leGrand, par exemple, ravagea plus de 80 lieues de pays dans son propre empire dans le dessein d'arrêter la marche des troupes de Charles XII de Suède. La disette et les fatigues épuisèrent les Suédois à mesure qu'ils s'avancaient, et la victoire de Pultawa gagnée par le Czar fut le résultat de ce sacrifice. Il peut donc survenir des cas où la nécessité justifie de pareilles extrémités en pays ennemi; mais ces cas sont rares et peuvent être regardés comme exceptionnels.

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Quant à la propriété immobilière des sujets ennemis, il fut un temps où les terres des sujets ennemis étaient confisquées par le vainqueur, de même que le droit du vainqueur sur la personne d'un prisonnier de guerre était absolu et illimité. Mais le droit du vainqueur de se servir de ses prisonniers de guerre comme d'esclaves a cessé de s'exercer depuis le milieu du xvII° siècle; et l'on peut dire qu'il est d'usage spécial chez les puissances chrétiennes, depuis le traité de Munster du 30 janvier 1648,' de rendre la liberté à tous les prisonniers à la fin d'une guerre sans rançon. De même, la propriété foncière et mobilière des 1 Vattel, Liv. III, §§ 139, 152.

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Au commencement du xviie siècle, nous trouvons des traités de paix dans lesquels il était stipulé que les prisonniers de guerre ne devaient pas ètre envoyés aux galères.

• Dumont, Traités, T. VI, part. I, p. 434.

Le traité d'Amiens de 1802, conclu entre la Grande-Bretagne, d'une part, et la France et la République Batave, de l'autre, renfermait une clause spéciale portant que les prisonniers des deux côtés seraient relâchés sans rançon. Cette clause était peut-être rendue nécessaire par la conclusion antérieure d'un cartel concernant la rançon des prisonniers à des prix fixes, payables en espèces. V. De Clercq, Traités de la France, T. I, p. 484.

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