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quel l'Empereur Maximilien et le Doge de Venise soumirent leurs différends à l'arbitrage du Pape Léon X, tandis que chacun d'eux faisait avec le pontife romain un pacte particulier pour qu'il se déclarât en sa faveur.

Les cas dans lesquels la décision de la puissance chargée de l'arbitrage est en conflit direct avec les règles de la justice sont également rares. Ils ont lieu la plupart du temps lorsque l'arbitre a en vue quelque avantage à retirer pour lui-même d'une décision injuste, et qu'il est assez puissant pour ne pas craindre le ressentiment des parties qui ont déféré à son jugement le réglement de leur contestation. Tel fut le caractère de cette décision du peuple romain, que rapporte Tite-Live dans les termes de la plus sévère réprobation, quand les villes d'Ardée et d'Aricium ayant déféré à l'arbitrage du peuple romain leur différend touchant la souveraineté sur une certaine contrée, l'assemblée des tribus romaines décréta que le territoire en litige était la propriété de l'État romain.1

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Grotius fait observer fort justement que, bien que dans un cas où les titres sont douteux les deux nations soient tenues de rechercher des conditions de compromis plutôt que de recourir aux armes, cette obligation s'impose plus impérieusement à la nation qui élève la réclamation qu'à celle qui est en possession de la chose; car c'est un fait qui se concilie non seulement avec le droit civil, mais aussi avec le droit naturel, que, dans tous les cas de prétentions égales, le possesseur de la chose se trouve dans une position plus favorable que la partie qui cherche à le troubler dans sa possession: melior est conditio possidentis. Il s'ensuit qu'un réclamant, qui peut bien être convaincu de la bonté de sa cause, mais n'est pas en état de prouver que la partie qui est en possession de la chose réclamée la possède injustement, ne saurait faire la guerre légitimement, parce qu'il

'Tite-Live, Histoire, L. III, C. 71.

* Grotius, L. II, C. 23, § 11. Wolf, Jus gentium, § 576.

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n'a pas le droit de contraindre l'autre à renoncer à sa possession.

Il n'est pas nécessaire que les nations, en déférant une question en litige entre elles à l'arbitrage d'un tiers, choisisse pour arbitre un État indépendant ou un prince souverain. Au moyen âge il arrivait assez fréquemment que les nations déféraient le jugement de questions en contestation entre elles à l'arbitrage de la Faculté de droit de quelque u iversité célèbre. Ainsi nous voyons les docteurs de la grande école de droit de Boulogne appelés continuellement à fournir des arbitres dans les différends qui surgissaient entre les républiques italiennes. D'autre part, dans les temps modernes les États les plus puissants n'ont pas hésité à déférer aux magistrats des Villes Hanséatiques le jugement de questions soulevées entre eux et des États moins puissants concernant les intérêts commerciaux de leurs sujets. Nous pouvons en citer comme exemple la Grande-Bretagne, qui dans deux occasions récentes est convenue avec le Portugal de déférer au sénat de la ville de Hambourg le jugement de réclamations de négociants anglais contre le gouvernement portugais, et le sénat de Hambourg s'est chargé de l'arbitrage dans les deux affaires; dans la première il s'est prononcé en faveur du gouvernement portugais, et dans la seconde en faveur du négociant anglais.

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L'arbitrage », dit Vattel,3 « est un moyen très raisonnable et très conforme à la loi naturelle, pour terminer tout différend qui n'intéresse pas directement le salut de la nation. » C'est pourquoi nous voyons qu'il fait quelquefois le sujet d'une stipulatio dans les traités d'alliance entre des États indépendants; il y est dit alors que leurs différends seront soumis à des arbitres, dans le cas où ils ne pourro t les régler eux-mêmes par une conférence amiable. Pareille

1 Affaire Croft, 1858.

Affaire Shortridge, 1861.
L. II, C. XVII, § 329.

disposition caractérise plus particulièrement les pactes fédéraux, par lesquels des États voisins s'associent ensemble dans le dessein durable d'une défense mutuelle et sont, au point de vue international, reconnus comme un corps d'États confédérés. Ainsi l'article XI de l'acte constitutif de l'ancienne Confédération Germanique stipulait que les États confédérés ne devaient se faire la guerre les uns aux autres sous aucun prétexte, ni chercher le règlement de leurs différends par la force des armes, mais devaient les déférer à la Diète. La Diète, de son côté, devait intervenir comme médiatrice entre les États qui pourraient avoir des différends avec d'autres; et si sa médiation était sans résultat, le différend devait être déféré à un tribunal austrégal (Austrägalinstanz), au jugement duquel les parties contestantes devaient se soumettre sans appel.

C'est d'après un plan analogue qu'était combiné le projet de l'abbé de Saint-Pierre ayant pour objet d'assurer la paix perpétuelle parmi les puissances européennes. Ce projet fut répandu en Europe peu de temps après les conférences qui aboutirent à la paix d'Utrecht, conférences auxquelles l'abbé avait assisté. Par une sorte de pieuse supercherie, dans le but de le recommander plus fortement à l'adoption des princes souverains et de leurs ministres, il attribua le projet au roi de France Henri IV et à son ministre Sully.' Il développa son plan avec plus de détails en 1729. Il le fondait sur l'état de possession des puissances européennes tel qu'il était établi par les traités d'Utrecht, et il cherchait à rendre cet état de choses perpétuel en maintenant l'équilibre des forces entre ces puissances et en suggérant des moyens pacifiques pour régler toutes les contestations qui pourraient surgir

'Projet de traité pour rendre la paix perpétuelle entre les souverains chrétiens, pour maintenir toujours le commerce entre les nations, et pour affermir beaucoup davantage les maisons souveraines sur le trône, proposé autrefois par Henri le Grand, roi de France, agréé par la reine Elizabeth, par Jacques Ier et par la plupart des autres potentats de l'Europe. - Utrecht, 1713.

entre elles. Afin d'atteindre à ce but il proposait que les membres de la famille des nations chrétiennes renonçassent au droit de se faire la guerre les unes aux autres et acceptassent pour le règlement de leurs différends mutuels la médiation d'une diète européenne, où les trois quarts des votes devaie t être nécessaires pour un jugement définitif.' Ce projet, dans ses détails spéculatifs, offre des points nombreux et frappants de ressemblance avec l'organisme de l'ancienne Confédération Germanique.

7. — La médiation, par laquelle une tierce puissance interpose ses bons offices pour amener le règlement pacifique d'une question en litige entre deux puissances, diffère de l'arbitrage en ce que la décision de l'arbitre est obligatoire, tandis que le médiateur donne simplement un conseil et un avis. Une puissance indépendante a parfaitement la faculté d'offrir sa médiation entre d'autres puissances indépendantes qui font des préparatifs de guerre ou qui ont même commencé les hostilités, et de leur suggérer un compromis, si une réclamation de droit a été formulée par l'une ou l'autre ; ou, dans le cas où le différend se rapporterait à un tort causé à l'une par l'autre, de conseiller l'offre et l'acceptation d'une satisfaction raisonnable. Il est évidemment du devoir d'un individu, quand rien ne l'oblige à prendre part à un différend entre ses amis, de s'efforcer d'amener un arrangement amiable entre eux; tandis qu'il est souvent de l'intérêt d'une nation de prévenir une guerre qui est sur le point d'éclater entre d'autres nations, car quelques étincelles de l'incendie qui s'allumera dans son voisinage peuvent l'atteindre; de même aussi la ruine de deux voisins ou de l'un ou de l'autre peut créer un danger pour une nation. Le soin de sa propre sûreté autorise donc une nation à interposer ses bons offi

Wheaton, Histoire du Droit des gens, p. 262. Il n'est pas improbable que le projet de l'abbé Saint-Pierre ait suggéré au prince de Metternich quelques détails de son plan d'organisation de la diète de l'ancienne ConfédérationGermanique.

ces entre des nations en querelle. L'intervention d'une nation dans le but de prévenir une guerre entre deux autres nations est un acte d'un caractère tout à fait différent de l'intervention d'une nation dans les affaires intérieures d'une autre nation; tandis que ce dernier genre d'intervention est contestable en principe, comme constituant un empiètement sur les droits légitimes d'une communauté politique i dépendante, l'autre sorte d'entremise est uniquement en droit strict un procédé international, qui peut devenir le devoir impérieux d'une nation chaque fois que l'explosion d'une guerre l'oblige à prendre parti pour l'un ou l'autre des belligérants. Pufendorf' est d'avis que deux ou plusieurs nations neutres, si elles ont un intérêt commun à ce qu'une guerre se termine, peuvent légitimement s'entendre sur les conditions auxquelles la paix doit se conclure entre les parties belligérantes, puis dicter à celles-ci ces conditions d'arrangement, en les accompagnant d'un manifeste, par lequel elles se déclarent prêtes à unir leurs forces contre le belligérant qui refuserait ces conditions; or cette sorte de médiation est d'autant plus recommandable, si elle met fin à une guerre de nature à causer la perte de l'une des parties ou de toutes les deux à la fois. C'est suivant un principe semblable que la Russie, la France et la Grande-Bretagne se sont interposées comme médiatrices entre la Porte Ottomane et le peuple grec et ont assuré la reconnaissance par la Porte d'un royaume de Grèce, indépendant, sous leur garantie commune. Bynkershoek pense qu'une nation n'est pas autorisée à s'interposer entre d'autres nations et à les forcer à faire la paix; mais la pratique des nations est contraire à cette manière de voir, et un des exemples même que Bynkershoek cite semble plutôt favorable au droit d'interposition. La France, l'Angleterre et la Hollande s'unirent pour contraindre la Suède à faire la paix avec le Danemark

Droit de la nature et des gens, L. V, C. XIII, § 7. * Quæstiones juris publici, C. XXV, § 10,

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