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individus privés est, en général, de par le droit des gens positif, exempte de confiscation par un ennemi victorieux. D'autre part, une nation victorieuse entre en possession des droits publics de la nation vaincue, et le domaine national ainsi que le trésor national peuvent passer aux mains du vainqueur. Celui-ci peut disposer du domaine national au risque de l'acquéreur, dans le cas où la nation vaincue recouvrerait la possession de ses domaines; car ce n'est que par un traité de paix ou par l'entière soumission et l'extinction de la nation vaincue que se consomme l'acquisition de son domaine public par le vainqueur, et que le droit de propriété de ce dernier devient parfait. Une puissance neutre ne peut légalement entrer dans un pays conquis et l'acheter tant que la guerre continue; car il est incompatible avec la neutralité de fournir de l'argent à un belligérant victorieux pour le mettre en état de prolonger la guerre ; et si le neutre prenait possession de son acquisition et voulait la conserver au détriment de son propriétaire d'origine, il aiderait l'adversaire de celui-ci. Ainsi le roi de Prusse devint l'allié des ennemis de la Suède en recevant, par le traité de Schwedt du 6 octobre 1713, des mains du roi de Pologne et du czar de Russie, Stettin, que ces princes avaient pris sur les Suédois, et en consentant à le garder à titre de séquestre jusqu'à la conclusion de la paix. La conduite du roi de Prusse, qui ne se conciliait pas avec une juste neutralité, l'entraîna, peu après qu'il eût pris possession de Stettin, dans des hostilités avec la Suède. Mais, lorsqu'une nation vaincue, par le traité définitif de paix, cède un pays au conquérant, elle abandonne tous ses droits de possession, et le nouvel occupant a sur ce pays un titre imprescriptible, qu'il peut transférer à un tiers. Une nation victorieuse, en acquérant la souveraineté de facto sur un pays d'où elle a

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1 Manning, Law of Nations, Ch. VIII, p. 162.

* Vattel, Liv. III, Ch. XII, § 200. Martens, Précis, § 280. Klüber, § 256, Wheaton, Pt. IV, Ch. XII, § 5.

* Vattel, Liv. III, § 198. Scholl, Histoire abrégée des traités de paix, T. IV, p. 213.

chassé son adversaire, n'acquiert pas d'autres droits que ceux qu'y possédait le souverain expulsé; et, de par le droit de la guerre, il succède à ces drois tels qu'ils existent avec leurs limitations et leurs modifications. Aussi, dans les traités de paix par lesquels un territoire occupé par une nation victorieuse lui est formellement cédé, est-il d'usage que la puissance vaincue stipule que les habitants conserveront toutes leurs libertés et leurs immunités; et comme ces libertés et ces immunités sont des créations de droit civil, on stipule assez ordinairement que les lois civiles du peuple conquis seront maintenues, sous réserve de la faculté laissée au vainqueur de mettre en vigueur son propre droit criminel. Ainsi, quand la colonie hollandaise de la ville du Cap de Bonne-Espérance se rendit à la flotte anglaise en 1795, il fut stipulé, entre autres articles de la capitulation, que les lois hollandaises continueraient de fournir les règles d'interprétation de tous les contrats et de toutes les obligations civiles, en d'autres termes que les droits de propriété des habitants seraient réglés par les mêmes lois que précédemment.

67. Il est une catégorie de biens mobiliers appartenant à l'ennemi qui est exempte de capture et de confiscation par une puissance belligérante. Ce sont les papiers d'État, les archives publiques, les documents judiciaires et légaux, les titres de propriétés foncières, etc. Ces biens sont regardés comme inhérents à la souveraineté du pays et transférables avec elle; ils sont en quelque sorte un accessoire du domaine national. Lorsqu'une nation belligérante s'empare d'un pays ennemi, elle séquestre les revenus du domaine immobilier; mais elle ne peut légitimement aliéner le domaine même. C'est seulement quand la paix a été conclue et quand le titre du vainqueur a été reconnu par le vaincu, que le domaine public passe à la disposition absolue du vainqueur. Il en est de même de tous les objets mobiliers qui appartiennent au gouvernement d'un pays et sur lesquels le souverain exerce, pour les fins du gouver

nement, un entier contrôle; ils sont à la disposition absolue du vainqueur pour faire fonctionner le gouvernement, tant qu'il est en possession du pays; mais dans la pratique ils ne sont pas butin de guerre. Ils sont de la nature de preuves publiques ou de titres de droits; et comme, dans le cas des créances privées, le simple fait par le vainqueur de s'emparer des pièces se rapportant à des droits incorporels ne lui confère pas la possession des droits eux-mêmes, de même la possession de documents publics est une possession sans fruit pour le vainqueur, car ses droits, comme découlant de la force des armes, sont simplement ceux d'une possession de fait. Un belligérant qui permettrait à ses troupes de piller ou de détruire les archives de la nation ennemie, ou qui capturerait et emporterait comme butin de guerre les papiers d'État ou les documents judiciaires et légaux, ferait la guerre d'une manière nullement sanctionnée par la pratique moderne des nations. Le pillage et la destruction des archives publiques ne peuvent être d'aucun profit pour un belligérant ou seconder en rien les véritables fins de la guerre. Au contraire, ce pillage et cette destruction sont de nature à exaspérer la nation ennemie, comme étant une offense inutile qu'on lui fait; en outre, la perte de documents publics, qui forment les bases et les preuves des propriétés privées, peut causer un tort infini à des personnes innocentes. Par la même raison, le belligérant qui, contraint d'évacuer un pays ennemi, en emporterait les archives publiques et tenterait de les détacher de la souveraineté à laquelle elles appartiennent, commettrait un acte de barbarie insensé.

68. Relativement aux bibliothèques publiques et aux collections d'œuvres d'art, telles que tableaux, statues et autres formes de sculpture, les publicistes ne partagent pas tous l'avis que la pratique des nations interdit au belligérant la faculté de les saisir et de les emporter comme butin de guerre. Tous les écrivains jurisconsultes s'accordent bien

à reconnaître que détruire arbitrairement ces objets, ce serait violer les usages modernes de la guerre;' mais ils ne sont pas unanimes à admettre qu'il soit incompatible avec les usages de la guerre d'emporter ces objets comme butin. Les armées françaises, dans les guerres qui ont suivi la révolution de 1789, ont enlevé tous les chefs d'œuvre de goût et de génie qu'elles ont trouvés en Italie, en Hollande et dans d'autres pays ennemis, et qui étaient de nature mobilière. Dans quelques cas elles se les ont procurés au moyen de contributions forcées, et dans d'autres par des conventions expresses avec les États vaincus. Lors de leur entrée victorieuse à Paris en 1815, les puissances alliées ont trouvé ces trésors de l'art réunis dans les diverses galeries du Louvre et des autres musées. Il résulte d'une note remise par le vicomte de Castlereagh aux ministres des puissances alliées, et insérée aux protocoles de Paris du 11 septembre 1815, que le Pape, le grand-duc de Toscane, le roi des Pays-Bas et d'autres souverains « réclamèrent, par l'intervention des hautes puissances alliées, la restitution des statues, des tableaux et des autres œuvres d'art dont leurs États respectifs avaient été successivement et systématiquement dépouillés par le ci-devant gouvernement révolutionnaire de France, contrairement à tous les principes de la justice et aux usages de la guerre moderne. » A cette occasion lord Castlereagh, au nom de la Grande-Bretagne, exprima l'opinion que les œuvres d'art ont été invariablement respectées par les conquérants modernes comme étant inséparables des pays dont chacune d'elles est la propriété; et que les arracher des territoires, auxquels elles appartiennent était un acte blåmable de la part de la nation qui avait adopté un pareil principe de guerre. Par contre, les commissaires français, qui conclurent la convention militaire aux termes de laquelle les alliés prirent possession de Paris, paraissent

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1 Kent, Commentaries, vol. I, p. 93. Kluber, § 253. Vattel, Liv. III, § 168.

Martens, Nouveau Recueil, T. II, p. 632,

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avoir été d'avis que les alliés pouvaient justement prétendre exercer, comme belligérants, leur droit de dépouiller les galeries de Paris de leurs richesses de la même manière que les armées françaises avaient exercé leur droit de spoliation dans les pays qu'elles avaient envahis; car ils proposèrent d'insérer dans la convention un article qui assurerait à la France les trésors de l'art qu'elle avait amassés. Mais le prince Blucher ne voulut pas y consentir au nom de la Prusse, et le duc de Wellington le rejeta dans l'intérêt des autres puissances. Le duc de Wellington fut d'opinion « que les alliés, ayant justement en leur pouvoir les objets renfermés dans le musée, ne pouvaient faire autrement que de les restituer aux pays d'où, contrairement aux usages qui régissent la guerre chez les nations civilisées, ils avaient été enlevés pendant la période désastreuse de la révolution française et de la tyrannie de Bonaparte. » Les puissances alliées se conformèrent à cette manière d'envisager les droits de la guerre, et leur conduite peut être regardée comme l'affirmation pratique de leur part du principe: que les collections publiques d'oeuvres d'art, selon les usages modernes des nations civilisées, ne sont pas du butin de guerre. Les auteurs américains qui ont écrit sur le droit public ne sont pas entièrement d'accord avec les publicistes européens à ce sujet. Wheaton n'émet aucune opinion. arrêtée; il se contente de citer un discours prononcé à la Chambre des Communes, le 20 février 1815, par sir Samuel Romilly, qui exprime son mécontentement à l'égard de la conduite des puissances alliées en 1815, laquelle ne lui semblait pas absolument conforme à la justice. Toutefois les observations de Wheaton tendent en faveur d'une pratique moins rigoureuse. Le général Halleck, de son côté,

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Dépêche du duc de Wellington au vicomte de Castlereagh. Paris, 23 septembre 1815. Martens, N. R., II, p. 642.

Wheaton, Elements, Part. IV, Ch. II, § 6.

3 Hansard's Parliamentary debates, fév. 20, 1815. Life of Romilly, vol. II, p. 404 Halleck, International law, Ch. XIX, § 10.

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