Page images
PDF
EPUB

soutient qu'un juge impartial, après avoir mûrement examiné les circonstances qui se rattachent à la formation et à la spoliation du riche musée du Louvre, doit conclure que de telles œuvres d'art sont de légitimes trophées de la guerre, ou bien que la conduite des puissances alliées en 1815 a été une violation directe du droit des gens. Il est, dit-il, impossible d'éviter l'une ou l'autre de ces conclusions. Quoi qu'il en soit, une cour de prises anglaise, dans un cas où étaient en jeu des intérêts américains, a appliqué le droit des gens dans le même sens libéral que Lord Castlereagh avait exprimé la pensée du gouvernement anglais. Pendant la guerre de 1812, une collection de gravures et de tableaux italiens ayant été capturés par un navire anglais dans leur trajet d'Italie aux Etats-Unis, le savant juge Sir Alexander Croke,1 de la cour de la vice-amirauté d'Halifax, les fit rendre à l'Académie des Arts de Philadelphie, << par la raison que les arts et les sciences sont reconnus chez toutes les nations civilisées comme faisant exception aux droits rigoureux de la guerre et ayant droit d'être favorisés et protégés : ils sont considérés non comme le peculium (le bien particulier) de telle ou telle nation, mais comme la propriété du genre humain tout entier, et comme appartenant aux intérêts communs de toute l'espèce; par la raison aussi que la restitution de ce genre de propriété à ceux qui le réclamaient serait conforme au droit des gens, tel qu'il est pratiqué par tous les pays civilisés. »

69. Les usages modernes de la guerre exemptent d'une destruction arbitraire les édifices publics qui font honneur à la société humaine et n'accroissent pas la force de l'ennemi, tels que les édifices religieux, les monuments publics, les dépôts d'art et de science, les hôpitaux et les établissements de charité, en un mot toutes les constructions publiques consacrées exclusivement à des usages ci

1 The marquis de Somerueles. Stewart's vice-admiralty reports, p. 482 (April, 21, 1813).

[ocr errors]

vils.' Il peut survenir des cas où la destruction de ces bâtiments soit le résultat accidentel ou nécessaire des opérations militaires. Mais c'est l'habitude, même dans les opérations de siège, que l'assiégeant évite de diriger le feu de son artillerie contre les églises et les hôpitaux de la ville assiégée. Chez les nations payennes les choses qualifiées de sacrées res sacræ n'étaient pas exemptées de capture et de confiscation; mais la lutte entre les adorateurs des divinités du paganisme était censée impliquer un conflit entre ces divinités elles-mêmes; ou dans les cas où les parties belligérantes adoraient les mêmes dieux en commun, les dieux étaient censés avoir abandonné les temples de la nation vaincue au moment où la victoire se déclarait en faveur de la partie adverse. Cicéron définit exactement le sentiment du monde payen, quand il dit que « la victoire a rendu profanes toutes les choses sacrées des Syracusains. >>2 Mais de nos jours un ennemi chrétien respecte également les mosquées des sectateurs de Mahomet et les temples des adorateurs de Bouddha comme des édifices religieux, aussi bien que les édifices de ceux qui croient au Christ, qu'il adore lui-même. Il en est de même relativement aux édifices publics d'un caractère civil; si les usages modernes en ont sanctionné la destruction sans nécessité, c'a été par voie de rétorsion vindicative ou de représailles. Ainsi, lorsque les forces anglaises, en 1814, détruisirent le Capitole, la maison du Président et d'autres édifices publics à Washington, l'amiral anglais, pour justifier un pareil acte, invoqua le motif de représailles par réciprocité des dévastations effrénées auxquelles les troupes des États-Unis s'étaient livrées dans le Haut Canada. La correspondance entre le secrétaire M. Monroe et l'amiral Cochrane à ce sujet est intéressante et instructive; car elle montre que des deux

Vattel, Liv. III, § 168. Grotius, Liv. III, Ch. XII, § II, 3.

Cic. Orat. in Verrem, 4.

* American State papers, T. III, p. 693, 694. Wheaton's Elements, Part. IV, Ch. II, § 6.

côtés on considérait de semblables actes comme anormaux et impliquant une dérogation à la pratique ordinaire de la guerre chez les nations civilisées. Il est à regretter que la Grande-Bretagne ait en cette occasion usé de représailles en nature; car la loi du talion n'est pas la règle de la guerre moderne; et si l'une des parties belligérantes s'est mise dans son tort en ayant recours à des mesures exceptionnelles, l'équilibre ne peut se rétablir légitimement par le recours à des mesures identiques et par la perpétration d'une faute analogue de la part de l'adversaire. Lorsque le prince Blucher, lors de l'entrée des puissances alliées dans Paris, proposa de faire sauter le pont d'Iéna et de renverser la colonne d'Austerlitz, il voulait user de représailles contre la nation française pour les actes excessifs de destruction et de dévastation qu'elle avait fait souffrir à la nation prussienne; mais les puissances alliées eurent la sagesse et la prudence de résister à ce désir. L'empereur François d'Autriche a donné l'exemple d'une conduite plus sensée à propos de l'Arc de Triomphe du Simplon, que l'Empereur Napoléon avait fait élever à Milan en commémoration de ses victoires sur les Autrichiens. L'histoire de ces victoires était reproduite dans une série de bas-reliefs, dont le dernier représentait Napoléon dictant la paix à l'empereur d'Autriche à Vienne. L'empereur François ordonna de compléter la série historique des bas-reliefs; et maintenant sur l'arc de triomphe, en face du bas-relief représentant l'empereur Napoléon dictant la paix aux Autrichiens à Vienne, on en voit un qui représente l'abdication de Napoléon à Fontainebleau, laquelle a eu lieu plus tard.

[ocr errors]

70. Il existe une sorte de propriété mobilière appartenant à l'ennemi, qui invariablement, qu'elle soit de nature privée ou de nature publique, est traitée comme butin de guerre, si on la trouve sur le territoire ennemi. Quelle que soit la modération dont le belligérant victorieux use à l'égard des propriétés privées sur terre, il exerce jusqu'à

l'extrême limite le droit de saisie et de confiscation contre les navires qui peuvent se trouver dans les ports ennemis. Pour expliquer l'exercice de ce droit extrême du belligérant à cet égard, M. Hautefeuille fait observer que les marins sont la partie la plus robuste et la plus courageuse de la population d'un pays, et que les navires sont de nature à devenir des instruments de guerre ou du moins à servir aux fins de la guerre; aussi la capture et la destruction de ce genre de propriété tendent-elles directement à affaiblir la force militaire de l'ennemi et à le réduire à la nécessité de faire la paix; ce serait donc un acte d'humanité contestable que d'en prohiber la destruction. Cependant la même raison ne saurait être invoquée avec autant de force pour justifier la capture et la confiscation des chargements, qui se trouvent à flot dans les ports et sont la propriété de citoyens privés. Quant à la différence qu'on observe ainsi dans la conduite des belligérants confisquant les propriétés privées qui sont à flot, tandis qu'ils épargnent les propriétés privées des sujets ennemis sur terre, on peut en chercher l'explication dans le fait que la propriété à flot est, au moment de la capture, employée effectivement à favoriser le commerce et la navigation de l'ennemi, justement regardés comme les sources et les instruments de sa force navale, dont la destruction ne peut se consommer d'une façon efficace que par la capture et la confiscation de ce genre de propriété privée, attendu que l'État s'engage rarement, si même il le fait jamais, dans des entreprises de commerce.' C'est par des considérations analogues qu'un chargement appartenant à des ennemis et trouvé à flot dans le port d'une nation belligérante au moment où la guerre éclate est confiscable jure belli, tandis que la propriété ennemie sur terre n'est pas, d'après les usages modernes, susceptible de confiscation.

1 Wheaton, Elements, Part. IV, Ch. II, § 7.

Tw. - II.

11

71. La propriété ennemie capturée sur terre, et proprement dite butin de guerre, est soumise à la compétence d'une autorité juridique différente de celle qui décide toutes les questions de captures sur mer, proprement dites prises de guerre. Le jugement de celles-ci ressortit aux cours de l'Amirauté, en vertu de la juridiction exercée dans les anciens temps par le grand amiral de la flotte, tandis que la connaissance de celles-là appartient à la branche de la juridiction militaire qu'exerce le commandant en chef d'une armée en campagne. Les cours de l'Amirauté, selon l'usage des gens, ne se mêlent pas de questions de butin. Dans les premiers temps, en Angleterre, les causes concernant le butin étaient jugées à la Cour de Chevalerie, par devant le connétable et le maréchal du roi. Lord Hale' fait remarquer qu'en matières civiles hors de la compétence du droit commun, la juridiction militaire continue d'être en vigueur aussi bien après que durant la guerre ; car cette partie de la juridiction du connétable et du maréchal est encore maintenue, nonobstant la fin de la guerre, en ce qui regarde le droit de captivité et de butin, les engagements militaires, etc. C'est pourquoi nous voyons la Cour de Chevalerie juger des questions relatives aux marchandises capturées au-delà des mers, aux prisonniers, aux otages, aux rançons, etc.; et le statut 13 Richard II c. 2, en limitant la juridiction de cette cour aux choses et aux engagements se rapportant à la guerre, qui ne peuvent être jugés selon le droit commun, a prescrit que sa procédure serait régie par les lois et les coutumes de la guerre. Après l'abolition des fonctions de grand connétable d'Angleterre dans la treizième année du règne de Henri VIII, on contesta la juridiction de la Cour de Chevalerie en faisant valoir que le comte maréchal seul n'était pas compétent pour tenir la cour; et il paraît que cette juridiction a fini par tomber en désuétude. La der

[ocr errors]

1 De prærogativa regis, Ch. XII, § 3. Crompton, On the jurisdiction of Courts. Rymer, Fod., VIII, p. 211 et 423.

Lindo v. Rodney, 1 Douglas, p. 593. The army of the Deccan, 2, Knapp, p. 149..

« PreviousContinue »