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ble ne saurait déterminer le droit d'un belligérant de s'emparer d'un navire ou de son chargement sur la haute mer, et le caractère de la propriété devient ainsi la justification de ce qu'elle est saisissable par le belligérant pour se récupérer de ses préjudices et de ses dépenses, en même temps qu'elle atteste le droit qu'il a de s'en emparer.

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74. Si l'on remonte jusqu'à la législation ancienne de la mer, nous trouvons une distinction juridique établie entre les navires armés et les navires marchands. Un navire armé pouvait simplement naviguer sur la haute mer ou être en course. S'il était en course, il était occupé à exercer des représailles ou à faire la guerre, l'expression employée dans l'origine dans les lettres de marque étant la même que dans l'ancien formulaire des déclarations de guerre, lequel enjoint à tous les sujets de courir sus à l'ennemi. Mais cette expression avait été empruntée à un état de choses encore plus reculé, au temps où la police sur la haute mer était faite et entretenue par des associations volontaires de commerçants. Dans l'état de sauvage anarchie auquel la navigation de la haute mer fut exposée après la destruction de l'empire romain, lorsque les corsaires normands infestaient la Mer du Nord et la Baltique et que les Sarrasins et les Grecs couvraient la Méditerranée de navires se livrant à la piraterie, tous les bâtiments marchands naviguant sur la haute mer avec un chargement de quelque valeur couraient risque d'être pillés. C'était en vain que le commerçant pillé adressait sa plainte au souverain du pays où les navires des pirates avaient été armés: le souverain était ou trop faible pour faire justice des criminels, ou de connivence avec eux. C'est pourquoi les commercants furent obligés de s'associer entre eux pour assurer leur mutuelle protection; et leurs navires naviguaient par flottes, dont le chef était choisi à l'élection et portait le nom d'amiral. La règle de ces associations était, en premier lieu, la défense mutuelle, et, en second lieu, la participation

en commun à toutes les prises qui pouvaient être faites dans la pratique de cette défense mutuelle. Chaque navire faisant partie d'une flotte était tenu d'obéir à l'amiral non seulement comme commandant dans les batailles, mais aussi comme juge dans le partage des prises faites sur l'ennemi. Les usages de ces associations dans leurs expéditions contre les pirates car elles organisaient parfois des flottes de navires armés tout exprès pour courir sus aux pirates (per la guerra del corso) - finirent peu à peu par devenir les usages des nations dans leurs opérations de guerre sur la haute mer. Voici comment ce résultat paraît s'être produit: des princes indépendants ne répugnaient pas à enrôler à leur service les flottes armées de ces associations volontaires, lorsque l'occasion se présentait d'attaquer un ennemi sur mer, ou que la nécessité surgissait de se défendre contre une attaque par mer. Ainsi il existait à Pise une association commerciale appelée les Umili, qui était constituée sur le modèle d'un État indépendant' et faisait la guerre et des conquêtes avec une marine militaire lui appartenant. Elle prêta son aide puissante aux princes de l'Autriche en 1188 et en retour obtint d'eux des privilèges spéciaux pour la Compagnie. Mais, en acceptant les services des flottes armées de cette association de commerçants et d'autres du même genre, les princes souverains jugèrent à la fois nécessaire et convenable de les laisser observer les règles auxquelles elles étaient accoutumées à se conformer dans les opérations des expéditions maritimes qu'elles faisaient pour leur propre compte, et plus particulièrement celles de ces règles qui étaient basées pour la plupart sur les principes du droit naturel : c'est ainsi que les usages maritimes

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1 La Compagnie anglaise des Indes Orientales a été, dans les temps modernes, un exemple frappant d'une association volontaire de commerçants exerçant, entre autres attributions d'un Etat indépendant, le droit de faire la guerre et la paix.

Muratori, Antiq. Ital. medii ævi, Tome II, col. 910 et seq. Pardessus, Tome II, Introduction, p. 127,

de ces associations de commerçants ont été peu à peu sanctionnés par les diverses nations, et sont devenus le droit coutumier de la mer.

75. — La nécessité de la continuation par ces associations volontaires de commerçants de faire la police sur la haute mer à l'aide de flottes armées, équipées à leurs frais et soumises à une juridiction d'amirauté qui leur était propre, a cessé peu à peu, à mesure que les princes souverains se sont imposé le devoir d'exercer eux-mêmes une juridiction suprême d'amirauté, qui, dans le cours du XIIIème siècle, finit par être considérée chez les principaux États de l'Europe comme une prérogative du pouvoir souverain. Au XIVème siècle nous voyons naître la coutume que les princes souverains interdisent à leurs sujets de se faire justice eux-mêmes sur la haute mer, à moins qu'il ne leur ait été préalablement accordé des lettres de marque et de représailles; et au XVème siècle on peut dire que c'était une loi désormais établie entre les nations qu'un croiseur armé devait être pourvu de lettres de marque ou de lettres patentes revêtues du sceau d'un prince souverain et sous forme de commission, pour être autorisé à exercer le droit de faire des représailles ou la guerre. Les conditions auxquelles devaient s'accorder ces lettres de représailles et ces commissions pour faire la guerre prescrivaient que tout ce qui serait pris par le croiseur armé serait soumis à un jugement public de la Cour de l'Amirauté: ainsi la Cour de l'Amirauté est devenue une cour internationale des prises, et les règles qui avaient été adoptées pour le règlement des guerres maritimes pendant qu'elles étaient pratiquées par les associations volontaires de commerçants sous le contrôle d'un amiral élu, sont devenues les règles des guerres maritimes entre les nations et ont formé le droit que les hautes cours d'amirauté ont appliqué au jugement des questions relatives aux prises opérées sur la haute mer. La procédure de ces cours a été instituée selon les meilleurs modèles fournis

par le droit romain, et les règlements de la procédure en matière de prises au XVème siècle sont identiques à la pratique des temps modernes. L'observation d'un système uniforme chez les nations a été confirmée par des traités, dont les articles avaient un caractère de déclarations; au nombre de ces traités celui de Boulogne,' conclu entre Charles VIII de France et Henri VII d'Angleterre le 24 mai 1497, mérite surtout d'être signalé, comme étant un exposé complet de la procédure en matière de prises à cette époque. '

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76. Une des plus anciennes collections des Coutumes de la mer, est renfermée dans le livre du Consulat de la Mer, compilation faite au XIVème et au XVème siècle pour l'usage des consuls de la mer à Barcelone. Les Jugements de la mer, ou, comme on les nomme plus communément, les

'Robinson, Collectanea maritima, p. 83. III, part. 1, p. 376.

Dumont, Traités, Tome

Le dixième article de ce traité prescrit que les tribunaux municipaux seront empêchés d'entraver la libre action de la Cour de l'Amirauté en matière de prises.

3 Les deux plus anciens manuscrits qu'on connaisse des Coutumes de la mer sont conservés à la Bibliothèque nationale de Paris. Ils sont rédigés dans l'ancienne langue catalane, et la première partie de l'un d'eux est écrite en écriture du XIVème siècle et sur du papier de la même époque. Dans le second des deux manuscrits il y a un certificat, attesté par le scribe du consulat de la mer de Barcelone et en certifiant le contenu. La Bibliothèque Nationale possède aussi le seul exemplaire qu'on connaisse de l'editio princeps de « Lo Libre de Consolat del Mar», qui est aussi en catalan et a été imprimé à Barcelone en 1494. Dans l'introduction du Black book of the Admiralty (Appendix, vol. III, p. 34) on trouve une analyse complète des manuscrits barcelonais et de l'editio princeps de 1494.

* Les deux plus anciens manuscrits qu'on connaisse des Jugements de la mer sont conservés dans les archives de l'Hôtel de ville de la Cité de Londres. Ils sont en langue anglo-normande, écrits sur parchemin et en écriture du commencement du XIVème siècle. Le texte de ces deux manuscrits se compose de vingt-quatre articles, identiques aux articles des Lois d'Oléron, qui font partie du texte du Black book of the Admiralty. Une version espagnole de ces jugements, sous le titre de « El fuero de Layron », existe dans un manuscrit dn XVème siècle, conservé à la Bibliothèque de l'Escurial en Espagne on y voit que la cinquième partie des siete partidas du roi Alphonse X de Castille, achevée en 1266, a été rédigée sur le modèle de ces jugements. Plusieurs auteurs éminents, in

Jugements d'Oléron, sont d'une date plus reculée, car on en trouve des traces historiques au milieu du XIIIème siècle, si même on n'a pas la certitude historique que la compilation en a été faite dans la dernière partie du XIIème siècle.

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Quoi qu'il en soit, les Jugements de la mer n'ont trait qu'à des matières commerciales en temps de paix, tandis que les Coutumes de la mer contiennent plusieurs chapitres traitant de questions entre les navires armés des belligérants et les navires marchands des neutres, ainsi que de questions soulevées entre les propriétaires des navires et les propriétaires des chargements, par suite de l'exercice des droits de la guerre par des belligérants sur la haute mer. Ces Coutumes de la mer formaient une branche importante du droit que les consuls de la mer étaient requis, aux termes d'ordonnances royales, rendues en différentes occasions au commencement du XIVème siècle, d'appliquer dans les diverses cours maritimes établies dans les possessions des rois d'Aragon; elles sont d'une plus haute ancienneté que le Livre du Consulat lui-même, dans lequel elles nous ont été transmises jusqu'à notre époque, de même exactement que les Lois d'Oléron sont d'une plus haute ancienneté que le Black book of the Admiralty, dans lequel elles sont insérées. L'apparition dans ces Coutumes de plusieurs chapitres traitant de questions se rattachant aux guerres maritimes s'explique par cette double considération: d'abord, que le système

duits en erreur par l'ouvrage de Cleirac sur « Les us et coutumes de la mer, ont confondu les anciens Jugements de la mer avec une version qui en a été faite en quarante-six articles et a été publiée pour la première fois au commencement du XVIème siècle par Pierre Garcie, dit Ferrande, dans Le Grant Routier de la mer; ce Garcie déclarait lui-même l'avoir extraite « du très utill et profittable Roolle Dolayron»; et c'est par suite de cette confusion que ces auteurs ont erronément attribué aux Jugements de la mer une origine relativement moderne et plus récente que celle du Livre du consulat de la mer.

Ch. 231. D'un navire marchand pris par un navire armé.—Ch. 213. Si un navire marchand rencontre un navire ennemi. Ch. 245 D'un navire capturé et recapturé. Black book of the Admiralty.Appendix, vol. III, p. 539, 601, 611.

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