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de décision, dans le but à la fois de fournir aux tribunaux une règle uniforme et d'avertir les neutres de la nature de cette règle. » Le même juge, en commentant l'application par les tribunaux français des lois concernant les prises selon les instructions de ces ordonnances, ajoute « qu'ils ne considéraient pas ces ordonnances comme des lois positives obligatoires pour les neutres; mais ils s'y référaient comme établissant des présomptions légitimes, desquelles ils se croyaient autorisés à déduire la conclusion, à laquelle il leur était nécessaire d'arriver avant d'avoir droit de prononcer une sentence de condamnation. »>

79. La règle du Consulat de la Mer a été explicitement incorporée dans la jurisprudence des États-Unis et la Cour Suprême a déclaré qu'elle était un exposé exact de l'usage des nations. « La règle, dit le grand juge Marshall, que les marchandises ennemies trouvées à bord d'un navire ami sont prise de guerre, et que les marchandises amies trouvées sur un navire ennemi doivent être restituées, passe pour faire partie du droit des gens primitif, tel qu'il est reconnu généralement et peut-être universellement. Cette règle est fondée sur ce principe simple et intelligible: que la guerre confère le plein droit de capturer les biens d'un ennemi, mais ne donne pas le droit de capturer les biens d'un ami. Dans l'exposé pratique de ce principe, de manière à en former la règle, il faut nécessairement admettre la double doctrine que le pavillon neutre ne constitue pas un titre de protection pour la propriété ennemie, et que le pavillon belligérant ne communique point un caractère hostile à la propriété neutre. Le caractère de la propriété, éliminé distinctement et séparément d'autres considérations, ne dépend à aucun degré du caractère du véhicule dans lequel elle est transportée. M. Wheaton parle dans le même sens : « Quel que soit le véritable principe originaire abstrait du droit naturel 1 Marshall on insurance, Vol. I, p. 423.

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2 The Nereide, 9 Cranch's (American) Reports, p. 418.

sur ce point, il n'est pas possible de nier que l'usage constant et la pratique des nations belligérantes depuis les temps les plus reculés ont soumis à capture et à condamnation comme prise de guerre les marchandises de l'ennemi trouvées sur des navires neutres. Cet usage constant et universel n'a été interrompu que par des stipulations de traités formant une loi conventionnelle temporaire entre les parties signataires de ces stipulations ». 1 Le chancelier Kent affirme pareillement que « c'est un principe bien établi du droit des gens que les navires neutres ne procurent pas un titre de protection à la propriété ennemie, et qu'elle peut être saisie, si elle est trouvée à bord d'un bâtiment neutre au delà de la limite de la juridiction neutre. 2 « C'est aussi un principe du droit des gens relatif aux droits des neutres: que les effets des neutres trouvés à bord des navires ennemis doivent être libres; et c'est un droit aussi entièrement et aussi fermement établi que l'autre, quoique, comme ce dernier, on y apporte de fréquents changements par des arrangements positifs. Le principe se trouve dans le Consolato del Mare, et la propriété neutre doit être restituée sans aucune compensation pour la détention et les autres inconvénients se rattachant à la capture. Les anciennes ordonnances françaises de 1543, de 1584 et de 1681 déclaraient cette propriété de bonne prise, et Valin justifie les ordonnances en alléguant que le neutre, lorsqu'il place sa propriété à bord d'un navire ennemi, favorise le commerce de l'ennemi et consent à partager le sort du navire. Mais il est amplement démontré, et d'une manière satisfaisante, par l'opinion unanime des auteurs modernes que le neutre a le droit parfait de profiter du navire de son ami pour trans

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1 Elements of International Law, Part. IV, Ch. 3, § 19.

* Commentaries on American Law, T. I, § 124.

3 Le chancelier Kent fait allusion à la traduction italienne du Consulat de la Mer.

Comm. sur l'Ordonnance de la Marine. L. III, tit. IX. Des prises, art. VII.

porter sa propriété; et Bynkershoek a consacré un chapitre entier à soutenir la justice et l'équité de ce droit. 1

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80. Le droit des gens commun, qui déclare bonne prise de guerre la propriété ennemie trouvée sur la haute mer à bord d'un navire ami, prescrit en même temps que l'armateur du navire ami ne doit éprouver aucun préjudice du fait qu'un belligérant se fasse justice lui-même en confisquant la propriété de son ennemi. Si l'armateur d'un navire ami est simplement chargé de transporter des effets de l'ennemi sur la haute mer et ne cherche par aucun moyen à esquiver ou à entraver les perquisitions du croiseur belligérant, dans le but de soustraire le chargement à la capture, sa conduite n'est pas contraire aux règles de la neutralité ; et la raison indique que le neutre, qui s'est chargé du transport, ne doit, dans le cas de la confiscation du chargement par le belligérant, encourir aucune perte, en raison du fait que le voyage, qui à son début était parfaitement inoffensif, s'est terminé prématurément dans l'intérêt du belligérant. Si donc un croiseur belligérant arrête un navire marchand neutre au cours de son trajet sur la haute mer et réclame que le chargement, comme étant propriété ennemie, lui soit remis,ou, selon le cas, soit conduit dans un port,le belligérant est tenu de payer à l'armateur du navire neutre un fret dans de justes proportions pour le transport du chargement. Le belligérant n'a aucun motif de plainte contre l'armateur du navire neutre, tant que celui-ci tient une conduite parfaitement impartiale en pareilles circonstances ses droits comme belligérant ne peuvent être exercés que contre son ennemi; et s'il s'empare de la propriété de celui-ci jure belli, il n'en prend pas possession dans des conditions meilleures que celles auxquelles l'ennemi puisse la réclamer lui-même,

1 Quæstiones juris publici. Liv. I, Ch. 14. Ratione consulta, non sum qui videam cur non liceat capere res hostiles, quamvis in navi amica repertas; id enim capio quod hostis est, quodque jure belli victori cadit Kent's Commentaries, T. I, p. 128.

c'est-à-dire sous la responsabilité du fret à payer pour elle. Cependant il a été fait en faveur du belligérant la distinction qu'on ne lui impose pas un prix déraisonnable pour un voyage évidemment aventureux, quoique ce prix pût ne pas outrepasser les bornes de l'équité, s'il se réglait entre l'armateur du navire ennemi et celui du navire neutre. Des considérations de diverses natures peuvent avoir influencé les parties qui ont passé le contrat d'affrètement et avoir rendu la convention d'un taux de fret élevé réelle et sincère entre elles; mais le fret, en tant que charge imposée aux capteurs belligérants, ne tombe pas sous le coup de ces considérations. Le capteur est tenu en effet de payer une rémunération équitable pour le transport du chargement dont il s'est emparé, en vertu du droit que l'état de guerre lui confère contre son ennemi ; mais la charte-partie n'est pas toujours prise pour mesure des obligations du capteur, même lorsque ce document ne laisse place à aucun doute, ni prétexte à aucune imputation de fraude. Par exemple, tel ou tel commerce peut être exposé à des risques et périls extraordinaires en raison des points de rapport qu'il a avec les événements de la guerre et par suite de l'activité et des succès des croiseurs belligérants; or il serait déraisonnable que le capteur fût requis de remplir un engagement de payer un prix extraordinaire pour une tentative dont le but spécifique serait d'encourager l'armateur du navire neutre à faire tous ses efforts pour déjouer la vigilance du capteur. Le taux du fret établi pour le transport de marchandises semblables dans les circonstances ordinaires est la base d'après laquelle doivent s'évaluer les engagements du capteur belligérant envers l'armateur du navire neutre. 1

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81. Le droit conventionnel de l'Europe, jusqu'au commencement du XVIIème siècle, paraît avoir été, presque uno tenore, la confirmation de la règle du Consulat de la

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Vattel, Droit des gens, L. III, Ch.7, § 113,116. - The Twilling Riget, 5. Ch. Robinson, p. 82.

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Mer que les marchandises ennemies trouvées à bord d'un navire neutre sont de bonne prise. C'est au Grand Pensionnaire De Witt qu'est due l'introduction du principe du pavillon neutre couvrant le chargement; l'acte par lequel cet homme d'État a posé les fondements de la nouvelle doctrine de « navire libre, marchandises libres » a été le traité de Paris, conclu le 18 avril 1646 entre la Hollande et la France, aux termes duquel Louis XIV consentit à ce que pendant quatre ans les navires hollandais chargés de propriété ennemie, qui ne serait pas de la contrebande de guerre, seraient, avec leurs chargements, exempts de capture. Les termes dans lesquels ce traité est rédigé sembleraient appuyer la signification que lui prêtait De Witt: qu'il stipulait la complète liberté du commerce de transport hollandais; mais De Witt trouva, à son grand étonnement, que les Français interprétaient le traité comme stipulant simplement la suspension temporaire de l'ordonnance du roi Henri III de 1584, d'après laquelle les marchandises ennemies faisant partie du chargement d'un navire neutre infectaient le reste du chargement et le navire même, dont elles entraînaient la condamnation à titre de bonne prise. Dans l'espace de quelques années les Hollandais obtinrent l'adhésion de l'Espagne, en 1650, et du Portugal, en 1661, à la clause que les marchandises ennemies trouvées à bord d'un navire neutre devaient être libres, tandis que les marchandises neutres trouvées à bord d'un navire ennemi devaient être de bonne prise. En 1662 (27 avril) les Hollandais réussirent à engager la France à conclure un traité d'une portée identique à celle des traités qu'ils avaient précédemment conclus avec l'Espagne et le Portugal. Vers la même époque l'Angleterre avait contracté

' Dumont, Traités, T. VI, Part. I, p. 342.

2 Art. 1. En telle sorte que les navires qui trafiqueront avec la patente de l'Amiral des Provinces-Unies..... seront libres et rendront aussi toute leur charge libre, bien qu'il est dedans de la marchandise, même des grains et légumes appartenans aux ennemis, sauf et excepté toutefois les marchandises de contrebande.

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