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tient. Cette déduction paraît, en premier lieu, forcée et trop raffinée pour pouvoir servir de base à une conclusion sérieuse; bien plus, elle renferme des contradictions dans ses propres termes. Un navire, disent ceux qui avancent cette proposition, est une partie de l'État auquel il appartient, comme le démontre évidemment le fait qu'en mer il est soumis à la juridiction de cet État. Or aucune nation n'a juridiction sur le territoire d'une autre nation; mais du moment qu'un navire marchand entre dans le port d'un État auquel il n'appartient pas, il passe sous la juridiction de ce dernier État. Cela démontre qu'un navire marchand ne saurait être considérée comme faisant partie du territoire d'un État, car s'il possède à certain moment ce caractère, il doit le posséder en tout temps. Le fait qu'un navire en mer est soumis à la juridiction de l'État sous le pavillon duquel il navigue, est une règle très raisonnable et avantageuse; s'ils n'étaient pas assujettis à la juridiction de leur État, envers qui les équipages des navires en mer seraient-ils responsables? et s'ils n'étaient justiciables d'aucun tribunal, la mer serait un lieu où tous les crimes pourraient se commettre impunément. Mais il est difficile de s'imaginer comment on peut de là déduire la conséquence qu'un navire fait partie du territoire de son État. La fiction est complètement détruite par la réfutation que nous venons d'en faire; mais d'autres raisons se réunissent pour faire voir le peu de consistance qu'a cette assertion. Si un navire fait partie du territoire de l'État dont ses armateurs sont citoyens, on ne saurait permettre d'enlever de son bord de la contrebande de guerre à destination d'un ennemi, puisque pareille capture ne serait pas permise, si les marchandises de contrebande se trouvaient sur un territoire neutre. Autre objection: si des navires neutres transportent les soldats de notre ennemi, il ne serait pas permis de les faire prisonniers, puisque nous ne devons pas attaquer le territoire neutre. Ni l'un ni l'autre de ces arguments ne sont d'aucune valeur, ou ils n'aboutissent qu'à l'absurde - reductio

ad absurdum. Pour échapper à la contradiction, il faut nier le droit de recherche et de saisie des marchandises de contrebande, si l'on revendique sur ce terrain le droit de protéger les marchandises ennemies. » M. Manning aurait pu pousser plus loin encore cet exposé des conséquences nécessaires de la théorie territoriale; il aurait pu ajouter qu'on doit nier aussi le droit de blocus, si les navires neutres participent au caractère inviolable du territoire neutre.

90. Si nous recherchons l'origine du pavillon marchand, nous la trouvons, paraît-il, dans un règlement de la législation municipale des États agissant individuellement, et non dans une institution du droit maritime général. Le passeport ou la lettre de mer, selon les cas, est le titre formel qui garantit le caractère national du navire. Le passeport est censé être une réquisition de la part du gouvernement d'un État de laisser passer librement le navire avec son équipage, ses passagers, ses effets et ses marchandises, sans empêchement, saisie ou entrave, comme étant possédé par des citoyens ou des sujets de tel ou tel État."

Oke Manning's commentaries on the law of Nations, Ch. VI, § 1, p. 209.

La meilleure définition du passeport a été donnée par d'Abreu (part. I, c. 2), qui fait judicieusement observer qu'il couvre quelquefois le chargement aussi bien que le navire; mais qu'il indique le nom de l'endroit où il a été construit, le nom du capitaine et le lieu de sa résidence. D'Abreu donne aussi une définition de la lettre de mer, qu'il décrit comme ayant la même rédaction que le passeport. La différence entre eux paraît consister en ce que, tandis que le passeport se délivre au nom de l'autorité souveraine ou de l'Etat, la lettre de mer est octroyée au nom des autorités civiles du port où le navire a été équipé. Le modèle d'une lettre de mer est annexé au traité des Pyrénées de 1659, par lequel il a été stipulé que les navires libres devaient rendre les marchandises libres. Cette lettre est intitulée « Litteræ Salvi Conductus » ; et la portée et les effets en sont ainsi définis à l'article 17 du traité même : « Ex quibus non solum de suis mercibus impositis, sed etiam de loco domicilii et habitationis, ut et de nomine lam domini et magistri navis quam navigii ipsius constare queat: quo per duo hacce media cognoscatur, an merces vehant de contrebande, et sufficienter tam de qualitate quam de domino et magistro dicti navigii constet. His litteris salvi conductus et certifica

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« Le premier papier », dit sir W. Scott, « que nous examinons ordinairement comme preuve de la propriété, c'est le passeport. » Le même juge éminent dit dans une autre occasion: « C'est une règle connue et bien établie relativement à un navire, que s'il navigue en vertu d'un passeport d'une nation étrangère, il est considéré comme possédant le caractère national de la nation en vertu du passeport de laquelle il navigue. Il fait partie de sa marine, et est sous tous les rapports sujet à être considéré comme un navire de ce pays. » Le passeport ou la lettre de mer était jusque dans ces derniers temps indispensable pour garantir un navire neutre d'être inquiété par les croiseurs belligérants. C'était le seul papier dont tinssent quelque compte les corsaires des États Barbaresques, comme garantissant que le navire était sous la protection des engagements, que chacun d'eux avait contractés par des traités avec les puissances européennes. Si un navire est pourvu d'un passeport ou d'une lettre de mer, peu importe qu'il ait ou n'ait pas à bord un pavillon marchand. Ce pavillon n'est pas par lui-même un garant du caractère national des armateurs du navire. Une ancienne loi de la ville de Lubeck (A. D. 1299) obligeait tout citoyen de Lubeck, qui était patron d'un navire, à hisser le pavillon de Lubeck, sous peine d'une amende de trois

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tionibus plena fides habebitur. » Dans le traité de Copenhague conclu le. 11 juillet 1870 entre la Grande Bretagne et le Danemark, la lettre de mer est appelée certificat; et il est stipulé que les navires de l'un et de l'autre confédéré seront porteurs de lettres de passeport et d'un certificat, dont les formules sont données dans le corps du traité. Cette lettre de mer ou ce certificat s'étendait au chargement.

1 The Hoop, 1, Ch. Rob, p. 130.

The Vigilantia, 1, Ch. Rob, p. 13.

3 On trouve dans Reeves's History of the law of shipping,pt. III, p. 423, une histoire de ces passeports pour la Méditerranée.

Pardessus, Lois maritimes, T. III, p. 411. « Tout patron, bourgeois de Lubeck, sera tenu d'arborer le pavillon Lubeckois, sous peine d'une amende de trois marcs d'argent au profit de MM. les sénateurs de la ville de Lubeck, à moins qu'il n'en soit empêché par des obstacles de force majeure, ou par des dangers auxquels sa personne ou son navire seraient exposés. >>

marcs d'argent, au profit des sénateurs et de la ville de Lubeck. Un règlement analogue avait été édicté par la ville de Hambourg (mutatis mutandis) relativement aux patrons de navires qui étaient citoyens de Hambourg (A. D. 1270). D'autre part, à une date encore plus reculée, entre 1253 et 1255, on trouve une loi de la ville de Marseille, ordonnant que tous les navires appartenant à des hommes de Marseille seraient tenus de hisser le pavillon de la municipalité de Marseille surmonté d'une croix, et que ceux des citoyens de Marseille qui étaient propriétaires (domini) de navires ne pouvaient ni ne devaient hisser sur leurs navires, dans le port de Marseille ou ailleurs, aucunes armoiries ou aucun pavillon d'une autre communauté civile, mais seulement le pavillon de la municipalité de Marseille, excepté en terre de Syrie, où ces citoyens de Marseille, qui ont dans ce pays des privilèges spéciaux distincts de ceux des autres citoyens, peuvent hisser un autre pavillon sur leurs navires, pourvu aussi qu'ils hissent toujours en même temps le pavillon de la municipalité de Marseille. Ainsi il paraîtrait que dans l'origine le pavillon marchand avait une signification douteuse, car il pouvait indiquer soit le caractère national du capitaine ou du patron du navire, soit le caractère national de l'armateur; mais le passeport ou la lettre de mer était toujours une preuve du caractère du propriétaire, c'està-dire qu'il servait à prouver si le navire était la propriété d'un ennemi ou d'un ami. C'est par ce moyen que Bynkershoek justifie le droit d'un croiseur belligérant de visiter un navire neutre, afin qu'il soit établi par les papiers de bord, à part le pavillon, que ce navire est propriété neutre. Mais les incidents juridiques de la possession, en ce qui regarde

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1 Pardessus, Lois maritimes, T. IV, p. 272.

* Emerigon dit, dans son Traité sur les assurances (C. VII, § 5) : « Ils appellent aussi capitaine celui qui commande un navire marchand destiné à un long voyage; mais les personnes qui commandent des barques de commerce ou de navires marchands ne faisant pas de longs voyages sont appelés sur l'Océan maîtres, et sur la Méditerranée patrons. »

le navire, sont tout à fait inconciliables avec la doctrine qu'un navire fait partie du territoire de la nation dont il porte le pavillon. Selon le droit maritime général, un navire peut être possédé par parts ou actions, et il n'y a rien dans le droit maritime qui empêche qu'un navire appartienne par parts à des citoyens de différents États. De plus, quoiqu'il entre quelquefois dans la politique d'un État d'exclure complètement les étrangers du droit de posséder une part d'un navire autorisé par la loi municipale de cet État à en arborer le pavillon marchand, cependant ce n'est pas là la règle invariable, et dans quelques cas la loi municipale d'un État permet aux actionnaires ou aux co-propriétaires d'un navire marchand d'être citoyens de différents pays. Toutefois, dans un de ces cas, le croiseur belligérant a droit d'examiner le passeport ou la lettre de mer du navire, et les tribunaux de prises ont jugé que le navire est investi du caractère que lui impose l'autorité du gouvernement de laquelle émane le passeport ou la lettre de mer. 1

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91. Aux yeux d'un belligérant, un navire marchand est considéré simplement comme un véhicule transportant des marchandises sur mer à destination d'un marché, ou en sortant. C'est pourquoi, suivant le droit commun des gens, si le véhicule et les marchandises se trouvent être propriété ennemie, le belligérant en prend possession jure belli ; si, au contraire, le navire appartient à un ami et que le chargement soit propriété ennemie, le belligérant relève le porteur de sa charge, en même temps qu'il l'indemnise pour le transport des marchandises. Un autre cas peut encore se présenter c'est que le navire appartienne à un ennemi et le chargement à un neutre; alors le belligérant prend possession du navire, tandis qu'il restitue le chargement au négociant neutre. Il peut arriver aussi que le navire et le chargement soient l'un et l'autre propriété neutre, mais à destination

The Vreede Scholtys, cité dans une note relative au Vrow Elizabeth,5, Ch. Rob, p. 5.

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