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le 21 mai 1659, au moment où la Suède était sur le point de le subjuguer entièrement. L'extinction de la vie internationale d'un État, que toutes les autres nations ont intérêt à voir continuer d'exister comme membre de la famille des nations, est un événement au sujet duquel toutes les nations peuvent réclamer le droit de se prononcer et, s'il leur plaît, de prendre les armes pour l'empêcher. La guerre entre des nations, en ce sens qu'elle impose aux autres les devoirs de la neutralité, est une lutte en vue de faire triompher le droit, et non de consommer la ruine de l'une ou l'autre des parties. Grotius' soutient que la guerre peut être justement entreprise par une nation contre une autre qui poursuit sa vengeance et dépasse la mesure équitable du châtiment et de la réparation. Tel serait le cas lorsqu'une nation puissante, sous le prétexte d'avoir été offensée par une nation faible, déclarerait la guerre à celle-ci et irait jusqu'à la subjuguer, l'offenseur étant prêt à donner une réparation suffisante. Dans de semblables circonstances une nation serait justifiée d'offrir sa médiation pour prévenir la guerre; et comme le recours aux armes de la part de la nation la plus puissante serait sans excuse légitime après que l'offre d'une réparation complète eût été faite par l'offenseur, une puissance médiatrice serait en pareil cas autorisée à s'interposer pour contraindre l'État le plus puissant à demeurer en paix. Une guerre entreprise dans ces circonstances serait une guerre injuste de la part de la nation puissante; et il est à toutes les époques du devoir des nations de s'interposer pour arrêter la perpétration de l'injustice, attendu que dans une guerre injuste toutes les nations peuvent légitimement prendre parti pour la nation qui est injustement attaquée.

8. Il n'est pas toujours aisé pour une tierce puissance qui offre sa médiation entre deux puissances en contesta

1 De jure belli, L. II, C. XX, § 40.

tion de les convaincre toutes les deux de la droiture de ses intentions en offrant cette médiation, et de conserver un caractère d'impartialité, si elle conseille à l'une ou à l'autre de rabattre quelque chose de ses prétentions. C'est pourquoi, entre deux nations, lorsqu'une guerre menace d'éclater, il devient opportun, en l'absence nécessaire d'un tribunal constitué devant lequel puisse être portée la plainte d'une nation pour être jugée, que deux ou plusieurs nations offrent, pour maintenir la paix, leur médiation commune. Grotius' pense qu'il serait non seulement utile, mais qu'il est nécessaire à quelques égards que les puissances chrétiennes tiennent de temps à autre des congrès, où les contestations qui s'élèvent entre quelques-unes d'elles puissent être réglées par d'autres qui sont désintéressées, et que des mesures puissent être prises pour contraindre les parties à accepter la paix à des conditions équitables. La pratique des puissances souveraines de l'Europe, depuis la paix de Westphalie, a été de coopérer à une politique de médiation dans toutes les occasions où il y avait danger probable de voir troubler d'une façon effective l'équilibre des puissances établi par les traités d'Osnabruck et de Munster. Un système de concert européen a été ainsi entretenu depuis cette époque, sauf de légères interruptions, par des conférences ou des congrès des puissances européennes. Un congrès est une assemblée de plénipotentiaires nommés pour trouver des moyens de conciliation, pour discuter et régler les prétentions respectives des parties contractantes, qui doivent toujours être invitées à prendre part aux délibérations du congrès. Un exemple de cette forme de médiation commune est fourni par les conférences de Vienne, commencées le 15 mars 1855, et dans lesquelles l'Autriche, la France et la Grande-Bretagne tâchèrent de s'entremettre entre la Russie et la Porte Ottomane en vue de prévenir une guerre entre

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ces puissances et d'amener un règlement amiable de leurs différends dans l'intérêt général de l'Europe. Les plénipotentiaires des deux puissances contestantes prirent part aux conférences; les efforts du congrès n'ayant pas réussi à assurer la paix, les puissances médiatrices se mirent du côté della puissance qui dans leur opinion avait été attaquée à tort.

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9. Il est du devoir d'une nation, quand elle élève une prétention juridique sur une chose qu'elle ne posséde pas, de bien fonder sa demande. La possession, en droit des gens, crée le droit d'empêcher qu'on ne la trouble, à moins qu'il ne puisse être démontré que l'origine en est illégitime. Il s'ensuit qu'on ne saurait justifier la conduite d'une nation qui troublerait par la force des armes une autre nation qui est en possession d'un territoire, si le réclamant n'a qu'un titre incertain ou douteux; mais un réclamant en pareil cas a le droit de contraindre le possesseur, même par la force des armes, s'il est nécessaire, à entamer une discussion amiable de la question de droit, ou à la soumettre à l'arbitrage dans le but de régler le point en litige par un accord. Si, d'autre part, un différend surgit entre deux nations au sujet d'un tort éprouvé par l'une d'elles, la partie lésée doit suivre une règle de conduite analogue, à moins qu'elle ne soit convaincue que son adversaire ne maintiendra pas avec sincérité sa proposition d'une réparation amiable, ou que le retard résultant de la discussion de la lésion ne ferait que l'exposer à un plus grand danger dans le cas d'un appel aux armes. « Cette modération», dit Vattel, « est d'autant plus convenable, indispensable même pour l'ordinaire, que l'action que nous prenons pour une injure ne procède pas toujours d'un dessein de nous offenser, et tient quelquefois plus de la faute que de la malice. Souvent même il arrive que l'injure est faite par des individus sans autorisation de

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1 Martens, N. R. gén., XV, p. 633. - De Clercq, Traités, t. VI, p. 506. Vattel, L. II, § 338.

Ja nation dont ils sont membres; et dans ces occasions il est naturel de présumer qu'on ne nous refusera pas une juste satisfaction. » Les exemples sont fréquents de souverains qui ont refusé de soutenir les injustices commises par leurs sujets à l'égard des sujets d'autres princes souverains et n'ont pas jugé déroger à leur indépendance en accordant réparation d'un tort, sur une plainte qui leur était adressée. Il est parfaitement compatible avec la bonne foi d'une nation qui a reçu une injure de faire des préparatifs de guerre, tout en essayant d'obtenir réparation au moyen de négociations pacifiques; car on doit présumer que la guerre sera une alternative nécessaire, si les négociations amiables échouent; et le droit de sûreté personnelle justifie une nation de prendre des mesures pour se mettre en garde contre toute surprise hostile.

10. - Quand une nation ne peut obtenir d'une autre nation justice soit du déni d'un droit, soit d'une lésion, elle est autorisée à se faire justice elle-même, dans le premier cas par la rétorsion, et dans le second par les représailles. Quand un souverain n'est pas satisfait de la manière dont ses sujets sont traités par les lois et les usages d'une autre nation, il est le maître de déclarer qu'il usera envers les sujets de cette nation du même droit dont elle use envers les siens. C'est ce que Vattel' appelle «rétorsion de droit ». « Il n'y a rien là », dit-il, « que de juste et de conforme à la saine politique. Nul ne peut se plaindre de ce qu'il est traité comme il traite les autres. >>

Kluber a établi une distinction entre la rétorsion de fait (retorsio facti) et la rétorsion de droit (retorsio juris). Il limite l'application du dernier terme aux questions de convenances internationales par opposition aux questions de droit. Cette distinction ne paraît guère avoir de valeur pratique ;

1 Rétorsion de droit, L. II, § 341. Retorsio juris, Wolfii Jus gentium, § 582.

• Kluber, § 234.

elle tend plutôt à engendrer la confusion. Il peut être vrai que pour les offenses contre la courtoisie internationale une nation n'ait d'autre remède que de tenir, par réciprocité, une conduite discourtoise à l'égard de la nation qui l'a offensée; il n'est pas clairement démontré en effet qu'une violation des convenances mutuelles soit un juste sujet de guerre,' attendu que toute nation doit être en définitive son propre juge quant à la nature et à la mesure des convenances ou de la courtoisie qu'elle a à observer envers les autres nations. Mais il y a nombre de droits pour le déni desquels le remède propre entre nations consiste dans la revanche passive, ou, en d'autres termes, la rétorsion. Ainsi, si un souverain défend aux sujets d'un autre l'accès aux ports de son territoire pour y faire un commerce pacifique, ce dernier souverain peut en toute justice imposer la même interdiction aux sujets du premier relativement à ses propres ports. Mais l'interdiction de tout commerce ne serait pas seulement contraire aux mutuelles convenances; ce serait le déni d'un droit naturel, car la prohibition totale du commerce serait contraire à la nature de la société humaine, en empêchant les hommes, comme dit Saint Ambroise, de participer aux biens que leur commune mère a répandus partout pour le profit de tous. Cependant une nation en pareil cas n'aurait pas raison de recourir à la guerre. De même, si une nation se plaît à accorder aux sujets d'une autre nation des privilèges particuliers sur son territoire, quoiqu'il puisse être contraire à l'équité naturelle d'exclure les sujets des autres nations de la jouissance des mêmes avantages, cette exclusion ne constitue pas un tort dont le redressement doive être opéré par la force des armes; elle justifierait seulement la rétorsion ou une revanche passive. Des mesures actives, selon la loi du talion dans son sens complet, n'ont pas lieu entre nations; car une nation n'a pas le droit d'étendre le

1 Grotius, L. II, Ch. XXII, § 16.

Grotius, L. II, Ch. II, § 18.

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