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gularisé la pratique du blocus; et c'est pour atteindre ce but que, le 26 juin 1630, sur l'avis de leurs Cours de l'Amirauté, ils ont publié une ordonnance exigeant que trois choses soient prouvées avant qu'un navire neutre soit confisqué avec son chargement par un jugement de ces cours, savoir: 1° l'existence d'un blocus de fait (de facto); 2o la notoriété du blocus; 3o l'intention manifeste de violer le blocus. (Robinson, Collectanea maritima, p. 158, suprà, § 101).

La nation hollandaise a donc, pour ainsi dire, un titre héréditaire pour élever la voix contre l'incorporation dans le droit de blocus de la théorie de la continuité des voyages, puisqu'il en résulterait pour les tribunaux de prises la faculté générale de regarder tout port neutre comme un port bloqué par interprétation. Il est présumable que les juges de la Cour Suprême des États-Unis n'avaient pas prévu toute la gravité des entraves que la doctrine du blocus par interprétation autoriserait à imposer au commerce des neutres, et qu'ils ne se sont pas rendu compte de ce fait : qu'il est impos sible, d'après la nature des choses, de trouver dans les papiers de bord ou dans les connaissements du chargement, aucune preuve excluant un transbordement éventuel du chargement sur un autre navire à destination d'un port bloqué après la livraison de ce même chargement au port de la destination réelle du navire. Jusqu'à présent ç'a été un axiome du droit qui régit les prises maritimes : que, en ce qui concerne un chargement mixte à bord d'un navire de commerce, le manifeste et les connaissements sont les meilleurs témoignages de la propriété et de la destination du chargement. C'est au feu lord Kingsdown, qui présida la haute cour d'appel anglaise chargée de prononcer sur les affaires de prises pendant la guerre de Crimée, que revient particulièrement l'honneur d'avoir, avec une équité inconnue au tribunal des prises à l'époque de lord Stowell, appliqué aux bâtiments neutres le droit de blocus, qu'un ancien juge de la haute Cour anglaise de l'Amirauté, le très-honorable D' Lushington, qui avait souvent plaidé dans des affaires de prises

devant lord Stowell, regardait comme trop favorable aux neutres. La Cour Suprême des États-Unis avait aussi l'habitude, à une époque antérieure, de modeler sa jurisprudence en matière de prises sur les règlements des tribunaux de prises anglais, règlements qui, ainsi que l'a fait observer un des plus éminents jurisconsultes des États-Unis, le juge Story (Wheaton's Admiralty Reports, vol. I, Appendix, p. 494), sont conformes à la jurisprudence de la France et des autres pays de l'Europe sur la même matière. Il serait profondément regrettable que, par rapport au droit de blocus, les tribunaux de prises des deux pays suivissent dorénavant des lignes différentes, et que, tandis que la haute cour d'appel anglaise s'efforce de rendre le droit de blocus moins onéreux pour les neutres en en mitigeant l'application avec une plus large équité, la Cour Suprème des Etats Unis d'Amérique courrait risque de le rendre intolérable en astreignant les neutres, propriétaires de marchandises chargées à bord des navires, à fournir un surcroît de preuves, qu'il est contraire à l'équité naturelle d'exiger d'eux, et en sanctionnant ce principe, de conception nouvelle, qu'un chargement peut être condamné pour violation de blocus, tandis que le navire mème sur lequel ce chargement est transporté est libéré de tout soupçon de se rendre dans un port bloqué.

J'ai examiné le cas particulier du Springbok d'une manière un peu minutieuse. Il y a, en effet, des écrivains qui sont d'avis que l'application de la vapeur à la navigation a tellement facilité les violations de blocus que les belligérants sont autorisés par les nécessités mêmes des guerres maritimes à imposer au commerce des neutres des restrictions plus absolues; mais la doctrine de la continuité prospective d'un voyage enlève toute sécurité au commerce neutre. Sans énumérer, attendu que le nombre en est très considérable, les jurisconsultes européens,' qui se sont prononcés contre

'Parmi ceux qui ne sont pas Anglais, on peut citer Calvo, Arthur Desjardins, membres de l'Institut de France; Geffcken, l'éditeur de Heffter; Tw. - II. 17

le jugement de la Cour Suprême des États-Unis dans l'affaire du chargement du Springbok, je ferai remarquer que deux membres de cette cour, le juge Samuel Nelson et le juge Clifford, l'un et l'autre éminents par leurs connaissances en droit maritime, n'ont pas approuvé les conclusions de leurs collègues; et parmi les jurisconsultes des États-Unis les plus autorisés on peut citer les noms de W. Beach Laurence, l'éditeur de Wheaton; l'honorable W. Maxwell Evarts, autrefois secrétaire d'État, et le docteur Francis Wharton, membre de l'Institut de Droit International, qui vient de publier un Digeste du droit international des ÉtatsUnis en trois volumes (Washington, Government Printing Office, 1886). Tous ces publicistes sont unanimes pour déclarer que la condamnation du chargement du Springbok est un empiètement injustifiable sur le commerce des neutres. En présence de cette réprobation générale et du blâme même de ses propres autorités, n'est-on pas en droit de nourrir l'espoir que le gouvernement des États Unis d'Amérique n'a pas l'intention de faire entrer cette théorie fantastique de la continuité prospective du voyage dans sa législation générale sur les prises de guerre, et que la doctrine du blocus par interprétation sera reléguée dans le domaine des chimères, comme un fantôme qui peut avoir un charme séduisant pour l'oreille du belligérant, mais qui l'entraînerait par une route rétrograde à abandonner les traditions, jusqu'ici vénérées, d'une civilisation libérale et progressive.

118. Une puissance belligérante a la faculté de limiter les opérations du blocus, pourvu que cette limitation s'applique également à toutes les nations neutres. Ainsi les commandants de la flotte française et de la flotte anglaise établirent le blocus des bouches du Danube, dans le but d'empêcher qu'on apportât des provisions dans les ports

Perels, conseiller référendaire à l'Amirauté de Berlin ; Charles de Boeck, (De la propriété privée ennemie, 1882); Faucille (Du Blocus, 1882).

russes sur ce fleuve. Ils interdirent en conséquence aux navires de toutes les nations neutres d'entrer dans le fleuve :

« Nous, soussignés, vice-amiraux, commandant en chef les forces navales combinées de France et d'Angleterre dans la Mer Noire, déclarons, par la présente, au nom de nos gouvernements respectifs, et portons à la connaissance de tous ceux que la chose peut intéresser, que nous avons établi le blocus effectif du Danube, afin d'arrêter tout transport d'approvisionnements aux armées russes.

« Sont comprises dans le blocus toutes celles des embouchures du Danube qui communiquent avec la Mer Noire; et avertissons par les présentes tout bâtiment de toute nation qu'ils ne pourront entrer dans ce fleuve jusqu'à nouvel ordre.

« Le vice-amiral, commandant en chef l'escadre française, HAMELIN.

<< Fait à Baltchik, 1er juin 1854. »

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« Le vice-amiral, commandant en
chef l'escadre britannique,
G. W.DUNDAS.

Encore un autre précédent : lorsque la Grande-Bretagne établit le blocus des ports du continent européen depuis Brest jusqu'à l'embouchure de l'Elbe, ce blocus devait être limité dans ses effets par la division de cette étendue des côtes en deux parties celle allant d'Ostende à l'embouchure de la Seine devait être considérée comme étant sous le blocus le plus rigoureux, tandis qu'on devait laisser le reste de la ligne ouvert à la navigation des navires neutres chargés d'autres marchandises que de contrebande de guerre ou de marchandises appartenant à l'ennemi, lorsque ces navires n'auraient pas été chargés dans un port possédé ou occupé par les ennemis de la Grande-Bretagne, ou, d'autre part, ne se rendraient pas dans ce port venant des côtes bloquées, et pourvu que ces navires n'eussent pas auparavant violé le blocus. Cet ordre fut encore restreint davan

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1 Sammlung Officieller Actenstücke in Bezug auf Schiffahrt und Handel in Kriegszeiten, v. p. 13, Hambourg, 1854.

Oke Manning's Law of Nations, p. 332.

tage le 15 septembre 1806 par une notification, annonçant que le blocus était levé sur la partie des côtes s'étendant de l'Elbe à l'Ems inclusivement.

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119. Lord Stowell, dans le cas du Byfield, a fait observer qu'une licence, rédigée en termes généraux et ayant pour objet d'autoriser un navire à emporter d'un des ports ennemis ou à y transporter un chargement, ne l'autorise pas à entrer dans un port ennemi qui est sous blocus, ou à en sortir. Pour qu'un port bloqué soit exempté des restrictions inhérentes à l'état de blocus, il faut qu'il soit spécialement désigné dans la licence comme jouissant de cette exemption; autrement, un port bloqué doit être regardé comme faisant exception à la description générale que contient la licence. 1 Cette assertion de lord Stowell paraît être jusqu'à un certain point en contradiction avec l'opinion qu'il avait émise antérieurement dans le cas du Hoffnung," où il prétendit que, quand une licence avait été accordée à certains navires, conformément à l'autorité donnée à Sa Majesté en conseil en vertu d'un acte du Parlement, pour importer de la laine d'Espagne des ports de la Hollande, la portée de cette licence allait jusqu'à protéger ceux qui s'en servaient contre les effets d'un blocus qui avait été notifié le même jour où avait été accordée la licence. « Je pense », dit lord Stowell en cette circonstance, « que je suis tenu de présumer qu'il a été entendu que les parties auraient entièrement l'avantage d'importer ces marchandises sans entrave en raison d'un blocus qui ne pouvait pas être inconnu du haut personnage sous l'autorité et au nom duquel la licence a été octroyée. J'ajouterai que je pense que cette licence exerce une influence essentielle sur quelques autres licences qui avaient été accordées précédemment ; car quand je vois que le blocus n'a pas été considéré comme une rai

'The Byfield, Edwards, p. 188, 9 déc. 1809.

The Hoffnung, 2. Ch. Rob. p. 162. 30 Aug. 1799. The Juno, 2 Ch. Rob. p. 116.

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