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rauté sous le règne de cette reine avaient contribué les premiers à donner de la précision au catalogue des bona prohibita (marchandises prohibées). La suite de la seconde proclamation du roi Charles indique de quelle peine était puni le transport de ces marchandises prohibées : « Et en conséquence, si une personne quelconque, trois mois après la publication des présentes, vient, par un des navires de Sa Majesté ou par un navire d'un de ses sujets autorisés à cet effet, à être pris faisant voile vers les endroits susmentionnés et ayant à bord quelques-unes des susdites choses, ou en revenant par le même voyage après avoir déchargé ou livré les dites marchandises prohibées, Sa Majesté tiendra pour bonne prise les navires et les marchandises ainsi capturés, et les fera adjuger comme dûment confisqués; en agissant ainsi, Sa Majesté ne met en pratique aucune innovation, puisque le même mode de procéder a été suivi et les mêmes peines ont été infligées jusqu'à présent par les autres Etats et Princes dans les occasions analogues : ce qui a été confirmé et soutenu par des apologies et des écrits publics, de sorte que Sa Majesté y est jusqu'à un certain point contraint par les proclamations émanant du roi d'Espagne et de l'archi-duchesse, dans lesquelles les mêmes peines et de plus sévères encore sont édictées contre ceux qui porteront ou auront porté sans restriction de semblables denrées dans les domaines de Sa Majesté. » Il paraîtrait, d'après les deux proclamations qui précèdent, qu'on se prévalait de l'usage des princes pour justifier le droit d'un belligérant d'infliger des peines aux marchands neutres pour avoir prêté aide à un ennemi en portant des munitions de guerre à bord de ses navires ou sur ses possessions. Il importe donc d'examiner quel était cet usage des princes au commencement du XVIIe siècle.

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124. Le docteur Zouch, dans son traité sur le droit

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1 Rymer, Fœdera, T. XVIII. p. 856. ritima, p. 63.

Robinson's Collectanea ma

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fécial,' publié au commencement du XVIIe siècle, en discutant la question de savoir s'il est licite d'intercepter les marchandises amies en cours de transport à un ennemi: « An res amicorum ad hostes transeuntes intercipere liceat? », rend compte succinctement d'une entrevue, qui est aussi relatée par Camden, entre l'ambassadeur du roi Sigismond de Pologne et la reine Elisabeth d'Angleterre. L'ambassadeur, au nom du roi son maître, se plaignit en termes très véhéments d'une violation du droit des gens, commise par Sa Majesté la Reine en défendant aux marchands polonais de porter leurs marchandises dans les ports espagnols, et demanda ensuite la restitution des marchandises qui avaient été capturées par les croiseurs anglais, et, pour l'avenir, la parfaite liberté de navigation pour se rendre par mer en Espagne. La reine Elisabeth, après avoir d'abord adressé à l'ambassadeur le reproche, qu'on connaît: « qu'Elle avait été grandement déçue, car, s'étant attendue à recevoir un ambassadeur, Elle s'était trouvée en présence d'un héraut », ajouta «En ce qui regarde le droit des gens, vous devez savoir que, quand la guerre a éclaté entre des rois, il est licite pour l'un ou l'autre belligérant d'intercepter toute aide ou toutes provisions qui sont envoyées à son adversaire, et de veiller à ce qu'il n'en résulte aucun tort pour soi-même. Cela, je vous le dis, est conforme au droit naturel et au droit des gens, et n'a pas été fait par nous seule, mais par les rois de Pologne et de Suède dans leurs guerres contre les Moscovites ».

Juris et judicii fetialis, sive juris inter gentes et quæstionum de eodem explicatio. Oxon, 1634.

2 Camdeni Hist. Eliz., anno 1597.

3 Quam decepta fui! Legatum expeclavi, heraldum inveni ». Zouch, p. 128.

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Quod tu jus gentium prætendis, scire debes, exorto inter reges bello, licere uni parti auxilia vel subsidia ad alteram partem missa intercipere et providere ne damni quicquam inde sibi accidat. Hoc nos dicimus naturæ et gentium juri esse consentaneum et non a nobis solum, sed etiam a Poloniæ Sueciæque regibus factitatum in bellis quæ cum Muscovitis gesserunt. P. 128.

Il ressort des annales du règne de cette reine qu'à plusieurs reprises elle justifia la capture des navires et des marchandises des neutres en marche vers un pays ennemi, en alléguant que les lois de la guerre autorisaient à capturer ces navires et leurs chargements. Nous en avons un exemple des plus remarquables à l'occasion de la capture, en 1589, d'une flotte de 60 navires appartenant aux Villes Hanséatiques, et qui portaient en Espagne du blé et des munitions navales. La Confédération Hanséatique prétendit que la capture de ses navires et de leurs chargements avait eu lieu en violation de ses anciens privilèges. En réponse la reine Elisabeth fit observer que le blé à bord des navires de la Confédération était confisqué en toute justice, puisqu'elle les avait prévenus de n'avoir à transporter aucunes provisions à un prince, qui s'était déclaré l'ennemi notoire de son royaume ; que d'ailleurs, dans les diplômes de privilèges accordés aux marchands de la Confédération Hanséatique par les prédécesseurs de Sa Majesté, il était stipulé spécialement qu'ils ne devaient point porter de marchandises aux ennemis notoires de son royaume; - qu'ils avaient été avertis précédemment, par des lettres royales signées de Sa Majesté et par le Conseiller de la Confédération Hanséatique résidant à Londres, de n'avoir point à transporter du blé ou d'autres munitions militaires navales en Espagne ou au Portugal, et qu'en ne tenant compte ni de la prohibition ni de l'avertissement, ils étaient eux-mêmes les auteurs de leur perte; que si la Confédération Hanséatique n'avait pas fourni au roi d'Espagne des vivres et d'autres munitions de guerre, il n'aurait pu soutenir les hostilités et empêcher le rétablissement de la paix en Europe, et que les provisions fournies par la Confédération au roi d'Espagne l'ont mis plus à même de poursuivre la guerre contre l'Angleterre et le Pays de Galles et de tenter de subjuguer ces deux contrées pour en faire une province espagnole ; - que le mode de procéder de la Couronne d'Angleterre n'était nullement nouveau, puisqu'il existait de nombreux cas dans

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lesquels les marchands de la Ligue Hanséatique, ainsi que ceux d'autres pays, avaient été empêchés de la même manière par diverses puissances européennes de faire du commerce avec l'ennemi, et qu'il y avait des précédents du fait de la Ligue Hanséatique elle-même, qui, se trouvant engagée dans une guerre, avait imposé des conditions analogues aux sujets des États neutres. '

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Il paraîtrait, d'après la teneur d'une très ancienne ordonnance française (1543) qu'au XVI° siècle le roi de France. prétendait à exercer le droit d'empêcher le transport de munitions de guerre au pays ennemi dans les navires neutres, sans avoir égard à aucune obligation, prise par traité de la part de ces neutres, de s'abstenir d'un pareil commerce; car il autorise expressément ses sujets à s'emparer de ces munitions de guerre et à les amener dans ses ports pour y être adjugées comme prise aux capteurs : « Mais pourront nozdits alliez et confédérez faire leur traficque par mer dedans navires qui soient de leur obéissance et sujection et par leurs gens et subjets, sans y accueillir nos ennemis et adversaires; lesquels biens et marchandises ainsi chargées ils pourront conduire et mener où bon leur semblera, pourveu que ce ne soyent munitions de guerre dont ils voulsissent fortifier nozditz ennemis; auquel cas nous avons permis et permettons à nos dits subjects les prendre et amener à nos ports et havres, et les dites munitions retenir selon l'estimation raisonnable, qui en sera faite par nostre dit admiral ou son lieutenant. >>

1 Cette réponse est citée in extenso dans une lettre du 2 juillet 1599, adressée par M. le secrétaire Cecil à sir Henry Nevile, ambassadeur d'Angleterre à Paris, lettre qui se trouve dans les Mémoires de Windwood, vol. 1, p. 57. Elle mérite d'être lue, car elle renferme un exposé complet de la manière dont l'Angleterre envisageait le droit en pareilles matières, et son texte montre combien le sens en a été faussé par plusieurs écrivains, qui l'ont représentée comme une tentative de réduire l'Espagne par la famine. Consulter Causes célèbres du droit des gens, par le baron Charles de Martens, II, p. 334.

Lebeau, Code des prises, T. I, p. 17.

125. L'usage établi de l'Europe au milieu du XVIe siècle semble avoir été que les puissances belligérantes interdisaient à tous les marchands de porter des munitions. de guerre à bord des navires ou sur les territoires de leurs ennemis et confisquaient tous les navires chargés de munitions de ce genre, s'ils étaient pris sur la haute mer dans le cours de leur trajet pour se rendre au pays ennemi. Albéric Gentil, en commentant la légitimité de la capture d'un navire anglais pris par des croiscurs sardes et maltais, lorsqu'il se dirigeait vers Constantinople avec un chargement de marchandises diverses, parmi lesquelles se trouvaient quelques barils de poudre, et qui était en jugement devant une Cour de l'Amirauté espagnole, fait observer que <«< la capture était justiciable de par le droit civil, le droit canon et le droit des gens, ainsi que de par les conventions existant entre l'Angleterre et l'Espagne. » En effet le droit civil tenait pour crime passif de la peine capitale la fourniture aux Barbares d'huile, de vin ou de toute munition de guerre. Le droit canon défendait également à tous les chrétiens de fournir des munitions de guerre aux Sarrasins. D'autre part, la pratique suivie par l'Angleterre à l'égard des marchands des Villes Hanséatiques, à qui elle ne permettait pas de porter des provisions à l'Espagne, témoignait en faveur du droit des gens, tandis que le traité de 1604, conclu entre Philippe III d'Espagne, l'archiduc Albert et son épouse Isabelle, et Jacques Ier d'Angleterre, obligeait chacune des parties contractantes à ne pas fournir ou à ne pas consentir à laisser ses sujets fournir aux ennemis des autres des soldats, des provisions, de l'argent, des instruments ou des munitions de guerre, ou des secours de

Hispanicæ advocationes, L. I, Ch.20.

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Cod. Liv. IV, Tit XLI. Quæ res exportari non debeant, C. 1 et 2. Concil. Lateran. III, anno 1179 (Alexander III). Decretal. Greg. IX, L. V, Tit. VI, C. 12, anno 1190. Concil. Lateran. IV, anno 1215 (Innocent. III). Extravag. Joann. XXII, Tit. VIII (anno 1316). Bulla Cœnæ Domini, C. 7.

Albericus Gentilis, De jure belli, Liv. I, Ch. 21.

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