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des Pays-Bas, pendant leur guerre avec l'Espagne en 1599, publier un édit (placaart), qu'ils portèrent à la connaissance de tous les rois et de toutes les nations, par lequel ils défendaient à tous les marchands de porter aux Espagnols des provisions ou toutes autres marchandises quelles qu'elles fussent, sous peine d'être traités en ennemis. L'historien nous informe que le roi de France Henri IV ordonna à ses sujets de se soumettre à cet édit pendant six mois, et que les autres puissances de l'Europe passèrent outre en silence. Mais il paraît, d'après une lettre de sir Henry Nevile à M. le secrétaire Cecil, que le gouvernement anglais considérait cet édit des États-Généraux comme étant un «< effet de grande nécessité, qui n'avait point de loi. » 2

127.- La pratique générale des belligérants, telle qu'elle ressort des édits (placaarts) et des ordonnances publiés par diverses puissances dans la dernière partie du XVI siècle, montre que les États belligérants se considéraient, s'ils le jugeaient nécessaire pour assurer un dénouement avantageux de la guerre dans laquelle ils étaient engagés, comme étant en possession du droit d'interdire aux neutres de fournir des provisions à leur ennemi. Cette pratique avait l'appui de certains publicistes, qui soutenaient que le droit du belligérant en pareil cas était un droit naturel d'un caractère public, qui devait avoir le dessus sur le droit privé d'un marchand d'exercer son commerce. « Jus commerciorum æquum est », dit Albéric Gentil, « sed hoc æquius tuendæ salutis; est illud gentium jus, hoc naturæ est ; est illud privatorum, hoc est regnorum. » Ces opinions des publicistes du XVI° siècle ont été commentées par Azuni et Lampredi. Le premier de

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Grotius, Hist. de rebus belgicis, L. VIII. Per edictum vetant populos quoscunque alios commeatus resve alias in Hispaniam ferre : si qui secus fecerint, ut hostibus faventes, vice hostium futuros.

2 Cette lettre porte la date de Paris 15 mai 1599. O. S., et se trouve dans Winwood's Memorials, Vol. I, p. 23.

De jure belli, Comment. I.

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ces auteurs dit : « Des publicistes posent en principe qu'une nation a le droit complet et parfait d'affaiblir indéfiniment les forces de son ennemi, de déjouer tous les moyens que son ennemi peut employer pour conserver ou augmenter ses forces, et même d'empêcher toute autre nation de faire avec son ennemi un commerce qui pourrait accroître ses ressources ou ses moyens d'attaque ou de défense. »1 Lampredi s'exprime ainsi : « Il est permis aux nations amies et neutres de continuer leur commerce dans toute son étendue; la seule restriction que la guerre mette à leur liberté sous ce rapport, c'est qu'ils doivent observer une stricte impartialité entre les belligérants; néanmoins une nation belligérante peut empêcher le commerce des neutres avec l'ennemi, du moment qu'elle juge nécessaire de le faire pour son propre salut. » On peut dire que cette pratique avait été poussée à son comble dans l'édit des États-Généraux de 1599 dont nous avons déjà parlé, et par lequel il était défendu aux marchands neutres de porter dans les ports espagnols des marchandises quelles qu'elles fussent; par lequel, en d'autres termes, tous les ports du roi d'Espagne étaient mis en interdit. D'autre part, si une nation neutre n'acquiesçait pas à reconnaître le cas de nécessité sous l'empire duquel le belligérant revendiquait le droit d'opérer la capture des navires et des marchandises des sujets de la nation neutre, cette dernière avait la faculté d'user de représailles. Ainsi, pendant la guerre entre les États-Généraux et l'Espagne, un croiseur espagnol captura un navire anglais, qui voyageait à destination d'un port hollandais avec un chargement de tabac. Les capteurs espagnols, en cette occasion, soutinrent avec succès, devant le tribunal de prises espagnol, que le tabac devait être de droit rangé parmi les vivres, d'autant plus que par l'usage du tabac on pouvait prolonger la consommation des vivres. Par contre,

1 Droit maritime de l'Europe, T. II, Ch, 2, Art. 2 § 6,

2 Commerce des neutres, Ch. 1, § 4.

les réclamants anglais prétendirent, en vain, que le tabac n'était pas une plante nutritive, et qu'il n'avait pas été interdit par les termes exprès de la proclamation espagnole. Le jugement du tribunal de prises fut rendu en faveur des capteurs. C'est pourquoi l'armateur anglais adressa une plainte au roi d'Angleterre, qui, sur l'avis de son conseil, lui accorda, afin qu'il pût se dédommager de sa perte, des lettres de représailles contre les sujets du roi d'Espagne. '

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128. L'application du mot contrebande, pour la première fois dans le traité de Southampton (1625), aux articles que les neutres ne pouvaient pas licitement transporter dans un pays ennemi en temps de guerre, paraît confirmer le fait que le droit d'un belligérant d'interdire, par un avis formel, le commerce d'une nation neutre relativement à certains articles avec le pays ennemi, était pleinement reconnu au commencement du XVII siècle. Le roi Charles I pensa qu'il était juste, conformément à ce traité, de publier un catalogue formel in extenso des articles qu'il entendait ne pas permettre de porter aux ennemis de l'Angleterre ; car l'Angleterre avait précédemment soutenu contre l'Espagne que la parité de raison ne suffisait pas pour rendre des marchandises confiscables, si ces marchandises n'avaient pas été interdites en termes exprès. Dans l'intervalle qui s'écoula entre le traité de Southampton de 1625 et le traité des Pyrénées de 1650, un grand changement paraît être survenu dans les opinions des hommes d'État, ou une grande modification s'être opérée dans la conduite politique des puissances européennes relativement au commerce des neutres en temps de guerre. Le sujet est trop obscur pour pouvoir être

Procès de la Cour d'Amirauté d'Angleterre, cités dans Zouch, De judicio inter gentes, § 8, Part. II, p. 132. Le tabac est classé parmi les articles qui ne devaient pas être regardés comme contrebande de guerre, dans le traité entre Charles II d'Angleterre et les États-Généraux (1or décembre 1674). Dumont, VII, Part. I, p. 283.

De jure belli et pacis, Liv. III, Ch. 1, § 5,

complètement élucidé. La probabilité est que les deux suppositions sont correctes, et que, tandis que les écrits de Grotius avaient contribué à faire prendre aux opinions des hommes d'État une forme plus raisonnable, les besoins du commerce international avaient contraint les puissances européennes à modifier leur pratique.

129. «La question », dit Grotius, « s'est présentée autrefois et se présente encore de savoir ce qui est permis contre ceux qui ne sont pas ennemis ou ne veulent pas être réputés tels, mais qui procurent certaines choses aux ennemis; car nous savons qu'autrefois, et depuis peu, on a vivement disputé sur ce point, les uns défendant la rigueur de la guerre, les autres la liberté du commerce. Il faut distinguer premièrement entre les choses elles-mêmes. Il y en a, en effet, qui n'ont d'usage que dans la guerre, comme les armes; il y en a qui n'ont aucun usage dans la guerre, comme celles qui servent au plaisir; il y en a qui ont de l'usage et dans la guerre et en dehors de la guerre, comme l'argent, les vivres, les vaisseaux et les choses qui se trouvent sur les navires. A l'égard de la première espèce, la parole d'Amalasonthe à Justinien est vraie que celui qui fournit à l'ennemi des choses nécessaires à la guerre est du parti des ennemis. La seconde espèce ne comporte pas de plainte. A l'égard de la troisième espèce de choses ayant un double usage, il faut considérer les circonstances de la guerre; car si je ne puis me défendre qu'en interceptant les choses qui sont envoyées, la nécessité m'en donnera le droit, mais à charge de restitution, à moins qu'une autre cause ne survienne. Que si le transport des choses a empêché la poursuite de mon droit, et si celui qui a effectué ce transport a pu le savoir; si, par exemple, je tenais une place forte assiégée ou des ports fermés, et si déjà la reddition ou la paix était attendue, il sera tenu envers moi responsable du dommage causé par sa faute; les objets lui appartenant pourront aussi être saisis dans la mesure du dommage causé, et la propriété de ces choses pourra

être acquise pour le recouvrement de ce qui m'est dû. S'il ne m'a encore causé aucun dommage, mais a voulu m'en causer, j'aurai le droit de le forcer, par la retenue des choses lui appartenant, à me donner des sûretés pour l'avenir par des otages, des gages ou de toute autre manière. Que si, enfin, l'injustice de mon ennemi est tout à fait évidente contre moi, le tiers, qui le fortifie dans sa guerre pleine d'iniquité, ne sera plus dès lors tenu seulement civilement responsable du dommage, mais encore criminellement, comme celui qui soustrait un coupable convaincu au juge qui va le condamner; et il me sera permis de statuer à ce titre contre lui ce qui convient au délit; aussi, en châtiment, pourra-t-il être même dépouillé dans cette mesure. »

130.- La paix de Westphalie, en 1 648, ayant assuré l'indépendance des Provinces-Unies contre toute contestation ultérieure de la part de l'Espagne, et l'Acte de Navigation, qui avait été passé par le Parlement anglais sous la République en 1651, étant justement regardé par les Hollandais comme destiné à assurer à la marine anglaise une partie du commerce du transport jusqu'alors exploité exclusivement par la Hollande, nous voyons qu'après ces événements une pratique moins rigoureus e à l'égard du commerce des neutres en temps de guerre commence à prendre faveur auprès des États-Généraux, grâce, comme cela est fort probable, aux conseils du Grand Pensionnaire Jean de Witt. Ainsi les États-Généraux avaient conclu avec la Suède et avec les Villes Hanséatiques en 1613 des traités, aux termes desquels les vivres devaient être regardés comme des marchandises prohibées pendant la guerre. Elles avaient aussi conclu avec l'Angleterre en 1625 un traité, qui énumérait les vivres parmi les articles décrits expressément comme contrebande de guerre. Mais le 6 avril 1654, il fut conclu à Westminster, entre les Provinces-Unies et la République d'Angleterre, un traité, par le septième article du

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1 Dumont, Traités, T. VI, part. II,p. 74.

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