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RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS INTERNATIONAUX. princes souverains délivrer à leurs sujets des lettres de contremarque, les autorisant à saisir, à leur tour, les biens de ceux qui leur avaient pris les leurs sous l'autorité de lettres de marque.

14. L'octroi des lettres de marque par les princes souverains aux commandants de navires appartenant à des particuliers, armés et équipés pour faire la guerre maritime aux frais de leurs armateurs, peut être regardé aujourd'hui comme une institution des temps barbares, qu'on devrait laisser tomber en désuétude ; néanmoins on y peut voir aussi la première tentative systématique qui ait été faite de régulariser les actes privés d'hostilité sur la haute mer, et par suite le premier pas vers l'interdiction de ces actes. Durant la longue période d'anarchie qui régna sur la haute mer après la dissolution de l'Empire Romain, les commerçants avaient été contraints de former des associations volontaires pour se défendre mutuellement contre les écumeurs de mer, et il arriva ainsi que la police de la haute mer fut administrée par des associations volontaires. Ces corporations avaient coutume, sans attendre l'autorité des princes, d'exiger réparation non seulement pour les torts causés aux membres des associations, mais aussi pour ceux qu'avaient éprouvés d'autres commerçants honnêtes, dépouillés de leurs biens par des pirates ou victimes d'autres actes de violence en pleine mer dans le cours de leurs opérations licites. Outre ces associations de défense mutuelle, il s'en organisa d'autres dans les grandes villes commerçantes de la Méditerranée, dans le but exprès de faire la guerre aux pirates; puis des articles d'association furent formulés en vue de régler la direction de leurs expéditions et le partage du butin pris sur l'ennemi. Il existe un recueil très ancien de règlements pour le gouvernement des croiseurs équipés par des associations volontaires de ce genre; ces règlements sont imprimés dans la plupart des éditions de la version italienne du Livre du Consulat de la Mer, immédiatement à la suite des

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« Bonnes Coutumes de la Mer ». Dans les éditions vénitiennes,ces règlements ont leurs chapitres numérotés consécutivement, comme s'ils étaient la continuation des « Coutumes de la Mer. »' Ils en sont cependant tout à fait distincts par leur origine et formaient un traité séparé dans les anciens manuscrits. M. Pardessus a fort judicieusement séparé ces règlements des Coutumes de la Mer, et les a publiés à part sous leur propre titre de « Chapitres sur les armements en course », comme faisant partie des usages du royaume d'Aragon en matière de prises maritimes. D'après ces règlements il appert que ces sociétés particulières de croiseurs, ou, pour les appeler par leur nom italien, de corsaires, avaient la faculté de s'approprier les biens qu'elles capturaient en mer, sans y être autorisées par une commission d'un prince souverain, et sans être astreintes à amariner leurs prises pour les faire juger avant d'en disposer. Il y a lieu de croire que cette faculté générale de courir sus aux pirates, appelée la guerre de course (la guerra del corso), dégénéra avec le temps en quelque chose d'à peu près sémblable aux agissements illicites qu'elle avait précisément pour objet de réprimer, et que les princes souverains furent ainsi forcés de régler, à son tour, la pratique de la course. C'est pourquoi nous trouvons des ordonnances de princes souverains, rendues après s'être consultés avec les conseils du commerce (les prud'hommes de mer), et destinées à régler la pratique de la course; et après que l'exercice de la

'Dans l'édition vénitienne du «< Consolato del Mare », imprimée en 1549, la première qui ait été mise en circulation au nord de l'Europe, ces règlements forment les chapitres 298 à 334, en continuation des «< Coutumes de la Mer. »

⚫ Ces manuscrits sont à la Bibliothèque nationale de Paris. Ils sont écrits en catalan et se distinguent par les marques d'impression espagnol 124 et espagnol 56. Ils ont été dernièrement mis en recueil par l'auteur du présent volume,qui a publié le texte catalan des Coutumes de la Mer, accompagné d'une traduction en anglais, dans l'Appendice du Livre Noir de l'Amirauté, vol. III, p. 50.

Lois Maritimes, Tome V, p. 396,

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RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS INTERNATIONAUX, juridiction de l'Amirauté fut passé aux princes souverains, ceux-ci prirent des mesures pour mettre fin au système de la guerre privée sur la haute mer, en convenant qu'il ne serait pas permis à leurs sujets de faire la guerre sans une autorisation à cet effet de leurs souverains respectifs. Il paraîtrait qu'au XIII° siècle, ' des princes souverains avaient commencé à défendre à leurs sujets de courir sus aux sujets des autres princes sans leur autorisation; mais ce n'est qu'à partir du XIV siècle qu'il est fait mention des lettres de marque dans les traités publics, et qu'on a contraint les croiseurs privés à se pourvoir d'une autorisation d'un prince souverain sous forme de lettres de marque ou de lettres de représailles.

15. Quand une lésion a été causée par les sujets d'un prince indépendant aux sujets d'un autre prince indépendant, et que le premier de ces princes a refusé nettement ou retardé sans raison de faire donner une réparation par l'auteur de la lésion, l'autre prince, en vertu de l'obligation dans laquelle il est de protéger ses sujets, a le droit de les autoriser à user de représailles' sur les parties coupables de l'offense et sur leurs concitoyens; car ceux-ci acceptent la responsabilité des actes des coupables, en appuyant le pouvoir souverain de leur État dans son refus ou son retard d'accorder la réparation. Ce n'est pas sans fondement qu'on pourrait attribuer l'origine de cette pratique des représailles à l'incapacité dans laquelle se trouvaient les princes indépendants, dans l'enfance de la vie internationale, d'engager

Ainsi le roi Edouard d'Angleterre dit, dans une lettre de l'année 1295: « Bernardius nobis supplicavit ut nos sibi licentiam marcandi homines et subditos de regno Portugalliæ et bona eorum per terram et mare ubicunque eos et bona eorum invenire possit, concederemus,quousque de sibi ablatis integram habuisset restitutionem.... Rymer, Fœdera, T. II, p. 69.

Le droit et la coutume des nations relatifs aux représailles sont exposés d'une manière très lucide dans un rapport, du 11 octobre 1650, fait par le juge de la Haute Cour d'Amirauté d'Angleterre au Conseil d'État. Thurlow's State papers, vol. I, p. 264.

leurs sujets les plus puissants à fournir réparation pour les torts qu'ils avaient commis à l'égard des sujets d'autres princes indépendants, parce que en pareils cas il est probable que les princes aimaient mieux voir les parties lésées se faire rendre satisfaction par elles-mêmes que de tourner leurs armes contre leurs propres sujets pour les forcer à donner la réparation exigée d'eux.

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L'emploi de la force par un prince indépendant dans le but d'exercer des représailles contre les sujets d'un autre prince indépendant, a donc été regardé comme compatible avec le maintien des relations pacifiques générales entre les deux nations. Bynkershoek fait observer que les représailles n'ont lieu qu'en temps de paix.' La plupart du temps on a recours aux représailles afin d'obtenir réparation d'un tort causé à un individu, après que celui-ci a vainement réclamé justice au pouvoir souverain de la nation dont l'offenseur est membre. Dans ces circonstances, toutes les choses qui appartiennent à la nation peuvent faire l'objet des représailles partout où elles peuvent être saisies, pourvu que ce ne soit pas un dépôt confié à la foi publique, car, comme une nation n'a de contrôle sur un tel dépôt qu'en raison de la confiance entière que le possesseur du dépôt a placée dans sa bonne foi, elle doit le respecter comme sacré même dans le cas de guerre ouverte. Mais entre les nations la propriété des individus est regardée comme appartenant à la nation tout entière dont ils sont membres. Par conséquent la propriété privée de chaque individu qui fait partie d'une nation est sujette aux représailles pour réparation d'un tort causé à un membre d'une autre nation. De plus, c'est uniquement de l'autorité souveraine d'une nation qu'émane légitimement l'autorisation d'exercer des représailles. Vattel estime que, quand des représailles ont été exécutées, il est du devoir du souverain de contraindre ceux de ses sujets

1 Repressaliis locum non esse nisi in pace. Bynkershoek, Quæst. juris publici, c. 24.

Vattel, L. II, § 344.

qui par leur conduite ont donné lieu à de justes représailles à dédommager ceux qui en ont été victimes et de veiller à ce que les propriétés de personnes innocentes ne soient pas rendues responsables des obligations des autres; car, quoique le souverain, en refusant ou en retardant de faire justice, ait pu provoquer des représailles contre ses propres sujets, ceux qui étaient la cause finale de ces représailles n'en deviennent pas moins coupables, et la faute de leur souverain ne les dispense pas de réparer les conséquences de l'offense qu'ils ont commise.

16. Les jurisconsultes, qui restreignent l'usage du terme rétorsion au redressement des dérogations à la réciprocité des convenances internationales, ont divisé les représailles en représailles négatives et en représailles positives, selon qu'elles s'exercent à la suite d'un déni de justice ou d'une lésion positive. D'après cette terminologie, qui paraît due à Kluber et qui est adoptée par Wheaton et sir Robert Phillimore, les représailles négatives ont lieu quand un État refuse d'accomplir une obli gation parfaite qu'il a contractée, ou de laisser une autre nation jouir d'un droit auquel elle prétend. Les représailles positives, d'autre part, ont lieu quand un État s'empare de personnes et d'objets appartenant à une autre nation, afin d'obtenir satisfaction d'une lésion ou d'une offense. Par contre, Heffter, à l'instar de Grotius, de Wolf et de Vattel, limite le terme de représailles aux actes de violence auxquels se livre une nation afin d'obtenir satisfaction d'une offense ou d'une lésion faite à elle-mème ou à ses sujets; et, selon cette manière de voir, les actes qualifiés de représailles négatives se classent plus justement sous le titre de rétorsion. Si l'on tient compte de l'étymologie des mots rétorsion et représailles, Heffter semble avoir raison sur ce point. Le sens que l'usage a attaché à l'expression de lettres

1 Wheaton, Éléments, P. IV. Ch. 1, § 2. Phillimore, vol. III, § 12.

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