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de représailles coïncide avec l'étymologie du mot; au surplus, toutes les fois qu'il est fait mention de représailles dans les traités, il n'est pas douteux que les rédacteurs de ces traités entendent parler d'actes de saisie par la force.

17. — Une division des représailles plus importante et moins technique est celle qui se fonde sur l'étendue et la mesure qu'une autorité souveraine permet de leur donner. Les représailles sont spéciales, quand un prince souverain accorde des lettres de représailles et de marque à certains de ses sujets qui ont éprouvé de la part des sujets d'un autre prince souverain un tort pour lequel ils ont en vain réclamé justice. Dans la pratique, ce genre de représailles est considéré comme parfaitement compatible avec l'état d'amitié entre les nations; il est identique aux représailles du XIV' siècle, qui réduisirent la guerre privée à des actes d'un certain ordre et en préparèrent l'abolition en la soumettant au contrôle des princes souverains.

Quant aux représailles générales, elles consistent dans une permission générale, donnée par une autorité souveraine à ses sujets, de saisir la personne et les biens des sujets d'une autre autorité souveraine. Peu importe de quelle façon ces représailles s'exercent, que ce soit par des navires commissionnés de la Couronne, ou par des navires armés par ses sujets à leur gré en vertu de lettres de marque et de représailles octroyées par la Couronne, tant qu'est en vigueur l'ordre émanant de l'autorité souveraine qui prescrit des représailles générales contre la personne et les biens des sujets d'une autre puissance. Plusieurs écrivains, s'appuyant sur l'autorité du Grand Pensionnaire De Witt, approuvent, comme si elle était d'une application générale, son opinion: « qu'il ne voit point de différence entre les représailles générales et la guerre ouverte. » Il existe cependant une dif

1 Cette opinion du Grand Pensionnaire est citée dans une note sur un passage de Vattel, L. II, Ch. 18, § 346. Plusieurs écrivains en parlent

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férence importante entre les deux choses; et il semble que les écrivains qui ont cru pouvoir invoquer l'autorité du Grand Pensionnaire des États-Généraux n'ont pas suffisamment tenu compte de la circonstance dans laquelle il émit son opinion. L'Angleterre, en 1662, avait mis l'embargo sur tous les navires hollandais dans les ports anglais, et cela en faveur des chevaliers de Malte, par représailles pour la détention par les Hollandais de certaine propriété appartenant à ces chevaliers; les États-Généraux firent des remontrances contre ces représailles, en alléguant qu'elles étaient exercées par un prince souverain dans l'intérêt d'étrangers, qui n'étaient pas ses sujets : ce qui était contraire à la pratique des nations. L'Angleterre reconnut la justesse de ces remontrances et donna l'ordre de lever l'embargo: c'est alors que le Grand Pensionnaire fit observer qu'il ne voyait pas de différence entre les représailles générales et la guerre ouverte. On peut admettre qu'une pareille séquestration générale des navires hollandais dans les ports anglais, si elle n'était pas justifiée par le droit des gens, ne pouvait être regardée que comme un acte de guerre contre les États-Généraux. Mais un ordre de représailles générales paraît se distinguer, dans la pratique des nations, d'une déclaration de guerre, en ce sens qu'un ordre de représailles générales ne fait pas cesser l'état de paix, tandis qu'une déclaration de guerre y met fin. La nation, contre laquelle les représailles générales ont été déclarées et même ont commencé à être exercées, peut les faire cesser en s'exécutant; et tant qu'elle ne répond pas par un autre acte de représailles générales, la guerre n'existe pas. Si une nation déclare la guerre à une autre nation, elle

comme si c'était l'expression du droit coutumier de l'Europe, que Vattel lui-même aurait adoptée dans les termes mêmes du Grand Pensionnaire; mais la note ne se trouve pas dans l'édition originale de l'ouvrage de Vattel; elle est ajoutée pour la première fois dans l'édition de 1797, qui a été publiée après sa mort.

1 Bynkershoek, De foro legatorum, c. 22.

renonce à tous ses traités d'amité et d'alliance avec elle, et tous les égards internationaux envers ses sujets prennent fin. Telle était la pensée du président Jefferson,' en 1808, lorsqu'il disait que les États-Unis d'Amérique devaient recourir à des représailles générales contre le système continental de l'Empereur Napoléon, dans la prévision que la révocation des édits rendus par l'Empereur et par le président des États-Unis respectivement rétablirait tout de suite les relations de paix sans les retards et les formalités d'un traité. Jefferson parle, il est vrai, des relations qui existeraient entre la France et les États-Unis sous un régime de représailles générales comme de relations entre des belligérants; mais telles sont dans un certain sens les représailles spéciales, qui sont des actes de saisie par la force pour faire réaliser un droit; en théorie, elles ne sont pas tout à fait compatibles avec la paix parfaite entre nations; cependant en pratique on les considère comme des mesures exceptionnelles compatibles avec des rapports d'amitié et ne créant pas l'état de guerre. La manière de voir la plus correcte semble être que les représailles générales ne sont pas par elles-mêmes (per se) incompatibles avec l'état de paix, bien que dans certains cas elles puissent être un acheminement vers la guerre. Selon l'usage moderne, elles sont de la nature d'une déclaration conditionnelle de guerre, qui cependant peut être encore écartée par une offre de réparation de la part de l'État qui a lésé l'autre. Le juge suprême Hale, dans ses Procès de la couronne (vol. I, p. 162, 3), dit

Peut-être les partisans de la seconde (guèrre) préfèreront-ils des lettres générales de marque et de représailles à une déclaration de guerre, parce que, si les belligérants abrogent leurs édits, la révocation des lettres de marque rétablit la paix sans les retards, les difficultés et les formalités d'un traité. Lettre de Jefferson au lieutenant-gouverneur Lincoln. Washington, 13 novembre 1808. Correspondance de Jefferson, 8o. Londres, 1829, vol. IV, p. 119.

Il est fait mention des lettres de marque et de représailles, comme étant délivrées en temps de paix, à l'article 9 de la Confédération des Etats-Unis, année 1781.

Tw. - II.

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que la marque ou les représailles générales ne constituent « pas les deux nations dans un état parfait d'hostilité entre elles, quoiqu'elles fassent des prises l'une sur l'autre comme des ennemis, et que bien des fois, avec le temps, ces représailles générales dégénèrent en une véritable guerre formelle. C'est dans ces conditions que survint entre l'Angleterre et la Hollande la guerre de 1664; elle avait eu pour prélude l'acte du Conseil d'État, qui instituait seulement une sorte de représailles universelles, nécessitées par des raisons d'État particulières; mais par la suite du temps ce devint une vraie guerre, sans qu'il y eût eu de déclaration solennelle. » Des lettres générales de marque et de représailles furent octroyées par l'Angleterre contre l'Espagne le 10 juillet 1739, parce que l'Espagne exerçait un droit de recherche sur les navires anglais au delà des limites de ses eaux juridictionnelles sur les côtes de l'Amérique du sud. Les envoyés des deux puissances n'en demeurèrent pas moins à leurs postes respectifs. L'Espagne, en revanche, délivra des lettres de marque le 20 du même mois, et ce fut seulement lorsque deux mois se furent écoulés après l'octroi des lettres de marque par l'Angleterre, que les ambassadeurs des deux nations quittèrent les cours auprès desquelles ils avaient été respectivement accrédités. La guerre fut formellement déclarée par l'Angleterre le 19 octobre 1739.

18. Entre autres faits qui démontrent que les représailles générales ont un caractère différent de celui de la guerre et n'entraînent pas, comme cette dernière, l'interruption de tous les rapports d'amitié, on peut citer ce qui s'est passé en 1839 et en 1840 entre le gouvernement de Sa Majesté Britannique et le gouvernement du roi des Deux-Siciles relativement au monopole du soufre en Sicile. Ce monopole avait été accordé par la couronne de Naples à une compagnie de négociants français (MM. Taix, Aycard et Ci). Le gouvernement anglais prétendit que la concession faite à la compagnie française était contraire au traité de com

merce de 1816 entre la Grande-Bretagne et les Deux-Siciles. Alors, après que le ministre anglais à Naples eut formellement demandé l'abrogation de la concession faite à la compagnie française et que le gouvernement napolitain eut refusé d'accéder à cette demande, le gouvernement anglais envoya à l'amiral commandant la flotte anglaise dans la Méditerranée l'ordre « de s'emparer de tous les navires napoпароlitains et siciliens qu'il rencontrerait dans les eaux de Naples ou de la Sicile, et de les détenir jusqu'à ce qu'on eût reçu du ministre de Sa Majesté Britannique à Naples la nouvelle de l'acquiescement à la juste demande du gouvernement anglais. » Lord Palmerston, alors secrétaire d'État pour les affaires étrangères, apprenant que l'amiral anglais se disposait à mettre ses instructions à exécution, envoya, le 14 avril 1840, au ministre anglais à Naples une dépêche,' disant: • Comme les représailles que sir Robert Stopford a été requis d'exercer ne constituent cependant pas la guerre,ce n'est pas le désir du gouvernement de Sa Majesté que vous fassiez suivre ces mesures de votre départ de Naples; mais, si le gouvernement napolitain venait aggraver l'injustice qu'il a commise envers les sujets anglais relativement au monopole du soufre par des actes de violence contre des sujets anglais ou contre leurs biens, en pareil cas vous quitteriez Naples et vous vous retireriez à Rome pour y attendre de nouvelles instructions. » Le 17 avril la flotte anglaise commença à exercer des représailles dans le voisinage de Naples et captura un certain nombre de navires napolitains. En même temps l'embargo fut mis dans les ports de Malte sur tous les navires qui portaient le pavillon sicilien. Naples, de son côté, fit des préparatifs de défense et le gouvernement napolitain mit l'embargo sur tous les navires. anglais dans les ports de Naples et de la Sicile. Tout paraissait annoncer une guerre ouverte, lorsque le cabi

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1 British and foreign State papers, 1840-41, p. 202. Annual register, 1840, p. 210.

3 Annuaire historique universel, 1840, p. 48.

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