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tures sur mer des règles bien différentes de celles qui sont applicables aux captures sur terre. La nature des hostilités qu'on exerce sur le territoire ennemi exige qu'une armée envahissante ne s'encombre pas de butin; aussi le commandant d'une armée est-il investi de l'autorisation de faire une enquête immédiate et de résoudre sommairement toutes les questions se rapportant à la légitimité du butin.

Dans les premiers temps l'amiral d'une flotte de croiseurs armés tranchait de même la question de la validité ou de l'invalidité des prises sommairement ou, comme on disait, velis levatis. Le navire capteur conduisait sa prise au vaisseau amiral, sur le pont duquel on procédait à une enquête en examinant les papiers du navire capturé et en interrogeant le capitaine et l'équipage; ensuite le navire avec son chargement était jugé être de bonne prise, ou on le laissait incontinent continuer son voyage. D'après la pratique de guerre en vigueur aujourd'hui sur la haute mer, il est du devoir des capteurs d'envoyer leurs prises dans le port le plus proche de leur pays ou d'un pays allié, afin de les soumettre sans retard à l'enquête ou au jugement d'un tribunal de prises légalement constitué. Si les capteurs manquent à remplir ce devoir, la partie qui réclame le navire ou le chargement a le droit de s'adresser à un tribunal de prises du pays des capteurs pour enjoindre aux capteurs de faire procéder sur le champ au jugement; dans ce cas, si les capteurs négligent de comparaître et de faire procéder au jugement, le tribunal peut les condamner à restituer la prise avec dépens et quelquefois avec dommages et intérêts. Il importe peu en pareille conjoncture que les capteurs aient agi de bonne foi ou non en opérant la capture. « Si le capteur », fait observer lord Stowell, « a commis l'acte préjudiciable involontairement, mais en agissant seulement par erreur ou méprise, la partie lésée a cependant droit à une complète indemnité, pourvu qu'elle n'ait pas par sa propre conduite contri

1 The Actæon, 2 Dodson, p. 52.

bué au dommage dont elle se plaint. La destruction de la propriété par le capteur peut avoir été un acte méritoire à l'égard de son gouvernement; néanmoins la personne à qui la propriété appartient ne doit pas être lésée. Pour cette personne il existe un préjudice, pour lequel elle a droit à une réparation de la part de celui qui le lui a causé; et si le capteur a, en détruisant la propriété, occasionné un profit au public, c'est au gouvernement que la personne lésée doit réclamer son indemnité. Il ne doit pas être permis que la perte retombe sur la victime innocente. >>

167.- L'obligation personnelle pour le capteur de conduire ses prises dans un port pour les faire examiner et juger est fondée sur les instructions qu'il a reçues du gouvernement qui l'a autorisé à faire des captures. D'autre part, l'obligation, qui s'impose à tous les gouvernements, d'exiger que leurs croiseurs amènent leurs prises dans un port pour les faire juger par un tribunal de prises compétent, repose sur le droit des gens général; mais cette obligation, basée sur le droit des gens commun, n'existe qu'à l'égard des navires qui naviguent sous pavillon neutre ;'en effet l'enquête devant un tribunal compétent a pour but de constater si la propriété saisie dans chaque cas appartient à un neutre ou à un ennemi; et, si elle appartient à un neutre, de la lui restituer et d'empêcher ainsi le capteur, acharné à la poursuite du gain, de faire du tort à des commerçants inoffensifs: ce qui pourrait susciter des différends entre les nations. Les ennemis, au contraire, selon le droit des gens général, n'ont point de locus standi dans un tribunal de prises, et ils ne peuvent prétendre de droit à ce que leur propriété saisie par un croiseur belligérant soit conduite dans un port du belligérant ou de ses alliés pour y être examinée et jugée. La capture, par son fait même, dépouille l'ennemi de sa propriété jure belli. Lorsqu'en pleine mer un navire, sous pavillon ennemi s'est rendu, le droit des gens général laisse au belligérant la faculté de le détruire; et si le capteur ne

peut pas le conduire dans un port, il est justifié vis-à-vis de son gouvernement de l'avoir détruit. Les instructions de son gouvernement peuvent en effet lui prescrire d'emmener dans un port toutes les captures qu'il lui arrive d'opérer; mais il peut se faire qu'il soit dans le moment employé à un service qui ne lui permette pas de mettre un équipage à bord du navire capturé pour le conduire dans un port. Dans un tel conflit de devoirs, Lord Stowell a décidé qu'il ne reste au navire belligérant d'autre parti à prendre que de détruire le navire ennemi; car il ne peut, sans manquer à ses devoirs généraux envers son pays, et mème aux injonctions expresses de son gouvernement, laisser s'échapper la propriété ennemie sans être inquiétée. S'il lui est impossible de l'amariner, son devoir est de détruire la propriété de l'ennemi. Lorsqu'il y a doute que la prise soit propriété ennemie et qu'il est impossible de l'amariner, il n'y a pas lieu à pareille obligation, et la conduite la plus sûre et la plus convenable à suivre est de congédier le navire. Quand il s'agit d'un navire neutre, l'acte de destruction ne peut se justifier à l'égard du propriétaire neutre par la considération que cet acte était de la plus haute importance pour le gouvernement du capteur; il ne peut se justifier à l'égard du neutre dans de semblables circonstances que par la restitution intégrale de la valeur de la propriété détruite.'

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Pour constituer une capture en mer, un acte de prise de possession n'est pas absolument nécessaire: il suffit que l'état du temps soit tel que le capteur ne puisse sans accident prendre possession du navire ennemi; cependant l'humanité lui prescrit de ne pas continuer les hostilités, après que le capitaine et l'équipage ont signifié leur intention de ne pas résister. La reddition réelle du navire est donc considérée avoir lieu lorsqu'il amène son pavillon, mais il faut que le capteur manifeste son intention de s'emparer du

1 The Felicity, 2 Dodson, p. 386.

navire, qui s'est rendu, par quelque acte subséquent à celui de l'avoir contraint à se rendre ; autrement la prise sera regardée comme abandonnée par lui, en ce sens qu'elle peut tourner au profit d'une autre personne prenant ensuite possession du navire ennemi. Il est donc de règle générale que le commandant du navire qui a fait une prise en mer mette un capitaine de prise à bord du navire capturé; mais on a considéré comme effectives plusieurs captures à la suite desquelles aucun marin n'avait été mis à bord de la prise, qui avait seulement été forcée de suivre la direction prescrite par le capteur. Lord Stowell est d'opinion que « quand un navire marchand est obligé de mettre en panne et d'obéir aux ordres du navire ennemi, il est entièrement sous la domination de l'ennemi ; et lorsqu'un navire capturé reste sous la menace des canons du capteur, il est tout autant en sa possession que si les hommes qui autrement auraient manœuvré ces canons se trouvaient à bord. » D'un autre côté, les capteurs font acte suffisant de prise de possession en y plaçant même un seul homme comme capitaine de prise. Il est d'usage de mettre sur le navire capturé un équipage de prise assez fort pour empêcher toute tentative, avec quelque chance de réussite, de délivrer le navire; et quelquefois on retire du navire capturé une partie de son équipage, par mesure de précaution, pour l'empêcher de tenter à lutter avec avantage contre l'équipage de prise; mais le capteur est libre, s'il a confiance dans la promesse du capitaine capturé, de maintenir la possession de sa prise contre tous capteurs ultérieurs en y plaçant un seul homme à bord.« Il est clair», dit le juge Washington en prononçant le jugement de la Cour suprême des États-Unis, « qu'il doit être fait quelque acte qui indique l'intention de saisir et de détenir le navire comme prise; et il suffit toujours que cette intention puisse se déduire aisément de la conduite du capteur.»> C'est pour

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1 The Hercules, 2 Dodson, p. 368.-The Edward and Mary, 3 Ch. Rob., p. 306.

The Grotius, 9 Cranch, p. 370.

quoi la Cour suprême a émis l'avis que la présence d'un seul homme à bord, quoiqu'il n'intervienne pas dans la navigation du navire, est suffisante pour retenir la possession d'une prise au profit du capteur. Cette opinion paraît partagée par lord Stowell, lorsqu'il a décidé que la présence de deux hommes à bord, bien qu'ils n'eussent pas pris possession des papiers du navire et ne se fussent pas mêlés de la navigation, suffisait pour retenir la possession d'une prise en faveur du premier capteur contre la réclamation d'un corsaire, qui avait saisi le navire une seconde fois et placé un homme à bord, ainsi que contre celle d'un vaisseau de la marine royale qui avait aidé ultérieurement à empêcher le capitaine du navire capturé à mettre à exécution son dessein de conduire sa prise dans un port ennemi. Sur ce motif de ce dernier acte d'assistance, le commandant et l'équipage du vaisseau de la marine royale essayèrent de fonder un titre de la prise; mais la Cour décida que l'aide qu'ils avaient prêtée suffisait seulement à créer un intérêt en leur faveur sous forme de réclamation pour sauvetage militaire, et elle ne leur adjugea qu'une rémunération de sauvetage.'

169. — Le droit à la possession de toutes les prises réside dans l'autorité souveraine, qui a accordé au commandant d'un navire armé une commission pour capturer la propriété ennemie; mais la capture de cette propriété peut tourner au profit du capteur réel par un acte de concession de l'autorité souveraine, sous les restrictions et les conditions qu'il plaît à celle-ci d'imposer. Dans la Grande-Bretagne, l'usage, au début d'une guerre, est que la Couronne fait publier tout d'abord un ordre en conseil, octroyant l'autorisation d'user de représailles générales «< contre les navires, les vaisseaux et les marchandises du souverain ennemi et de ses sujets et des autres habitant quelqu'un de ses pays, ter

1 The Resolution, 6, Ch. Rob., p. 23. Ordre en Conseil du 29 mars 1854.

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