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temps remarquer que «< ce droit des gens relatif aux prisonniers n'a été reçu ni toujours ni chez toutes les nations, quoique les jurisconsultes romains en parlent généralement », et qu'un progrès s'est opéré dans les usages de l'humanité relativement au traitement des prisonniers par respect pour la loi du Christ. « La coutume a été cependant conservée, même parmi les chrétiens, de retenir les prisonniers jusqu'à ce qu'ils aient payé le prix de leur rançon, dont l'estimation est abandonnée à la discrétion du vainqueur, à moins qu'on ne soit convenu de quelque chose de déterminé. » 1

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Malgré l'influence modératrice que la profession de la même religion par les deux nations belligérantes, et plus particulièrement de la religion chrétienne, a exercé, ainsi qu'on l'a constaté dans la pratique, sur la manière de diriger les hostilités, on a trouvé nécessaire, à une époque qui ne remonte pas au delà du commencement du XVIIème siècle, de stipuler par des traités que les prisonniers de guerre ne seraient pas retenus en captivité comme des galériens après la fin de la guerre. C'est ainsi qu'il a été stipulé, dans le traité de 1604 entre l'Angleterre et l'Espagne, que les prisonniers de guerre, de part et d'autre, seraient relâchés, quoiqu'ils eussent été condamnés aux galères. Un article de termes analogues a été inséré dans le traité de 1630 entre l'Angleterre et l'Espagne. D'après le 101° article du traité des Pyrénées conclu en 1659 entre la France et l'Espagne, il semblerait qu'à cette époque l'usage de condamner les prisonniers de guerre aux galères n'était pas complètement abandonné; cependant il était évidemment tombé en désuétude avant la fin du XVIIème siècle; car nous voyons que, lorsque le comte Solmes, qui servait sous Guillaume d'Orange en Irlande en 1690, menaça de déporter ses prisonniers comme esclaves en Amérique, le duc de Berwick me

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1 De jure belli et pacis. Liv. III, Ch. VII, § IX, 2.
2 Dumont, Corps diplomatique, T. V, Part. II, p. 38.
3 Ibid., p. 623.

Dumont, T. VI, Part. II, p. 278.

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naça d'user de représailles en envoyant ses prisonniers aux galères en France. Bynkershoek, en commentant la conduite des Hollandais, qui, en 1602, avaient mis en liberté certains prisonniers de guerre pour lesquels leurs amis ne voulaient pas payer de rançon, déclare qu'il eût été étranger aux mœurs de cette époque -- moribus qui nunc frequentantur alienum de les mettre à mort, ou de les vendre comme esclaves, il fait toutefois remarquer que les Hollandais avaient coutume de vendre comme esclaves aux Espagnols tous les prisonniers de guerre appartenant à Alger, à Tunis ou à Tripoli, et que les États-Généraux avaient, en 1661, ordonné à leur amiral de vendre comme esclaves tous les pirates qu'il pourrait prendre sur mer. D'une proclamation de Charles I, du 23 juillet 1628, deux faits peuvent se déduire d'abord, que l'usage de faire l'échange des prisonniers pendant la guerre prenait faveur; ensuite, que le capteur réel, à cette époque, n'était pas entièrement dépouillé de l'intérêt privé qui le liait à ses prisonniers, puisqu'on voit que tous les prisonniers étaient amenés dans le royaume par des individus privés pour être détenus en prison aux frais des capteurs jusqu'à leur délivrance par voie d'échange ou autrement. A une époque postérieure du même siècle, nous obtenons des informations plus certaines; nous trouvons, en effet, à l'année 1666, mention, faite par d'Estrades, de l'envoi de Hollande en Angleterre d'une personne chargée d'une mission publique afin de négocier un échange de prisonniers entre l'Angleterre et la Hollande, qui étaient alors en guerre. Il ne paraît pas improbable que c'est aux Hollandais que l'humanité est redevable de l'initiative de l'usage moderne d'échanger les prisonniers pendant que la guerre dure encore.*

Bynkershoek, Qu. jur. publ., Liv. I, Ch. III.

2 Rymer, Fœdera, T. XVIII, p. 1035.

3 Lettres de M. le comte d'Estrades, T. III, p. 475. 43, Ch. Robinson's Reports, appendix A.

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178.— Entre autres dispositions de la paix de Munster, signée en 1646, l'article LXIII stipule que tous les prisonniers de guerre seront relâchés de part et d'autre sans rançon et sans distinction ni réserve; et c'est à peu près de la même époque qu'on peut dater l'introduction en Europe des cartels pour la mise en liberté des prisonniers moyennant un taux fixe de rançon, pendant que la guerre dure encore. De nos jours, il n'est pas hors d'usage que deux États en guerre l'un contre l'autre signent un arrangement, qu'on nomme cartel, soit pour échanger les prisonniers, soit pour les racheter moyennant des rançons à des taux fixes. C'est un cartel de ce genre qui fut conclu le 26 mars 1673 entre le duc de Luxembourg, pour Louis XIV, et le comte Horn, pour les États-Généraux, et d'après lequel une échelle proportionnelle de prix, payables en argent, était établie pour la rançon des officiers et des soldats selon leurs grades respectifs, pour les cas où il ne se trouverait pas d'officier ou de soldat de grade égal pouvant être mis en liberté en échange. Tous les officiers médecins et chirurgiens, avec leurs serviteurs, devaient être relâchés sans rançon. Des cartels analogues furent signés par les Français et les Hollandais en 1675,* par l'Empereur Léopold et Louis XIV en 1692,3 et par les Français et les armées impériales en Italie en 1701.* Assez fréquemment dans les cartels modernes on stipule non seulement la rançon de prisonniers pour une somme d'argent équivalente, dans le cas où l'on ne peut faire l'échange de prisonniers d'un grade égal, mais aussi la rançon de prisonniers moyennant la livraison de personnes estimées d'une importance équivalente, comme, par exemple, dans le cartel conclu en 1780 entre la France et la GrandeBretagne, aux termes duquel un maréchal de camp devait

1 Dumont, Corps diplomatique, T. VII, Part. I, p. 230. p. 292.

? Ibid.,

3 Tome VII, Part. II, p. 310.

Martens. Recueil, T. III, p. 310.

5 Lamberty's Memoirs, T. I, p. 694.

être racheté moyennant soixante livres sterling, ou contre la livraison de soixante simples soldats, dont chacun avait la faculté de se racheter pour une livre sterling. En 1813, la Grande-Bretagne et les États-Unis signèrent pour l'échange des prisonniers pendant la guerre un cartel, aux termes duquel était adopté le même mode d'échanger les prisonniers non seulement contre des prisonniers de même grade, mais aussi contre un nombre équivalent de soldats.' Pendant la guerre des puissances alliées contre la Russie, de 1854 à 1856, de fréquents échanges de prisonniers eurent lieu, et il fut arrêté, par une convention spéciale entre la France et l'Angleterre, que, chaque fois que les deux gouvernements alliés consentiraient à un échange de prisonniers avec l'ennemi, il ne serait fait aucune distinction entre leurs sujets respectifs tombés entre les mains de l'ennemi, mais que leur libération s'effectuerait suivant la priorité de leur capture respective, si ce n'est dans des circonstances spéciales réservées à la considération mutuelle des deux gouvernements. On a même jugé nécessaire, à ce qu'il paraît, de stipuler, dans le traité de Paris du 30 mars 1856, que les prisonniers de part et d'autre seraient relâchés sur le champ.3 Il convient qu'une semblable disposition soit, ex majore cautela, insérée dans tous les traités, même entre les puissances qui ne reconnaissent pas le status de la servitude domestique. Sir Robert Phillimore fait très justement observer que, si les prisonniers ne sont pas relâchés pendant la guerre, leur mise en liberté doit toujours être une des conditions de la paix qui met fin aux hostilités."

179.

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Le cartel de 1813 entre la Grande-Bretagne et les États-Unis portait que des agents américains pouvaient

1 National Advocate, may 26, 1813.

• Convention du 10 mai 1854. Martens, N. R. gen., XV, p. 595.

3 Les prisonniers de guerre seront immédiatement rendus de part et d'autre. Ibid., p. 774.

* Commentaries upon International law, III,

p. 145.

résider à Halifax et en d'autres endroits, et des agents anglais dans différentes localités des États-Unis. Il est d'usage, et évidemment de la dernière importance pour l'accomplissement de la tâche visée par un cartel, qu'un commissaire des prisonniers réside dans le pays de l'ennemi; et ce commissaire doit avoir la faculté d'accorder une passe, ou un sauf-conduit spécial, eundo et redeundo, aux navires employés à transporter les prisonniers qui ont été échangés ou rachetés. Ces navires sont désignés sous le nom de navires de cartel. L'emploi de ces navires, d'après les mêmes principes qui militent en faveur de tous les autres commercia belli tendant, autant que cela est compatible avec le but de la guerre, à en tempérer les violences, mérite d'être accueilli avec tous les meilleurs égards; aussi exige-t-il une grande délicatesse et honnêteté de part et d'autre, afin de ne laisser aucun motif de soupçonner qu'une mesure adoptée pour le bien général de l'humanité puisse devenir un stratagème de guerre ou une source d'abus frauduleux. En général, quand un navire navigue sous cartel, à moins de stipulation particulière touchant le caractère du navire destiné à ce service, il importe peu que ce soit un bâtiment marchand ou un vaisseau de guerre ; mais un navire de cartel n'a pas le droit de faire du commerce en transportant des marchandises ou des passagers moyennant un prix convenu; et un navire n'est pas protégé contre la capture, lorsqu'il se rend dans un port dans le but d'assumer le caractère de navire de cartel à son arrivée dans ce port; mais il est protégé contre la capture, lorsqu'il revient d'un port ennemi où il a transporté des prisonniers de guerre, jusqu'à ce qu'il soit arrivé dans un port de son pays, car il a droit à la protection pendant toute la durée du trajet entre les ports des deux

1 The Daifjie, 3, Ch. Rob., p. 143.

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The Venus, 4, Ch. Rob., p. 355. Lord Stowell a condamné, comme droit d'amirauté, un chargement qui avait été embarqué à Douvres à bord d'un navire cartel français, mouillé près du quai avec ses voiles déployées et tout prêt à retourner en France. La Rosine, 2 Ch. Rob., p. 373.

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