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gens,' cite un traité conclu le 30 juillet 1789 entre le Danemark et Gênes comme une exception à la règle que Lord Stowell affirmait, dans le cas que nous venons de mentionner, être reçue universellement en matière de prise, savoir: que les tribunaux du droit des gens doivent, en ces matières, exercer leur juridiction dans le pays belligérant. Il y a lieu cependant de douter que les dispositions de ce traité doivent être interprétées dans un sens qui autorise à les regarder comme faisant exception à la règle générale en pareilles matières. Voici la teneur de l'article XIII: « Si l'une des deux parties contractantes vient à avoir la guerre avec une puissance tierce, l'autre partie contractante, qui est restée neutre, sera la maîtresse, en vertu de l'article IV, d'admettre ou de refuser dans ses ports, de juger dans ses tribunaux d'amirauté ou de n'y pas juger des prises qui se feraient respectivement par les puissances belligérantes. » Dans l'interprétation de cet article du traité, il faut avoir égard aux dispositions de l'article IV, qui stipulent que l'une ou l'autre partie jouira de tous les droits de la neutralité, dans les cas où elle serait engagée dans une guerre, à condition d'observer tous les devoirs de la neutralité. Il est évident que l'article XIII doit être interprété conformément à l'article IV, qui a pour objet de ne pas accroître les droits d'un belligérant, mais d'assurer la reconnaissance de sa part des droits du neutre. Mais parmi les droits d'une puissance neutre figure celui d'accorder ou de refuser aux vaisseaux des puissances belligérantes l'entrée dans ses ports, comme aussi de laisser faire des captures ou de s'y refuser dans les limites de sa juridiction et en violation de son territoire. Les stipulations de l'article XIII du traité parlent en termes exprès d'une juridiction qui doit être exercée par les cours d'amirauté d'une puissance neutre en vertu de l'article IV, qui a pour objet de garantir à la puissance neutre la reconnais

1 Ch. XIII, p. 475, édition 1875.
* Martens, Recueil, T. IV, p. 449.

sance intégrale de ses droits de neutralité; et l'obtention de ce résultat serait facilitée en assurant à ces cours d'amirauté le droit de connaître toutes les questions impliquant violation de ces droits. Des procédures en pareilles matières, si elles prenaient origine dans une cour d'amirauté d'une puissance neutre, pourraient prima facie donner lieu à des objections de la part d'une puissance belligérante en l'absence de stipulations conventionnelles, attendu que, dans les cas où un vaisseau belligérant s'empare d'un vaisseau ennemi en violant le territoire d'une puissance neutre, la pratique ordinaire des temps modernes est que la puissance neutre adresse une plainte au gouvernement de la puissance belligérante; et lorsque la capture est en litige devant un tribunal de prises belligérant, le neutre réclame le relâchement du navire capturé, en se fondant sur ce que la capture a été opérée en violation de son territoire. Mais il est parfaitement compatible avec le respect dû aux droits d'un belligérant, que les tribunaux d'une puissance neutre connaissent des captures qui impliquent une violation de la souveraineté de cette puissance, si le capteur et sa prise sont trouvés dans les limites de sa juridiction; et il semble raisonnable d'interpréter l'article XIII du traité comme ayant pour but de prévenir toute discussion au sujet de l'exercice de ce droit, plutôt que d'accepter l'interprétation suggérée par M. Manning, d'après laquelle cet article tendrait à concéder au belligérant le privilège de tenir un tribunal de prises belligérant sur un territoire neutre.

CHAPITRE X

DES CORSAIRES.

187. Distinction à établir entre les armements en course et les lettres de marque. 188. Restrictions apportées successivement aux expéditions privées sur mer. 189. Corsaires au XVI et au XVIIe siè cle. 190. Une commission de guerre doit être à bord d'un corsaire. -191. Ce qui constitue une commission légale de guerre. - 192. Un corsaire ne peut avoir deux commissions de guerre de différentes puissances. 193. Les puissances belligérantes peuvent accorder des commissions de guerre à des étrangers. 194. Pratique anglaise de délivrer des commissions aux commandants de navires appartenant à des particuliers. 195. Restrictions apportées aux armements en course. 196. Objet des instructions adressées aux corsaires anglais. Pavillon distinctif des corsaires anglais. 197. Pavillon des corsaires étrangers. 198. Vérification du pavillon militaire d'un corsaire. -199. Un navire marchand neutre ne peut prétendre à vérifier le caractère belligérant d'un corsaire. 200. L'exercice du droit de visite et de recherche appartenant aux belligérants, réglé par des traités. 201. Les corsaires ne sont pas admis à la même réciprocité d'égards et de convenances que les navires publics de guerre. — 202. Restrictions imposées aux corsaires dans les eaux neutres.203. Restrictions mises par les traités à l'acceptation par les sujets neutres de lettres de marque des puissances belligérantes. 204. Prohibitions municipales contre l'acceptation par des nationaux de commissions de guerre des puissances étrangères. - 205. Les corsaires, selon des conventions spéciales, considérés comme des navires pirates. Distinction entre la piraterie selon des conventions spéciales et la piraterie selon le droit commun.-206. Conventions passées entre les États contre l'emploi des corsaires. — 207. Déclaration du Congrès de Paris de 1856.

187.-Les corsaires (privateers) sont des navires armés, qui sont équipés par des particuliers et naviguent sous le commandement d'un chef, auquel une puissance belligérante a accordé une commission, l'autorisant à saisir et à prendre. les navires et les marchandises des sujets d'une puissance

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ennemie. Le mot privateer est d'origine anglaise,' et paraît avoir été employé pour désigner une catégorie spéciale de navires armés appartenant à des particuliers, sous le règne du roi Charles II; mais aujourd'hui on l'applique indistinctement aux navires appartenant à des particuliers, qui naviguent pourvus de commissions de guerre, et à ceux auxquels ont été données des lettres de marque et de représailles. Cependant on doit essentiellement distinguer les navires de la première catégorie de ceux de la seconde, d'autant plus que la lettre de marque et de représailles peut être accordée au commandant d'un navire privé en temps de paix, et autorise seulement celui qui en est porteur à user de représailles contre les navires et les marchandises des sujets d'une puissance, qui a refusé de donner satisfaction pour un tort causé par un de ses sujets; tandis que la commission de guerre autorise la personne à laquelle elle est accordée à saisir et à prendre non seulement les navires et les marchandises appartenant aux sujets de la puissance contre laquelle la guerre a été déclarée ou autrement commencée, mais aussi les autres navires et marchandises passibles de confiscation selon les traités et le droit des gens. Toutefois la forme et les limites dans lesquelles les commissions de guerre peuvent être délivrées aux commandants de navires privés dépendent du libre arbitre de chaque puissance belligérante et sont sujettes, en tout cas, aux mêmes réserves, quelles qu'elles soient, que le droit des gens a attachées aux commissions délivrées aux navires publics.2

Le nom hollandais des corsaires est kapers ou commissie-vaarders. Bynkershoek, Obs. jur. publ. L. 1, c. 118. De prædatoria privata. 2 Le mot privateer, autant que sache l'auteur, se trouve pour la première fois dans une lettre de Sir Leoline Jenkins du 5 décembre 1665 (Life of Sir Leoline Jenkins, II, p. 727). Lord Clarendon, dans sa Vie (II, p. 335), en racontant les événements de la même année 1665, dit : « Il fut résolu que tous les encouragements possibles seraient donnés aux privateers (corsaires), c'est-à-dire à tous ceux qui recevraient des commissions de l'amiral afin d'équiper des vaisseaux de guerre, comme on les appelle, pour faire des prises sur l'ennemi. >>

188.- Il semblerait, si de la pratique des rois d'Aragon on peut tirer une conclusion générale, que c'était la coutume des princes souverains au quatorzième siècle de compter sur les efforts volontaires de leurs sujets, toutes les fois que l'occasion se présentait de se venger d'un tort qui leur était causé sur la haute mer, et d'accorder en pareils cas des lettres patentes au commandant d'une flotte armée (armada), dont les navires ou les vaisseaux étaient équipés aux frais de particuliers.' Sous l'autorité de ces lettres patentes le commandant ou capitaine en chef de l'armada exerçait surtous les navires et les vaisseaux qui prenaient part à une expédition une juridiction secundum statum et consuetudinem Armatæ. Les ordonnances sur les armements en course,* qui sont généralement imprimées à la suite des Coutumes de la Mer dans le Consolat del Mar comme si elles formaient une portion de ces anciennes coutumes, contiennent des règlements pour la gouverne des navires armés pour la course, appartenant à des particuliers; et il en ressort que le commandant en chef de l'expédition avait le titre d'amiral et exerçait une juridiction conforme à un usage établi « d'après les usages de la course ». La teneur de ces ordonnances, dont la compilation remonte probablement à la première partie du XIVe siècle, vu que évidemment l'usage de l'artillerie n'était pas connu lorsqu'elles furent rédigées, montre que les commandants des croiseurs privés n'avaient pas à cette époque besoin d'une licence ou d'une commission expresse d'une puissance belligérante, et n'étaient

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1 Privilège pour les amateurs en course de 1330. Pardessus, Lois maritimes, V, p. 393.

Ces chapitres forment un ouvrage distinct des Coutumes de la mer, et M. Pardessus les a judicieusement publiés sous une forme séparée. Lois maritimes, T. V, p. 396.

3 La commission accordée par le roi Henry VIII (en l'an 1512) à Sir Edward Howard, en qualité d'amiral de la mer, dans l'expédition contre le roi de France en Guienne, et l'autorisant à commander tous les capitaines ou chefs de navires et autres prenant part à l'expédition, se trouve dans les Fœdera de Rymer, T. XIII, p. 229.

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