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Souverains. Au XIVe siècle, les lois municipales de divers pays défendirent aux particuliers d'exercer des représailles avant d'avoir préalablement obtenu des lettres de marque d'un souverain. Plusieurs traités de paix du XVe siècle' contiennent des stipulations portant que tous les navires qui sortent d'un port doivent donner l'assurance de ne point exercer de représailles; on rencontre dans le même siècle d'autres traités où les parties contractantes s'engagent à n'accorder en aucun cas le droit de représailles à leurs sujets, s'ils n'ont auparavant adressé une plainte au souverain dont sont sujets les individus qui leur ont causé un tort, et si une réparation leur a été refusée. Au XVIe siècle, nous trouvons stipulé dans divers traités de commerce que ni l'une ni l'autre des parties contractantes n'accorderont des lettres de marque ou de représailles contre d'autres personnes que les auteurs principaux de l'offense et contre leurs biens, et seulement pour refus ou retard manifeste de rendre satisfaction.* Au XVIIe siècle apparaissent pour la première fois des traités dans lesquels il est convenu que les représailles ne seront accordées d'aucune part, mais que prompte satisfaction devra être rendue. Toutefois ces traités sont exceptionnels; dans la plupart des traités de cette époque, il est stipulé que si justice n'est pas rendue dans un délai fixé, par exemple, de trois, de quatre ou de six mois, les représailles doivent être accordées. Au XVIIIe siècle, on signale un grand nombre de traités où il est dit que les biens des sujets de l'une des parties qui se trouveront sur le territoire de l'autre seront exempts de saisie par voie de représailles, si ce n'est pour

1 Edw. III, St. 2, c. 17, anno 1359.

Traités entre la France et l'Angleterre, année 1440. Dumont, T. III, partie I, p. 548; - entre l'Espagne et l'Angleterre, année 1489. Dumont, T. II, partie II, p. 219.

3 Traité entre la France et l'Espagne, année 1489. Dumont, T. IV, P. II, P. 11.

• Traité entre la France et l'Angleterre, année 1510. Dumont, T. IV, P. I, p. 126.

Traité entre l'Angleterre et le Danemark, année 1621, Dumont, T, V, P. II, p. 393.

cause de dette ou d'offense du fait du propriétaire.' Dans notre siècle, l'œuvre du Congrès de Paris a été couronnée par l'abolition de la coutume qu'avaient les souverains de délivrer des lettres de marque, au moins en ce qui concerne les nations signataires de la Déclaration de Paris, dont le premier article proclame que «< la course est et demeure abolie. » Les effets de cette déclaration seront étudiés dans un prochain chapitre, où nous soumettrons à un examen plus approfondi la course et l'emploi des corsaires.

'Traités entre la France et les Provinces-Unies, année 1739;- France et Danemark, 1742; Suède et Etats-Unis, 1783; Prusse et EtatsUnis, 1785; Autriche et Russie, 1785; Angleterre et France, 1786; - France et Russie, 1787; Russie et Portugal, 1787.

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2 Martens, N. R. gen., XV, p. 768.

CHAPITRE II

LA GUERRE ET SES TRAITS CARACTÉRISTIQUES.

22. Définition de la guerre par Grotius. - 23. Définition du Bynkers. hoek.-24. La guerre est la lutte de communautés politiques indépendantes à la poursuite du droit. -25. Manière de Grotius d'envisager les hostilités privées. Albéric Gentil. - 26. La guerre est une alternative nécessaire. - 27. Bacon envisageait la guerre comme l'épreuve suprême du droit. Grotius. - 28. La paix privée est incompatible avec la guerre publique. - 29. Recours légitime à la guerre. - 30. Guerre offensive et guerre défensive. Vattel. Grotius. - 31. Déclaration formelle de guerre. Droit de l'Empire Germanique au XII siècle. Droit de l'Europe au XIV• siècle. - 32. Déclaration de guerre par des hérauts d'armes. Proclamation de la guerre à l'intérieur par des hérauts. L'Angleterre n'a pas fait de déclaration de guerre par héraut depuis le règne de la reine Marie, Dernière déclaration de guerre par héraut d'armes en 1657, à Copenhague. — 33. Déclarations de guerres imprimées, sous le règne de Charles II. Manifestes de guerre aux nations neutres. -34. Rappel des envoyés résidant. 35. L'usage des déclarations formelles de guerre est tombé en désuétude. Dernière déclaration formelle de guerre par la Grande-Bretagne en 1762. Lettre du Lord chancelier Thurlow en 1778.36. Objet des proclamations de guerre à .'intérieur. - 87. Objet des manifestes aux puissances neutres. — 38. Opinion de M. Hautefeuille sur la nécessité d'une déclaration de guerre. Etat de guerre de fait. Le Texas et le Mexique. Opinion de Burlamaqui. Pratique des États-Unis d'Amérique. 39. Maintien conditionnel du status ante bellum. — 40. Une déclaration unilatérale de guerre autorise des hostilités réciproques. 41. Rappel ou renvoi des envoyés résidant. Traités. Ignorance des hostilités de la part des neutres.

22. Grotius, au commencement de son ouvrage, définit la guerre : « l'état ou la condition de parties soutenant une contestation par la force. » Sous cette large acception

1 Status per vim certantium quâ tales sunt. De jure belli et pacis, L. I, Ch. 1, § 11.

du mot «< guerre », Grotius comprend toute lutte par la force, sans en exclure même les combats singuliers, qu'il regarde comme une forme de guerre privée; et attendu qu'ils sont plus anciens que les guerres publiques et d'une nature commune, il est d'avis de les classer sous le même titre général. En adoptant cette terminologie, Grotius reconnaît que le mot guerre avait été, antérieurement à son époque, employé pour désigner les luttes publiques par opposition aux luttes privées par la force, et il en donne pour raison que l'espèce (species) la plus éminente s'arroge souvent le nom du genre (genus) qui en dépend. Il explique en même temps qu'il ne comprend pas la justice dans la définition qu'il donne de la guerre, parce que l'objet de ses études est de déterminer si une guerre peut être juste et, dans l'affirmative, quelle guerre peut être qualifiée de juste; il a donc été obligé d'établir une distinction entre le terme guerre et la question qu'il s'est proposé d'examiner relativement au même sujet.

23.

Bynkershoek trouve imparfaite la définition adoptée par Grotius, quoiqu'il soit d'accord avec lui pour considérer la guerre comme étant l'état ou la condition de parties en dispute, distinct d'un acte de dispute ou de la contestation même. Il propose la définition suivante, qu'il estime être plus complète : « la guerre est la lutte, par force ou par dol, de parties indépendantes revendiquant leur droit. « Bellum est eorum, qui suæ potestatis sunt, juris sui persequendi concertatio per vim vel dolum.» En adoptant cette définition, Bynkershoek admet que la guerre peut exister entre les individus aussi bien qu'entre les États, mais seulement dans le cas où les individus sont indépendants (suæ potestatis), c'est-à-dire qu'ils ne reconnaissent pas de supérieur politique. Il rejette absolument la notion de la guerre privée comme espèce distincte de guerre, même en théorie, attendu

1 Observationes juris publiçi, L. I, Ch. 1.

que le mot privé implique un corps politique, dont les parties en lutte sont respectivement membres et, partant, comme telles, ne sont pas indépendantes (suæ potestatis). La guerre, selon Bynkershoek, ne saurait proprement se dire que des luttes par force ou par dol engagées entre des parties qui ne reconnaissent pas de supérieur politique, et qui par conséquent ne peuvent avoir recours à un juge commun, en d'autres termes entre des corps politiques indépendants; car l'individu qui vit en état d'isolement est une personne idéale, dont la contre-partie ne se trouve pas dans la vie réelle. Bynkershoek ajoute que l'objet de toute guerre est la poursuite du droit par la voie de la défense ou de la satisfaction personnelle; et sous ce rapport sa définition est d'accord avec l'idée plus complète de la guerre, dont Grotius a donné un simple aperçu dans son chapitre préliminaire, lorsqu'il dit qu'aucune guerre ne devrait être entreprise que pour obtenir justice, et qu'une fois qu'elle l'a été, elle ne devrait pas être poussée au delà des limites du droit et de la bonne foi.1

24.

La différence la plus importante entre les définitions respectivement adoptées par Grotius et Bynkershoek consiste en ce que ce dernier limite l'application du mot guerre à la lutte de parties indépendantes ou maîtresses d'elles-mêmes (suæ potestatis). Envisagée au point de vue des droits et des obligations, la guerre en confère certains, non seulement aux nations belligérantes mêmes, mais aussi à d'autres nations qui ne prennent point part au conflit, mais sont dites être du parti ¡neutre, neutrarum partium. L'état de guerre, lorsqu'il existe entre deux nations, donne à ces nations, comme belligérants, des droits spéciaux, qu'elles n'ont pas pendant l'état de paix, relativement l'une à l'autre ainsi qu'aux autres nations. C'est pourquoi il semblerait déraisonnable de prétendre que tandis

1 Prolegomena, § 26.

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