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été faite dans ce but jusqu'à l'époque où les États-Unis d'Amérique sont venus prendre place dans la famille des nations; alors entre la Prusse et les États-Unis, le 10 septembre 1785, fut conclu un traité, qui ne paraît pas être allé jusqu'à obliger l'une ou l'autre des parties contractantes à renoncer à l'usage d'accorder des commissions de guerre à des navires privés, mais les obligeait seulement, en cas de guerre entre elles, à ne pas octroyer de commissions autorisant des corsaires à commettre des déprédations sur les navires marchands de l'une ou de l'autre partie chargés de cargaisons inoffensives. Quant à une tierce puissance avec laquelle l'une ou l'autre pourrait être en guerre, les parties contractantes avaient évidemment en vue de continuer l'usage d'armer des navires privés contre cette puissance, et des dispositions expresses furent stipulées pour assurer à leurs corsaires la libre admission avec leurs prises dans les ports de l'une ou de l'autre partie. Ce traité fut négocié par Benjamin Franklin, qui paraît avoir eu réellement pour but d'obtenir que la propriété privée sur la haute mer fût exemptée de capture par les belligérants dans les cas où elle n'avait pas le caractère de contrebande et n'était pas en voie de transport pour un pays ennemi ; et l'abolition des corsaires était un des moyens par lesquels il espérait atteindre ce but. Dans cette hypothèse, la conduite du Président des États-Unis, à l'occasion de la déclaration de droit maritime faite au Congrès de Paris de 1856, n'implique pas une dérogation de la politique suivie les États-Unis en 1785. *

par

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Tous les vaisseaux marchands et commerçants, employés à l'échange des productions de différents endroits et par conséquent à faciliter et à répandre les nécessités, les commodités et les douceurs de la vie, passeront librement et sans être molestés. Et les deux puissances contractantes s'engagent à n'accorder aucune commission à des vaisseaux armés en course, qui les autorisât à prendre ou à détruire ces sortes de vaisseaux marchands ou à interrompre le commerce, Martens, Recueil, IV, p. 47, art. XXIII.

* La seconde édition annotée de l'ouvrage de Wheaton « Eléments de droit international », p. 628, publiée en 1863, mérite d'être consultée à ce

pas

207. La déclaration du congrès de Paris du 16 avril 1856 porte que « la course est et demeure abolie. » 1 M. Lawrence, dans sa dernière édition des « Éléments » de Wheaton, fait très justement remarquer que cette déclaration ne lie que ceux qui y ont pris part,et n'établit pas que la course soit une infraction au droit des gens. »> « La déclaration », dit-il, « n'est qu'un engagement, de la part des Etats qui y ont adhéré, de ne pas délivrer de commissions dans ce but; elle ne crée d'elle-même une nouvelle offense contre le droit des gens; tandis que la réserve admise par le Congrès, à la suggestion du plénipotentiaire russe, qu'il ne serait pas obligatoire pour les signataires de la déclaration de maintenir le principe de l'abolition de la course contre ceux qui n'y accédaient pas," a reçu une interprétation pratique par le mode d'agir adopté par l'Angleterre, la France et d'autres pays dans leurs déclarations relatives à la contestation qui est déjà terminée en Amérique ». Comme la réciprocité est une condition implicite de tous les droits et de toutes les obligations reconnus par le droit commun des gens, et comme le droit de délivrer des commissions et des lettres de marque aux commandants de navires de guerre appartenant à des particuliers est un privilège de droit commun, il semblerait, en envisageant de la manière la plus complète la portée de la déclaration de Paris relativement aux droits et aux obligations de chacune des parties qui y ont pris part, que cette déclaration n'a affecté en rien les droits et les obligations de droit commun de ces parties à l'égard des nations qui n'y ont pas adhéré. Si donc l'Autriche venait à être en guerre avec les Etats-Unis d'Amérique, c'est le droit commun des gens qui régirait les droits et les obligations de l'une et de l'autre puissance relativement à l'emploi de corsaires, sauf cette différence, toutefois,

sujet. Elle a été enrichie de diverses notes par son savant éditeur, M.William Beach Lawrence.

1 Martens, N. R. gén. XV, p. 792.

2 Protocol no 23, Martens, N. R. gén. XV p. 768. Voir l'appendice. Lawrence's Wheaton. Londres, 1863 p. 255.

que tandis que les Etats-Unis d'Amérique seraient libres d'enjoindre à leurs corsaires de visiter et, s'il y avait motif justifiable, de capturer tous les navires neutres à l'égal des navires ennemis, l'Autriche, comme signataire de la déclaration de Paris, serait tenue de recommander à ses corsaires de s'abstenir de molester en rien les navires appartenant à des sujets de toutes celles des puissances qui ont accédé à la déclaration de Paris, puisque l'emploi de corsaires de la part des signataires de la déclaration est aboli. '

1 Le congrès des États Unis a passé, le 3 mars 1863, un acte autorisant le Président, dans toute guerre étrangère ou intérieure, à délivrer des lettres de marque; mais la durée de cet acte était limitée à trois ans, et il ne parait pas avoir été jamais mis en vigueur, quoique les Etats Confédérés aient accordé des lettres de marque à plusieurs navires privés armés en guerre.

Tw. - II.

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CHAPITRE XI

DROITS ET DEVOIRS DES PUISSANCES NEUTRES.

208.Opinion de Grotius concernant les rapports entre les belligérants et les neutres. 209. Au XVIIIe siècle ce sujet a acquis plus d'importance. 210. Opinion de Bynkershoek. - 211. Opinions de Wolf et de Vattel. - 212. Opinion de Martens. 213. Liberté entière de commerce sur le territoire d'une puissance neutre. 214. Distinction entre le commerce sur la haute mer et le commerce sur le ter

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ritoire des puissances neutres. - 215. État (status) exceptionnel du commerçant sur la haute mer. 216. Devoirs politiques des nations neutres à l'égard des belligérants. - 217. Inviolabilité du territoire d'une nation neutre. 218. Passage des belligérants par le territoire neutre. 219. Les puissances neutres sont libres d'accorder ou de refuser l'hospitalité aux navires belligérants.—220. Droits de police des neutres sur les navires de guerre des belligérants dans les eaux neutres. 221. Droit d'une puissance neutre d'exclure les corsaires et toutes les prises de guerre de ses ports. — 222. Droit d'une puissance neutre de laisser les puissances belligérantes recruter des troupes sur son territoire. - 223. Opinion du gouvernement des États Unis relativement à l'enrôlement de troupes par les belligérants sur le territoire neutre.-224. Droit d'une puissance neutre de défendre l'enrôlement de troupes sur son territoire.

208. Grotius, en traitant des neutres dans la guerre (qui in bello medii sunt), fait observer que : « il pourrait paraître superflu de parler de ceux qui ne prennent point part à une guerre, puisqu'il est manifeste qu'aucun droit de guerre n'existe contre eux. Mais comme à l'occasion de la guerre beaucoup de choses sont ordinairement entreprises contre les neutres, surtout s'ils sont voisins, sous le prétexte de la nécessité, il faut répéter ici brièvement ce qui a été dit. déjà (L. III, chap. II, § 10): que pour que la nécessité donne quelque droit sur le bien d'autrui, elle doit être extrême;

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qu'il est requis, de plus, qu'une nécessité égale n'existe pas pour le propriétaire lui-même; qu'alors même que la nécessité est constatée, on ne doit rien prendre au delà de ce qu'elle exige strictement, c'est-à-dire que si la garde d'une chose suffit, il ne faut pas la détruire; que s'il est besoin de la détruire, le prix de la chose doit toujours être restitué. » Après avoir démontré l'application de ces principes par des exemples de la conduité de belligérants envers des neutres, tirés des Annales de l'histoire des Grecs et des Romains, Grotius poursuit en examinant les devoirs des neutres à l'égard des belligérants. « D'autre part », dit-il, «il est du devoir de ceux qui se tiennent en dehors de la guerre de ne rien faire qui puisse rendre plus fort celui qui soutient une cause injuste, ou qui empêche les opérations de celui qui fait une guerre juste; mais, en cas douteux, de tenir une conduite égale entre les deux, en ce qui concerne la permission du passage, les vivres à fournir aux troupes pendant leur marche, le refus de secours aux assiégés. »1

Telle est la substance d'un, chapitre au sujet des neutres en temps de guerre; il est de courte teneur; mais, selon toute probabilité, il correspondait entièrement à l'importance restreinte qu'on attachait à cette matière dans la première partie du dix-septième siècle.

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209. Cependant pour les publicistes du dix-huitième siècle les droits et les devoirs des nations neutres étaient devenus une question d'un plus grand intérêt. Les guerres de religion du XVIIe siècle avaient entraîné presque toutes les puissances maritimes de l'Europe sur les champs de bataille, et plus s'agrandissait la sphère de la guerre sur mer, plus chez les belligérants croissait la tendance à invoquer indùment le prétexte de la nécessité comme un moyen de justifier l'exercice de leur part du droit d'entraver le commerce

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1In re vero dubia æquos se præbere utrique, in permittendo transitu, in commeatu præbendo legionibus, in obsessis non sublevandis. » jure belli et pacis. Liv. III, Ch. XVII, § 1, 3.

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