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manière dont cette règle est observée habituellement, dans ce qui s'est passé au mois de décembre 1759, lorsqu'une flotte anglaise était entrée dans le port de Cadix pendant qu'un navire français, le Fantasque, y était à l'ancre. Le gouverneur de Cadix envoya aussitôt demander à l'amiral anglais de laisser au capitaine du navire français la faculté de mettre à la voile vingt-quatre heures au moins avant le départ de la flotte anglaise ; l'amiral Broderick s'empressa d'accéder à la demande du gouverneur. La même règle avait déjà été appliquée par le roi d'Espagne dans le siècle précédent : c'est ce qui ressort de l'ordonnance royale du 18 juin 1653, édictée à l'occasion d'hostilités entre les Anglais et les Hollandais. 1

Azuni a exposé longuement les règlements de police, que les nations neutres ont successivement jugé à propos de mettre à exécution contre les navires de guerre belligérants, profitant de l'asile des eaux neutres.

1o Les corsaires et tous les vaisseaux de guerre doivent observer la paix et une parfaite tranquillité à l'égard de toutes les parties, et particulièrement à l'égard des sujets et des navires de leurs ennemis, quand même ces navires sont des corsaires ou des bâtiments de guerre.

2o Il est défendu aux corsaires et aux navires de guerre d'augmenter le nombre de leur équipage, en recevant à bord des marins de quelque nationalité qu'ils soient, sans excepter même leurs propres nationaux, qui ont pu être enrôlés pour le service militaire.

3° Ils ne peuvent augmenter le nombre ou le calibre de leurs canons, ni la quantité de leurs munitions.

1 Cette ordonnance est publiée in extenso dans le livre d'Abreu, Tratado juridico politico sobre presas de mur, Cadix, 1746, C.4, p. 62.-On trouve dans Martens, Recueil, T. III p. 67, un règlement de la République de Gènes à ce sujet, édicté en 1779.-— La règle des vingt-quatre heures a été appliquée par le gouvernement anglais dans le cas du navire des EtatsUnis Tuscarora et du ravire à vapeur confédéré Nashville dans le port de Southampton, le 29 janvier 1862.

* Droit maritime, T. I, Ch. V, p. 409,

4° Ils ne peuvent faire sentinelle dans le port, ni chercher à se procurer des informations sur les navires qu'on présume devoir y toucher. Dans le cas où ils en découvriraient quelques-uns, ils ne doivent pas sortir du port dans le dessein de les attaquer; s'ils le faisaient, les batteries et les navires de guerre dans le port pourraient tirer sur eux pour les contraindre à revenir.

5o Ils ne peuvent mettre à la voile après qu'un navire ennemi a fait déraper son ancre; ils doivent laisser s'écouler un intervalle d'au moins 24 heures entre son départ et le leur. Après ce délai expiré, si le navire ennemi est encore en vue du port, le navire belligérant doit retarder son départ jusqu'à ce que l'autre bâtiment soit hors de vue et qu'on ne puisse connaître la direction qu'il a prise.

6o Ils ne peuvent se mettre en embuscade dans les baies ou les golfes, ni se cacher derrière des promontoires ou de petites îles dépendant du territoire neutre, afin de guetter les navires ennemis et de leur donner la chasse. Ils ne doivent en aucune façon gèner l'approche des navires, de quelque nationalité qu'ils soient, des ports ou des côtes d'une nation

neutre.

7° Ils ne peuvent, pendant tout le temps qu'ils séjournent dans les ports ou les mers territoriales d'une nation neutre, recourir à la force ou aux stratagèmes pour recousser les prises au pouvoir de l'ennemi, ou pour délivrer leurs concitoyens faits prisonniers.

8° Ils ne peuvent procéder à la vente ou à l'achat des prises faites par eux, avant qu'un jugement légal en ait établi la validité.

Les règles qui précèdent sont le résumé d'une longue série d'ordonnances édictées successivement par les diverses puissances neutres, à mesure que les circonstances en démontraient la nécessité. Cependant une puissance neutre n'est pas obligée d'exercer la police de son territoire contre les sujets d'une puissance belligérante au delà de ce qu'il faut pour assurer la protection des sujets de l'autre belligérant,

tant qu'ils se trouvent sous la souveraineté de cette puis

sance neutre.

221. Il n'est nullement rare qu'un État neutre refuse entièrement l'accès de ses eaux intérieures aux corsaires d'une puissance belligérante. Ainsi, pendant la guerre entre les puissances alliées et la Russie en 1854, le roi de Suède et Norvège rendit une ordonnance, en date du 24 mars de la même année, portant interdiction aux corsaires étrangers d'entrer dans aucun port de la Suède ou de séjourner dans ses rades. Ces défenses ne sont toutefois pas, dans la pratique, interprétées dans un sens assez rigoureux pour refuser aux corsaires un refuge dans les eaux neutres contre l'attaque de l'ennemi ou contre les périls de mer. Ainsi, dans des cas même où un État a pris par traité l'engagement' d'interdire aux corsaires appartenant aux ennemis de l'autre partie contractante tout commerce avec ses sujets, exception est ordinairement faite en faveur des devoirs d'humanité, qu'on remplit à l'égard de ces corsaires, s'ils se trouvent en détresse. Un État neutre est aussi tout à fait libre de défendre, par proclamation ou autrement, aux navires publics des puissances belligérantes, ainsi qu'aux corsaires, d'amener leurs prises dans ses ports. Cependant, lorsqu'un État neutre garde le silence à ce sujet, une puissance belligérante est en droit de présumer que ses navires armés peuvent entrer librement dans les ports de l'État neutre avec leurs prises et leurs prisonniers, et qu'ils auront la liberté d'en sortir avec eux sans être inquiétés.

Il paraît qu'il y eut un temps où les jurisconsultes, s'appuyant sur la doctrine que la détention et la garde des prisonniers de guerre sont une continuation des hostilités, étaient disposés à soutenir que ces prisonniers avaient droit d'être mis en liberté, s'ils étaient amenés dans des eaux neu

1 Traité du 6 février 1778 entre les Etats-Unis d'Amérique et la France. Martens, Recueil, II, p. 597. — De Clercq, Recueil, T. XV. — Traité du 19 novembre 1794 entre les Etats-Unis d'Amérique et la Grande-Bretagne. Martens, ibid. V. p. 682.

tres, quoiqu'ils ne fussent pas débarqués sur le rivage de l'État neutre. Cependant Bynkershoek a fait remarquer qu'en pareil cas, lorsque la capture est complètement effectuée, il s'établit un état de possession légitime, qu'une tierce puissance ne saurait troubler sans manquer aux devoirs de l'impartialité. Il ne peut être douteux que, selon l'usage des nations, si un navire armé, sous pavillon d'une puissance belligérante, a été admis dans le port d'une puissance neutre, sans que cette puissance lui ait notifié l'intention de l'empêcher de garder ses prises ou ses prisonniers, le gouvernement neutre ne tiendrait pas une conduite conforme à la neutralité en mettant ces prises ou ces prisonniers en liberté. Mais, par contre, si les prisonniers s'étaient évadés et avaient mis pied à terre sans intervention de la part de la puissance neutre, ils se seraient ainsi affranchis de la possession de la puissance belligérante, et la puissance neutre serait tenue de maintenir leur état de liberté, de même qu'elle l'était dans le cas précédent de maintenir leur état de captivité.

Une question de ce genre a été soulevée, dans le cours de la guerre entre les puissances alliées et la Russie en 1854, à l'occasion d'un navire de guerre anglais, qui était entré dans la baie de San Francisco, dans l'État de la Californie, accompagné d'un bâtiment russe, le Sitka, qui avait été pris et amariné par un équipage de prise anglais. Le 25 novembre 1854, une pétition fut présentée à une cour de droit municipal à San Francisco, au nom de deux marins russes, prétendant être détenus illégalement à bord du Sitka par le capitaine et l'équipage de prise, auxquels ils demandaient qu'on adressat un ordre de habeas corpus. La cour accorda cet ordre, qui fut duement signifié au capitaine de prise ; mais celui-ci sans tarder fit lever l'ancre du Sitka et fit voile

1 Apud eos qui utrinque simpliciter amici sunt, status rerum hominumve nostrorum non mutatur,cum nulla sit mutandi causa. 1.Unde miror Gentilem uliosque existimasse postliminio reverti quæcumque in non hostis imperium delata sunt, et, quod ei consequens est, captivos in territorium amici deductos fieri liberos. Quæst. jur. publ. Univ. Liv. I, Ch. XV.

hors de la juridiction de l'État de la Californie. L'affaire ayant été soumise au gouvernement fédéral, le procureur général des États-Unis émit l'avis que la conduite du capitaine de prise ne constituait pas une juste cause de plainte de la part des États-Unis selon le droit des gens, ou selon aucun traité existant entre les États-Unis et une puissance étrangère.

222. Les propositions suivantes expliquent la manière dont les États-Unis d'Amérique envisagent le privilège d'asile dans les eaux neutres. Elles ont été publiées en 1855, et elles se trouvent d'accord avec la pratique des puissances européennes :

1. Les navires de guerre et les corsaires belligérants, ainsi que leurs prises, ont droit, par raison d'humanité, à un refuge temporaire dans les eaux neutres pour se mettre à l'abri des accidents de mer ou de guerre.

2. Selon le droit des gens, les navires de guerre belligérants, avec leurs prises, jouissent de l'asile dans les ports neutres dans le but de se procurer des vivres ou de subir des réparations, au gré du souverain neutre, qui peut refuser l'asile absolument ou l'accorder dans les conditions de durée, d'emplacement ou autres qu'il juge convenables, pourvu que sous ce rapport il observe une stricte impartialité à l'égard de toutes les puissances belligérantes.

3. Quand l'État neutre n'a pas signifié sa détermination de refuser le privilège d'asile aux navires de guerre et aux corsaires belligérants, ou à leurs prises, l'un ou l'autre des belligérants a le droit de présumer que le privilège existe et d'en prendre jouissance, en se conformant aux règlements et aux restrictions qu'il plaît à l'État neutre de prescrire pour sa propre sûreté.

4. Les États-Unis ne se sont point obligés par traité avec les belligérants actuels à accorder l'asile à l'un ou à l'autre ; ils n'ont point non plus notifié qu'ils ne le feront pas ; et na

1 Opinions of the Attorneys general of the United States. T. VII, p. 123.

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