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CHAPITRE XII

DROITS ET DEVOIRS DES PUISSANCES NEUTRES (suite).

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226. Commerce sur le territoire d'un État neutre.-227. Achat et vente de navires par les sujets des puissances neutres. 228. Vente de navires de guerre par une puissance neutre. - 229. La neutralité modifiée par des engagements de traités. 230. Le non-empêchement du commerce compatible avec la neutralité d'un État. — 231. La politique des États-Unis d'Amérique, comme puissance neutre, est d'interdire certaines branches de commerce.232. Le commerce, à moins qu'il ne soit interdit, n'est pas une violation de la souveraineté d'un État neutre. - 233. Juridiction sur les captures dans les eaux neutres exercée par la puissance neutre. 234. Juridiction exercée chez les anciens par les puissances neutres en matière de prises. 235. Les tribunaux neutres de prises ne traitent pas la question des dommages. — 26. Une puissance neutre peut réclamer un navire, capturé en violation de son territoire, pardevant un tribunal de prises du belligérant.-237. Les puissances neutres n'interposent pas leur juridiction en cas de rescousse. 238. Conflit de juridiction entre une cour d'amirauté neutre et une cour de prises d'une puissance belligérante. - 239. Devoirs d'une puissance neutre en cas de guerre civile. 240. Le droit de capture appartenant aux belligérants est compatible avec l'indépendance des puissances neutres.

226. Les commerçants, sujets de puissances étrangères, lorsqu'ils cherchent à exercer le commerce sur le territoire d'un État indépendant, sont soumis à la souveraineté absolue de cet État, à moins que leur commerce ne soit pratiqué en vertu d'engagements conventionnels d'un caractère spécial entre le souverain auquel ils doivent l'allégeance naturelle et le souverain dans les ports duquel ils cherchent à exercer le commerce. Tout État indépendant a droit par conséquent de faire des lois pour le règlement du commerce des marchands étrangers dans ses ports, et il est

libre de permettre ou d'interdire aux commerçants étrangers tout trafic de certains articles sur son territoire. Ce droit absolu de tout État indépendant de régler le commerce des marchands étrangers qui fréquentent ses ports n'est pas affecté par la circonstance que d'autres nations sont en guerre les unes avec les autres, si ce n'est que, s'il désire observer un état de neutralité entre les nations belligérantes, il doit permettre ou défendre également aux sujets de l'une ou de l'autre nation belligérante de faire du commerce sur son territoire; et s'il laisse les sujets de l'une ou de l'autre des puissances belligérantes faire du commerce dans ses ports, il est essentiel, pour le maintien de son caractère d'État ami, qu'il les protège dans leur trafic. Pour justifier la légitimité du commerce sur le territoire d'un État neutre, peu importe la nature des articles dont les marchands cherchent à trafiquer, pourvu que ces articles ne soient pas prohibés comme objets de commerce par les lois de cet État. Que ce soient des armes bonnes pour la chasse ou pour la guerre, ou que ce soient des navires propres à transporter des chargements ou des canons, cela est parfaitement indifférent, si le trafic de ces articles fait partie du commerce habituel dans les ports d'un État neutre. Vattel ne considère pas le commerce d'armes et de navires comme une exception au commerce général que toute puissance peut permettre d'exercer sur son territoire1 sans violer l'état de neutralité. « Si une nation » et Vattel entend par là les sujets domiciliés. d'une nation -« fait le commerce d'armes, de bois de construction pour navires, de vaisseaux et de munitions de guerre, je ne puis trouver mauvais qu'elle vende de tout cela à mon ennemi, pourvu qu'elle ne refuse pas aussi de m'en vendre à un prix raisonnable: elle exerce son trafic sans dessein de me nuire; et en le continuant, comme si je n'avais point de guerre, elle ne me donne aucun juste sujet de plainte. Je suppose, dans ce que je viens de dire, que mon

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1 Liv. III, Ch. VII, § 110.

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ennemi va acheter lui-mème dans un pays neutre. Parlons maintenant d'un autre cas, du commerce que les nations neutres vont exercer chez mon ennemi. Il est certain que, ne prenant aucune part à ma querelle, elles ne sont point tenues de renoncer à leur trafic, pour éviter de fournir à mon ennemi les moyens de me faire la guerre. Si elles affectaient de ne me vendre aucun article en prenant des mesures pour les porter en abondance à mon ennemi dans la vue manifeste de le favoriser, cette partialité les ferait sortir de la neutralité. Mais si elles ne font que suivre tout uniment leur commerce, elles ne se déclarent point par là contre mes intérêts elles exercent un droit que rien ne les oblige de me sacrifier. Une puissance neutre ne fait donc rien d'incompatible avec la neutralité en laissant ses sujets porter des articles quelconques de commerce aux marchés situés sur le territoire d'une puissance belligérante; et le droit commun des gens ne lui fait pas une obligation d'exercer son droit de souveraineté sur les étrangers qui fréquentent ses marchés, afin d'empêcher l'exportation des marchandises qu'ils ont pu y acheter. Au contraire, quoique un État indépendant ait la faculté de refuser à toutes les nations la liberté de trafiquer d'un article particulier de marchandise sur son territoire, si ce refus a pour motif d'entraver les opérations militaires de l'une des puissances belligérantes et de favoriser l'autre, il est manifeste qu'une pareille conduite serait une infraction à la neutralité.*

227.— Rien dans le droit des gens n'impose à une puissance neutre l'obligation de défendre à ses sujets de vendre des navires armés à un belligérant : c'est ce qui a été clairement établi par le juge Story, de la Cour Suprême des États-Unis, dans le jugement qu'il a prononcé au sujet de

Tastet v. Taylor, 4 Taunton, 288. wyn, p. 727.

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Bell v. Reid, 1 Maule and Sel

Opinions des procureurs généraux des États-Unis. T. I, p. 61.

l'équipement d'un navire armé, du nom de l'Independencia del Sud, qui avait été frété par quelques négociants des États-Unis dans le port de Baltimore et envoyé pour être vendu à Buenos-Aires, où il fut acheté par le gouvernement de fait de ce pays, alors en guerre avec l'Espagne. L'affaire était déféré à la Cour Suprême des États-Unis, sur appel de la Cour de circuit du district de la Virginie: les propriétaires d'un certain chargement capturé par l'Independencia del Sud et l'Altravida réclamaient la restitution de leurs marchandises, qui avaient été amenées infra præsidia aux ÉtatsUnis, sous le prétexte que l'équipement et la vente de l'Independencia del Sud étaient une infraction à la neutralité des États-Unis. « Il est évident », dit le juge Story, « que ce bâtiment, quoique équipé comme vaisseau de guerre, avait été envoyé de Buenos-Aires pour une entreprise commerciale, de contrebande, il est vrai, mais ne violant en rien nos lois ni notre neutralité nationale. Si dans le cours de son voyage il eût été pris par un navire de guerre espagnol, il aurait été justement condamné de bonne prise comme étant employé à un trafic punissable selon le droit des gens. Mais il n'existe rien dans nos lois, ni dans le droit des gens, qui défende à nos citoyens d'envoyer des vaisseaux armés, ainsi que des munitions de guerre, dans des ports étrangers pour y ètre vendus. C'est là une entreprise commerciale, qu'aucune nation n'est tenue d'interdire, et qui expose seulement les personnes qui s'y livrent aux pénalités desquelles est passible la contrebande. A supposer donc que le voyage ait eu un but commercial et que la vente à Buenos-Aires ait été un acte de bonne foi, il n'y a aucun prétexte de dire que l'armement primitif au moment du voyage était illégal, ou qu'une prise faite par le navire après la vente était, pour cette seule cause, illégale. »'

Le jugement qui précède est basé sur la présomption que, d'après le droit des gens, un navire armé, quoiqu'il soit la

1 La Santissima Trinidad et le St-Ander,7 Wheaton's Reports, p. 283.

propriété privée d'un commerçant neutre, puisse être capturé par un croiseur belligérant sur la haute mer comme contrebande de guerre, s'il est à destination d'un port ennemi pour y être vendu; mais que s'il est arrivé dans un port ennemi, un commerçant neutre peut licitement vendre un chargement d'armes et de munitions de guerre, qu'il a transporté sans encombre sur la haute mer jusqu'à un marché ennemi. D'accord avec cette manière de voir, nous trouvons de nombreux traités dans lesquels il est stipulé que les navires de guerre qui sont portés à un ennemi seront passibles de capture et de confiscation. Ainsi, à l'article XI du traité d'amitié entre Charles II d'Angleterre et Charles XI de Suède (année 1664), il est prescrit qu'aucune marchandise dite de contrebande, et particulièrement de l'argent, des vivres, des armes, des canons, etc., «< ainsi que des navires de guerre ou des convois, ne seront fournis ou portés à l'ennemi, sans être exposés, dans le cas où ils seraient pris, à être condamnés comme prise légale sans espoir de restitution. » De même, dans le traité entre le Danemark et la Grande-Bretagne signé à Copenhague le 11 juillet 1670, il est stipulé que « les parties contractantes n'aideront point les ennemis de l'une ou de l'autre partie, qui seront agresseurs, et ne leur fourniront pas des provisions de guerre, telles que soldats, armes, machines, canons, navires, ou d'autres choses nécessaires à l'usage de la guerre, et qu'ils ne souffriront pas qu'il leur en soit fourni par leurs sujets; mais si les sujets de l'un ou de l'autre prince se permettent d'agir contrairement à ces dispositions, alors le roi dont les sujets auront agi ainsi sera obligé de les poursuivre avec toute la sévérité possible comme des personnes séditieuses et des infracteurs à l'alliance. » On pourrait citer un grand nombre

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1 Ce traité a été renouvelé par l'article XI du traité d'Orebro, 1812. Hertslet's Treaties, T, p. 328.

2 Ce traité a été renouvelé par l'article XIII du traité de Kiel, 1814. Hertslet's Treaties, T. II, p. 187.

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