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CHAPITRE III

COMMENCEMENT DE LA GUERRE.

42. Effet de la guerre sur les individus. - 43. Citoyens nationaux ut naissance et citoyens adoptifs. · 44. Prohibition de rapports avec l'ennemi; rappel des nationaux de naissance. 45. Commission autorisant des actes d'hostilité. 46. Les sujets ennemis sur le territoire d'un belligérant. 47. Traités de commerce; la propriété ennemie sur le territoire d'un belligérant; adoucissement de la pratique dans les temps modernes. 48. Obligation de bonne foi. 49. Pratique ancienne de l'embargo provisoire. 50. Sujets ennemis résidant sur le territoire d'un belligérant. 51. Sujets ennemis in transitu; détention de sujets anglais en France par le Premier Consul en 1803. - 52. Pratique moderne de ne pas détenir les sujets ennemis. 53. Dettes dues aux sujets ennemis. 54. Opinions du juge Story. 55. Opinions du chancelier Kent, de Vattel et de Bynkershoek. 56. Jugement de Lord Ellenborough dans l'affaire Wolff contre Oxholm; opinion de Wheaton. 57. Suspension des engagements de commerce. 58. Dettes dues a un souverain ennemi. Conduite de la Prusse relativement à l'emprunt silésien. Conduite de la Grande-Bretagne relativement à l'emprunt russo-hollandais. — 59. Embargo de la propriété ennemie à flot dans les ports d'un belligérant. 60. Conduite des puissances alliées au commencement de la guerre contre la Russie en 1854. Réciprocité russe. 61. Propriétés immobilières des sujets ennemis sur le territoire d'un belligérant.

42. Une déclaration solennelle de guerre (diffidatio) a la signification d'une renonciation, de la part du souverain qui a déclaré la guerre, à toute obligation internationale envers le souverain contre lequel la guerre est déclarée, de sorte qu'aucune relation pacifique de quelque nature qu'elle soit ne puisse désormais être entretenue entre eux, si ce n'est d'après une convention expresse. L'existence d'hostilités réciproques de nature à constituer de facto un état de guerre entre deux puissances souveraines entraîne des con

séquences analogues en interrompant tous les rapports pacifiques entre les communautés politiques sur lesquelles ces puissances exercent la souveraineté, et en constituant tous les individus membres de l'une de ces nations comme autant d'ennemis des individus membres de l'autre nation. Comme une guerre privée est incompatible avec la paix publique, de même une paix privée ne peut coexister avec la guerre publique. « Autrefois », dit Vattel, « et surtout dans les petits États, dès que la guerre se déclarait,tout devenait soldat, le peuple entier prenait les armes et faisait la guerre. Bientôt on fit un choix, on forma des armées de gens d'élite, et le reste du peuple se tint à ses occupations ordinaires. Aujourd'hui l'usage des troupes réglées s'est établi presque partout, el principalement dans les grands États. La puissance publique lève des soldats, les distribue en différents corps sous l'autorité des chefs et d'autres officiers, et les entretient aussi longtemps qu'elle le trouve à propos. Puisque tout citoyen ou sujet est obligé de servir l'État, le souverain est en droit d'enrôler qui il lui plaît dans le besoin. » C'est pourquoi, comme tous les membres d'une communauté politique sont également obligés de servir et de défendre l'État, autant que chacun d'eux en est capable, aucun individu n'est exempté par le droit des gens de prendre les armes pour la défense de la communauté. Toutefois chaque communauté est libre de s'organiser de la manière qu'elle le juge le plus convenable pour sa défense en temps de guerre. Il en résulte que l'obligation pour tout individu, membre d'une communauté politique, de prendre une part active à toute guerre dans laquelle la communauté est engagée, dépend de la loi constitutionnelle de cette communauté. Chez quelques nations il y a obligation légale pour tous les citoyens au dessous d'un certain âge de servir l'État sous les armes, et le sort décide sur lesquels doit peser la charge effective du service militaire. Chez d'autres nations la pro

1 Vattel, Droit des gens, L. III, § 9.

fession des armes est volontaire, comme la profession des lettres, avec cette différence cependant que la nation se charge de payer ceux de ses citoyens qui veulent bien s'enrôler dans l'armée permanente, attendu qu'il est juste que ceux qui ne servent pas paient leurs défenseurs. On a vu aussi des nations se contenter d'exempter leurs propres citoyens du service militaire actif et confier leur défense à une armée régulière formée d'étrangers,qui les servaient moyennant paiement. Tels étaient les régiments suisses au service de l'Espagne et du royaume de Naples, ainsi que les régiments irlandais au service de l'Empereur, et les régiments écossais au service de la Suède et de la France. Mais, dans tous les cas de cette espèce, si un soldat d'origine étrangère prend du service dans l'armée permanente d'une nation, il devient, pour la durée de son service, membre de fait de la nation pour tout ce qui concerne la guerre. Personne n'a droit de s'opposer à ce qu'il prenne ainsi du service, si ce n'est le prince souverain auquel il doit un service semblable en vertu de son allégeance comme sujet national de naissance; et s'il entre au service militaire d'une puissance étrangère sans le consentement de son souverain, il enfreint certainement les lois de son pays natal, et il peut encourir la perte de son droit de jouir des privilèges de citoyen, lorsqu'il retournera dans ce pays. D'après le droit des gens, il est permis à tout homme libre de se joindre à telle société qu'il lui plaît et où il trouve son avantage,' de faire cause commune avec elle et d'épouser ses querelles; mais il faut que ces actes soient des actes volontaires de sa part.

Si donc une personne quitte volontairement son pays natal pour aller se mettre en service d'un prince étranger, il n'y a pas violation du droit des gens, si ce prince l'engage à son service sans le consentement préalable du souverain auquel l'engagé doit allégeance de naissance. Mais il aurait violation du droit des gens, si une puissance étran

1 Vattel, L. III, § 13.

y

gère enrôlait des soldats sur le territoire d'un autre État sans. la permission du souverain de cet État; et si à aucune époque une puissance étrangère s'est rendue coupable d'un pareil acte, cet acte a été considéré comme une cause suffisante de déclaration de guerre contre cette puissance, à moins qu'elle n'ait fait réparation convenable de l'offense.

43. Quand deux nations sont en guerre, tous les membres de l'une sont les ennemis de l'autre. Cette règle d'association collective s'applique aux citoyens d'adoption, aussi bien qu'aux nationaux de naissance. « Sans doute »>, dit Grotius, « tous les sujets du souverain dont on a reçu une offense, et qui sont ses sujets pour une cause permanente, sont passibles de la loi des représailles, qu'ils soient nationaux nés ou purement citoyens. » La même règle s'applique aussi à toutes les personnes qui viennent résider dans le pays d'une puissance belligérante avec connaissance de l'existence de la guerre, ainsi qu'à toutes celles qui sont venues dans le pays avant la guerre et continuent d'y résider après le commencement des hostilités plus longtemps qu'il n'est nécessaire pour régler convenablement leur départ. << Sans doute »,ajoute Grotius,' « les étrangers qui viennent dans un pays ennemi après que la guerre a commencé et que l'existence en est notoire peuvent être traités comme des ennemis, et ceux qui y étaient allés avant que la guerre eût commencé peuvent être, d'après le droit des gens, considérés comme des ennemis après l'expiration d'un délai modéré pendant lequel ils auraient dû en partir. >> Toutes ces personnes sont de facto sujets du souverain ennemi, puisqu'elles résident sur son territoire, et elles adhèrent à l'ennemi tant qu'elles demeurent sur son territoire. Mais,si elles sortent du territoire ennemi dans l'intention de l'abandonner et de reprendre une résidence permanente dans le

1 De jure belli et pacis, Liv. III, Ch. 2, § VII, 2.
De jure belli et pacis, Liv. III, Ch. 4, §§ VI et VII.

par

pays de leur origine, elles dépouillent le caractère ennemi du moment même qu'elles quittent le territoire ennemi. Cependant il en est autrement des sujets de naissance d'un souverain ennemi; ils peuvent être traités en ennemis les autres belligérants partout où ceux-ci les rencontrent, à moins qu'ils ne soient sur un territoire neutre, car dans ce cas le souverain neutre a la prérogative d'empêcher qu'on leur fasse violence. Le souverain neutre a le droit d'insister pour que toutes les personnes se trouvant dans ses possessions, qui pourraient avoir des différends à régler, les règlent devant ses tribunaux par la voie judiciaire et non par la violence. Ainsi le poète fait dire à Démophoon, parlant à l'ambassadeur d'Eurysthée : « Retourne à Argos, et rapporte à Eurysthée ce que tu as entendu ; ajoute que s'il a quelque grief contre ces étrangers, il obtiendra justice; mais n'espère pas les emmener jamais d'ici. »

44. Il est d'usage que le gouvernement d'un pays, au commencement d'une guerre, publie un édit ou une proclamation, par laquelle il notifie à ses sujets la ligne de conduite particulière qu'ils ont à suivre à l'égard de l'ennemi. Ces édits, pour la plupart, ont rapport au commerce et aux relations personnelles d'un caractère amical, qu'on a coutume d'interdire, à moins qu'elles ne se continuent en vertu de licences ou de cartels spéciaux. Un souverain belligérant, au commencement de la guerre, a aussi la faculté de rappeler tous ses sujets de naissance qui peuvent être au service de l'ennemi, ou d'une puissance neutre, afin qu'ils puissent partager le devoir de défendre leur pays natal. Des édits de ces deux genres, appelés edicta inhibitoria (édits prohibitifs) et edicta avocatoria (édits de rappel), ' furent publiés par l'empereur romain des Allemands en 1792

Euripide, Les Heraclides, 251, 252.

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Le droit de rappeler les citoyens d'un territoire étranger (jus avo candi cives ex alieno territorio) a été discuté par divers écrivains cités dans Kamptz, Neuc Literatur des Völkerrechts, § 277.

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